« L'action est toujours égale à la réaction ; c'est-à-dire que les actions de deux corps l'un sur l'autre sont toujours égales et de sens contraires » (Isaac Newton, Philosophiae naturalis principia mathematica, 1687)
Il y a quelques années j’avais publié sur ce site une critique de la série Samurai Champloo, que je considère non pas comme un anime parfait, mais comme celui qui représente le mieux mes goûts en animation japonaise. Il s’agissait notamment d’inscrire cette production au sein de la fabuleuse année 2004 qui constitue sans doute un des meilleurs millésimes de ce siècle et conclut l’Age d’Or de la japanime qui avait débuté à la fin des années 90.
Toutefois, les principes fondateurs de la physique nous enseignent que toute action induit une réaction contraire. Autrement dit, lorsqu’à un moment donné l’animation japonaise atteint des sommets de qualité elle doit également s’efforcer de creuser dans les abysses de la médiocrité. Et étant donné le niveau atteint en 2004 avec une qualité globale incroyable, autant dire que la mauvaiseté atteinte de l’autre côté fut au moins aussi spectaculaire, avec notamment ce qui se retiendra comme un des pires animes de tous les temps.
Skelter+Heaven est un OAV de vingt minutes adapté d’un visual novel produit par la firme Idea Factory. Pour ceux qui ne connaissent pas, Idea Factory est également responsable d’une litanie de chefs d’œuvres tels que Amnesia (2,3/10 de moyenne sur Anime-Kun), Diabolik Lovers (1,3/10) mais aussi et surtout le légendaire Hametsu no Mars (1/10), largement considéré comme le pire anime jamais créé, titre qui ne lui a jamais été disputé jusqu’à aujourd’hui peut-être. Autant dire que Idea Factory est une marque qui a de la valeur, quand tu les vois débarquer tu sais que ça va être génial et que tu vas passer un moment de japanime exquis, quand on pense que des gens attendent les productions de chez Mappa, Bones ou KyoAni alors que la qualité réelle se trouve juste ici à portée de main.
Le récit de Skelter+Heaven débute par l’invasion de la ville de Tokyo par un terrible encornet géant en 3D, un monstre horrible tout droit issu de la fusion créative des designs de H.R. Giger et d’un boss de Super Mario Sunshine sur Gamecube. Heureusement pour faire face le Japon dispose de sa propre agence militaire anti-mollusques numériques : le lieutenant Funagai est chargé de mener l’équipe qui va neutraliser la menace et ramener de la salade de poulpe au dîner. Une équipe exclusivement féminine qui se bat à l’aide des Skelter, des exosquelettes qui ne protègent absolument pas leur pilote mais laissent bien voir les tétons qui pointent parce que c’est important. Rin Ichikawa est désignée comme leader de l’opération, mais la jeune fille saura-t-elle mener l’offensive contre cet ennemi iodé ? Pourra-t-elle au faire abstraction des sentiments qu’elle nourrit envers l’officier ? Et quels secrets se cachent sous le voile de la mariée ?
Pour expliquer le scénario de Skelter+Heaven, il faut s’imaginer que si Darling in the Franxx est un Evangelion du pauvre, alors Skelter+Heaven est un Evangelion du clochard, mais genre le vrai clochard, celui qui dort dans un carton et qui sent la pisse à cinq mètres. On n’aura jamais vu un anime qui sensibilise autant sur la question de la pauvreté que Skelter+Heaven, c’est le genre d’anime qui devrait passer juste avant le concert des Enfoirés tu vas voir les gens ils vont donner de l’argent de ouf, pas parce qu’ils sont charitables, mais pour que ça s’arrête.
L’anime fait dix-huit minutes génériques compris, c’est très court mais le script parvient quand même à perdre du temps sur des scènes inutiles comme par exemple le tout début où il ne se passe littéralement rien pendant une minute trente, suivi par un générique de presque deux minutes entièrement composé d’illustrations tirées du VN, parce que non seulement il n’y pas de budget pour faire un opening décent mais en plus il faut que ça dure pour bien insister quoi. Le reste de l’épisode n’est pas bien meilleur avec en mise en scène rushée de partout, des transitions abruptes sur des séquences hautement intellectuelles (???) et des flashbacks qui tentent désespérément de construire quelque chose en termes d’univers sauf que ça ne marche pas parce que, ben, c’est nul quoi.
