Naoko Yamada est une des fiertés de Kyoto Animation, le signe de l’aboutissement final de la méthode initiée maintenant depuis plus de quinze ans : concevoir la production d’anime comme une exigence absolue et une formation interne de nouveaux talents. Après avoir réalisé K-On puis le très sirupeux Tamako Market, Naoko Yamada s’oriente vers le cinéma. KyoAni affiche délibérément ses ambitions : après avoir gagné ses lettres de noblesse dans la production de séries, c’est un public plus large qui est visé, le grand public international.
Le film adapte un manga assez réussi de Yoshitoki Ohima : le personnage principal, après avoir harcelé et molesté sans vergogne ni remords une jeune fille malentendante durant ses années de primaire, se repend et, ayant par hasard découvert où elle suivait désormais ses cours, entreprend de se faire pardonner. Le tout moyennant larmoiements, apitoiements adolescents et tendances suicidaires. Histoire de jouer dans le pathétique okadaiste primaire.
Le premier tiers du film est assez convaincant. Le ton y est relativement juste, un peu dansant par moments, profondément recroquevillé certes, mais le rythme initié par l’alternance entre passé et présent fonctionne assez. En dépit de lourdeurs inexplicables, visages figurés par des croix notamment.
La suite du métrage est nettement plus problématique. Elle vire certes à la romance dégoulinante — passe encore —, mais de l’intimisme un peu réservé, elle se jette dans des atermoiements indistincts dont le spectateur n’a, de fait, pas grand-chose à faire. L’anime se perd dans une quantité illisible de personnages secondaires, tandis que les deux héros s’enfoncent dans un marécage de bons sentiments à vomir. La conclusion achève le spectateur critique par une lourdeur formelle scandaleuse : l’ouverture au monde sue tant l’expressionnisme disneyen que l’on s’étonne presque de ne pas entendre les personnages entonner une chanson et se fendre de pas de danse. C'est à qui jettera le mieux ses entrailles sur la place publique.
A Silent Voice est ce que l’on appelle un film raté. Le matériau initial est excellent, les deux personnages principaux attachants. Mais à force de tourner en rond, de verser dans la préciosité formelle, le film veut forcer l’émotion. Ça sonne faux, surjoué. Tout dans ce film est faux, jusqu’à la photographie et son aberration chromatique constante et insupportable. KyoAni est bien connu pour son style emphatique, son baroquisme plaintif ; et l’alchimie particulière de leurs séries est déjà un miracle en soi. Mais Naoko Yamada pousse la douceur à l’écœurement. Le dégoût, c’est ça qui poigne chez le spectateur au bout de deux très longues heures. Celui qui est ému au sortir de la salle, c’est celui dont sa conscience seule, face aux sujets évoqués, s’est sentie moralement obligée de convoquer l’image de la tristesse en soi. Ce film n’est rien d’autre qu’une machine à fabriquer de l’hypocrisie l’émotionnelle.
Souvent comparé à Your Name de Makoto Shinkai, et pour cause sorti au Japon le même été, jamais le métrage n’atteint la subtilité des silences de l'œuvre de ce dernier.
Hormis le premier tiers, le film réussit cependant à merveille le récit d’un personnage en particulier : celui de Yuzuru. Son histoire et son identité sont profondément dramatiques et le film excelle à rendre le personnage plus indispensable encore qu’il ne l’était dans le manga ; ce qui est très largement mérité. Mais cela ne fait que souligner combien l’échec du film est regrettable, lorsque l’on voit de quel déploiement de finesse il est par ailleurs capable. La personnalité de Yuzuru est ce que le film réussit le mieux. Et pour cause, c'est aussi le genre de personnages que KyoAni a l'habitude de réussir : des personnages profondément secrets et malheureux qui ne laissent jamais échapper que des bribes de leur désespoir. La tendresse portée à Yuzuru est à l'image de celle recherchée par le personnage. Le tout donne lieu aux scènes les plus réussies. Comme quoi, quand on raconte avec des images plutôt qu'avec de longs discours, c'est à ce moment-là que l'on commence à faire du cinéma.
A Silent Voice n’est pas à proprement parler un mauvais film, mais c’est un film qui échoue largement dans son projet. La préciosité formelle de KyoAni atteint sa limite dans ce métrage qui apparaît finalement comme une prise d’otage du spectateur dans la manifestation de l’émotion. Définitivement, l’histoire telle que mise en scène par Naoko Yamada, si elle ne manque pas d’extravagance, peine délibérément à faire bon usage de ses silences.