Parler de mechas au public de la japanime de 2024 c’est comme le gars qui préside l'Association Française de Tektonik ; tant d’efforts et d’énergie consacrés à quelque chose dont plus personne n’a rien à battre. Il faut cependant être honnête et lucide, les animes de mecha récemment diffusés sont soit très décevants soit très anecdotiques ; difficile de blâmer le public de ne pas s’intéresser à un genre qui n’a plus grand-chose de neuf à proposer.
Dans ce contexte, Bang Bravern représente une triple incongruité; c’est une série originale de super robot (!), produite par Cygames (!!) et réalisée par Masami Obari (!!!). Pour rappel, Cygames est une firme de jeux vidéo qui détient plusieurs franchises populaires parmi lesquelles Granblue Fantasy et Uma Musume. Comme souvent ces sociétés cherchent à répandre la popularité de leurs marques dans d’autres médias, en particulier l’animation, et Cygames a ainsi contracté des studios pour produire des adaptations avec par exemple Shingeki no Bahamut chez Mappa ou Granblue Fantasy chez A-1 Pictures. Par la suite, Cygames a annoncé vouloir créer son propre studio d’animation pour gérer l’adaptation de ses propres franchises, mais aussi produire des animes originaux. Rien de tout cela n’explique comment une boîte qui fait des jeux mobiles de collection de petites filles mignonnes se retrouve à produire un anime de super robot avec des mecs baraqués à moitié à poil, mais bon je vais pas m’en plaindre.
Tant que j’y suis, un autre point amusant au sujet de Bravern c’est la manière avec laquelle cette série a été annoncée, avec des visuels assez austères et premier degré qui laissaient croire à quelque chose de plus proche du real robot. Il a fallu attendre le premier épisode pour que le pot aux roses soit dévoilé à l’écran ; la production a clairement essayé de jouer avec les attentes du public, et cette intention métatextuelle se retrouve sur l’ensemble de la série.
Le récit se déroule dans un futur proche où les forces armées du monde utilisent des robots géants appelés Titanostriders. Isami Ao est un soldat de la JSDF qui pilote un de ces robots et participe à un exercice conjoint entre les armées japonaise et américaine. C’est à ce moment que survient l’invasion alien qui pulvérise les armées humaines et subjugue la Terre en quelques heures. Alors que tout espoir semble perdu pour l’humanité, un héros apparaît pour donner au monde une dernière lueur d’espoir. Ce héros, c’est le robot géant qui ne se laissera piloter que par le plus courageux d’entre tous, c’est notre ami, notre frère, notre idole, c’est BRAVERN !
L’essentiel de l’humour de la série repose sur ce contraste entre les personnages de militaires super sérieux confrontés à la destruction imminente de la civilisation, et ce super robot complètement dérangé qui fait des blagounettes débiles entre deux combats. C’est surtout vrai dans la première moitié de la série où le style super robot vient percuter cet univers de real robot, avant que tout le monde ne se retrouve entraîné dans le délire. Cela donne lieu à des ruptures de ton parfois assez violentes avec des scènes de destruction massive avec des millions de pertes humaines suivies quelques scènes plus tard de séquences humoristiques à base de vomi ou autres liquides suspects. A un moment on voit Bravern (le robot de vingt mètres de haut donc) assis à son bureau en train de faire du maquettisme, une manière pour l’anime de casser le quatrième mur en faisant un clin d’œil à son public cible. Le titre lui-même de la série, Bravern, est une référence aux séries Brave (Yûsha en japonais), une saga de super robot des années 90 sur laquelle Obari a travaillé en tant qu’animateur.
Au-delà de la comédie, la série propose un scénario qui honnêtement tient plus du délire que d’une écriture construite. On va suivre ce groupe de militaires américano-japonais à travers le monde pour tenter de sauver l’humanité de la menace des Deathdrives (les aliens), mais surtout ce qui intéresse cet anime c’est le développement de ses personnages, notamment le héros Isami qui est caractérisé comme un homme taciturne, détaché et qui abandonne facilement face à l’adversité. Là encore il y une volonté de contourner le cliché du héros de super robot très extraverti et déterminé (genre Kamina dans TTGL) en proposant un protagoniste pusillanime, à la limite de la dépression nerveuse, et qui n’en a clairement rien à foutre d’être le héros. Les autres personnages autour de lui apportent un contraste avec Lewis Smith, l’américain weaboo, la gamine kawaii Lulu parce qu’on imagine pas regarder un anime japonais sans avoir au moins une préadolescente qui se balade à moitié nue, et tout un tas d’autres personnages à l’utilité très variable. C’est d'ailleurs le défaut majeur de la série, le script est à l’étroit dans ces douze épisodes et aurait pu bénéficier de plus de temps pour installer ses effets et ses nombreux personnages dont finalement seuls trois ou quatre sont réellement importants.
La réalisation est plutôt sympathique dans l’ensemble, le style de Masami Obari suinte de partout avec des plans signatures saupoudrés tout au long de la série. Les robots eux-mêmes sont rendus la plupart du temps en 3D, avec quelques plans 2D fortement esthétisés. Le character-design est lui aussi à noter surtout si vous aimez les hommes tout en muscles, encore une fois la série s’amuse avec son public cible en lui montrant l’exact inverse de ce qu’il vient habituellement chercher dans ce type de production. Mention spéciale aux doubleurs principaux masculins Kenichi Suzumura (Bravern), Ryôta Suzuki (Isami) et Yôhei Azakami (Smith) pour leurs performances hilarantes tant dans la série que dans les génériques.
Bravern est une assez bonne série qui a l’énorme avantage d’être réellement drôle et de ne pas se prendre au sérieux. Son humour méta est sans doute inaccessible au public non-initié aux animes de mecha et en particulier au super robot des années 90, et ce qui tient lieu d’intrigue est au mieux risible, mais ça reste une lettre d’amour à ce genre oublié de la japanime réalisée par un de ses artistes les plus célèbres. Il est bien dommage que le mecha anime en 2024 semble incapable de produire quoi que ce soit de compétent qui ne relève pas de la nostalgie ou de la parodie, mais quand c’est bien fait on ne va mordre la main du robot qui nous nourrit.