Par exemple, une des révélations de l’épisode c’est que les filles qui pilotent les Skelters sont "artificielles" et ont été créés par les humains pour combattre les calamars volants. C’est évident, si on avait le pouvoir de créer de toutes pièces des individus pour sauver le monde de l'invasion extraterrestre, on choisirait de créer une adolescente japonaise à gros seins qui rougit quand elle voit son Lieutenant chéri, je veux dire, ça tombe sous le sens. Et puis d’ailleurs, à quoi ça sert de révéler que les filles sont artificielles ? C’est pas elles qui combattent les calamars, c’est leur mechas, elles ne font que les piloter. Tu prends n’importe qui si tu l’entraînes à piloter le mecha il va y arriver aussi, y’a pas besoin d’avoir été créé spécialement pour ça. Ou alors il y a un truc spécial dans le robot qui fait que seules des adolescentes japonaises à gros seins peuvent les piloter, mais dans ce cas pourquoi s’emmerder avec des mechas qui ont des conditions d’utilisation aussi débiles ? Pourquoi ne pas construire des machines que n’importe qui peut utiliser, surtout dans une situation d’urgence ou des poulpes géants menacent la planète ?
Vous voyez c’est typiquement cela que l’on appelle un anime mal écrit. Les scénaristes voulaient un résultat bien précis (des adolescentes japonaises à gros seins qui pilotent des robots) mais ils n’ont pas réfléchi aux conséquences narratives, du coup ça rend la totalité du script complètement stupide. En termes d’écriture Skelter+Heaven c’est un peu l’exemple à ne pas suivre, toutes les fautes possibles et imaginables il les fait en moins de vingt minutes, c’est assez génial. Personnages trop nombreux, dialogues aléatoires, script incompréhensible, sans parler évidemment de ce cliffhanger de fin d’épisode qui, en invalidant tout ce qui a été raconté avant, tente de donner envie d’aller voir la suite dans le VN ce à quoi on répond « désolé, j’ai piscine » avant de fuir en se jetant par la fenêtre du quatrième étage ce qui est sans doute risqué du point de vue de l’intégrité physique mais sans aucune commune mesure avec la torture mentale qui serait de connaître de cette histoire une microseconde supplémentaire.
Du coup pour se détendre on va passer à l’esthétique et à la réalisation et on est dans la même thématique générale, à savoir la pauvreté mais genre la misère grave, la détresse humanitaire. J’ai rien contre les animes à petit budget, les trucs en flash ou je sais pas quoi, tout le monde a le droit de faire son anime comme il peut, mais bordel quand tu sais que t’as pas les moyens pourquoi tu essaies de faire des trucs compliqués avec des mechas qui se battent contre des poulpes géants de l’espace. Les designs sont moches, l’animation est moche, les CGI sont ignobles et les décors, soyons sérieux trente secondes, c’est quoi cette merdasse floue en arrière-plan ? Tu sens que les mecs ils sont allés chercher des photos aériennes de Tokyo sur Google Images et ils ont foutu un filtre dégueu par-dessus genre, on va pas se faire choper par le prof, t’façon c’est pas noté ça comptera pas dans la moyenne. On rappelle que 2004 c’est l’année de Monster chez Madhouse, Ghost in the Shell 2nd GIG chez Production IG et du premier film de Makoto Shinkai. Les gars de chez Idea Factory ils sortent leur OAV en décembre 2004 c’est-à-dire après la diffusion de tous ces animes, ils voient tout ça ils ont pas peur, ils tiennent bon, on sort ça comme ça pas de problème, c’est valable.
Je me souviens quand j’avais regardé Garzey’s Wing qui est une des pires atrocités de l’animation japonaise, j’avais fait exprès de le voir avec son doublage anglais parce qu’il était réputé pour sa nullité. Avec Skelter+Heaven j’en ai même pas eu besoin, bon déjà y’a pas de doublage anglais mais de toute façon même le doublage original japonais il est à chier. Le personnage principal Funagai c’est chaud comment c’est mal interprété, dès qu’il parle c’était rires assurés dans la salle. J’ai cherché un peu c’est qui le doubleur, le bonhomme il est listé nulle part et son seul rôle c’est dans Skelter+Heaven, du coup soit c’est un mec du staff qui s’est mis au micro ou alors ils ont été trouver un type dans la rue pour faire le job, c’est pas possible autrement, c’est pas du travail professionnel. Le reste du cast est plus au moins similaire, faut dire qu’avec dix-huit minutes d’anime t’as pas le temps de faire dans la grande performance, sûrement c’est mieux dans le VN mais à ce niveau-là qu’est-ce qu’on en a à battre.
Comment évaluer un produit tel que Skelter+Heaven ? Au cours de mes pérégrinations dans les recoins sombres de l’animation japonaise j’ai croisé des choses sinistres, des trucs malsains dont t’as même pas idée. De toute cette expérience, j’en ai ressorti une typologie du mauvais anime, en trois grandes catégories.
La première catégorie c’est la pure perte de temps. Ce sont les animes qui sont certes nazes, mais qui sont surtout chiants et sans intérêt, ce qui fait que l’on est même pas assez énervé pour leur taper dessus. C’est de loin la catégorie la plus nombreuse, et on y trouve par exemple la totalité du genre isekai et la plupart des adaptations de light novel, avec par exemple des machins comme Beatless, My Sister My Writer ou encore Master of Ragnarok qui au-delà de leur médiocrité sont un pur concentré d’ennui.
Ensuite on a la catégorie du foutage de gueule. Ces animes ne sont ni chiants ni mal réalisés, bien au contraire, mais ils sont tellement mal écrits que ça te rend furieux parce que c’est du gâchis de talent et de budget sur de la merde. On trouve là-dedans les séries Aniplex du genre Guilty Crown, Valvrave et Re:Creators, qui ont bénéficié de moyens certains mais qui racontent n’importe quoi et te donnent envie de frapper ton ordi tant ces animes se moquent de leur public.
Et enfin il y a la catégorie reine, le nanar. Quand on a atteint le plus bas niveau, tout ce qui reste c’est de basculer dans l’autre sens et de devenir excellent. Les nanars sont les animes qui sont tellement mauvais que cela devient drôle. Le cas le plus typique c’est un machin comme Vatican Miracle Examiner, chef d’œuvre du WTF et de la comédie involontaire.
Où est-ce que Skelter+Heaven se situerait donc parmi ces types de mauvais animes ? Et bien je dirais qu’il emprunte un peu aux trois catégories. C’est une pure perte de temps car ces vingt minutes d’anime n’adaptent qu’une petite partie du VN dont il est tiré - lequel n’a probablement pas beaucoup d’intérêt par lui-même de toute façon, c’est un foutage de gueule car l’intrigue est un repompage médiocre d’Evangelion rempli de crétineries qui se prennent au sérieux, et c’est un nanar car la production value est tellement basse que cela rend l’anime hilarant à regarder et à écouter.
Pour cette raison Skelter+Heaven mérite la note minimale, car au-delà de la simple indigence technique cet anime c’est juste l’épitomé de la nullité, le sommet de l’absurde, l’apothéose du néant. C’est pas que c’est juste mauvais c’est qu’il y a rien à regarder, même pour se marrer c’est pas la peine, c’est l’inutilité parfaite. J’aimerais m’énerver dessus comme pour Aldnoah.Zero, j’aimerais vomir comme avec Brain Powerd, j’aimerais être scandalisé comme avec Netsuzo Trap, mais je n’y arrive même pas ; Skelter+Heaven c’est le moment où tu as versé toutes les larmes de douleur de ton corps il reste plus rien. C’est le terminus du métro de la vie, lorsque l’on sort du cycle des réincarnations et que l’on atteint le Nirvana de la daube, l’accomplissement total d’une existence à chercher l’anime le plus nul possible ; et lorsqu’on le trouve enfin on est même pas capable de le massacrer comme il faut, on se contente d’accepter la conclusion misérable de cette quête ridicule.