Un film d’animation japonaise sur Batman, certains y voient un fantasme, d’autres une ineptie. Batman est la plus grande icône de la pop-culture américaine, comment imaginer ce glorieux personnage entre les mains sales et poisseuses de ces putains de Japonais bridés de merde ?
En vérité, cela fait bien longtemps que l’animation japonaise a laissé sa trace un peu partout sur l’histoire du Chevalier Noir. Une des adaptations les plus célèbres de Batman, la fameuse série télé de 1992, a été produite aux États-Unis mais largement sous-traitée au Japon par des studios tels que Sunrise et TMS. Toutefois, personne n’irait dire de Batman TAS qu’il s’agit d’un « anime ». La qualité d’anime ne se présume pas, elle se démontre. Et après avoir vu Batman Ninja on peut dire qu’il agit à n’en pas douter d’un « anime », pour le meilleur et pour le pire.
Le récit débute lorsque Batman affronte Gorilla Grodd qui a créé une machine étrange qu’il s’apprête à essayer sur les résidents de l’asile d’Arkham. Il s’avère que la machine en question est un convecteur temporel ; et lors de son activation Batman et Grodd sont transportés dans le passé, et plus précisément dans le Japon féodal. Et ils ne sont pas seuls puisque les pires méchants de Gotham ont aussi fait le voyage : le Pingouin, Double-Face, Poison Ivy, Deathstroke, et le Joker lui-même. Privé de ses gadgets et de la technologie moderne, Batman et ses alliés vont devoir redoubler d’efforts pour éviter que les Vilains ne plongent le pays du Soleil Levant dans le chaos.
Si votre adaptation favorite de Batman est le thriller hyperréaliste et premier degré de Christopher Nolan, autant vous dire que Batman Ninja ne s’inscrit pas tout à fait dans le même registre. Ici c’est plutôt ambiance délire avec un Batman qui enfile sa tenue de samurai et s’équipe de ses Bat-kunais pour affronter le Joker habillé en daimyo, Robin qui convoque une armée de ouistitis en jouant de la flûte, lesdits ouistitis qui forment un ouistiti géant pour affronter le Méga-Joker lui-même issu du gattai des châteaux des autres vilains transformés en robots géants. Non je ne me fous pas de votre gueule, c’est bien ce que le film raconte.
Ce genre d’absurdités pourra faire vomir certains fans de Batman, mais c’est parce que Batman Ninja n’est pas un film Batman, c’est un « anime ». L’objectif des producteurs américains n’était pas de réaliser un film Batman avec la collaboration d’animateurs japonais, ce qui a déjà été fait, mais bien de produire un anime 100% japonais avec les personnages de DC Comics. En l’occurrence, le scénario a été écrit par Kazuki Nakashima, connu notamment pour Gurren Lagann, dont le style totalement exagéré est très loin de la noirceur et de la retenue que l’on associe généralement à Batman. Pareillement le chara-design est signé Takashi Okazaki, l’auteur de Afro Samurai dont ce film est assez similaire dans l’esprit. De grands noms, très talentueux, mais dont le style est aux antipodes de ce que l’on attend d’un film portant le titre de Batman, et cela se voit à l’écran. Et cela rend un résultat qui se situe à la limite entre le ridicule et le génie.
Parce que ouais, ce film est complètement ridicule, mais c’est un ridicule fait avec talent. L’animation des personnages est presque entièrement réalisée en CG mais les designs de Okazaki sont magnifiques et font largement passer la pilule. Les décors en revanche sont en 2D et ils ont fait l’objet d’un soin particulier, avec des plans superbes et stylisés. Le doublage japonais est conséquent avec une brochette de stars et notamment Koichi Yamadera (Spike Spiegel) dans le rôle de Bruce Wayne, ça ne s’invente pas. Mais la palme revient sans aucun doute à cette séquence en milieu de film réalisée entièrement en peinture animée, dans un genre rappelant le Kaguya de Takahata, et animée par Shinya Ohira (!!!). Un passage étrange et complètement déconnecté du reste du film aussi bien dans l’esthétique que dans la tonalité, mais avec une puissance évocatrice digne des meilleures adaptations de Batman (Long Halloween, Killing Joke, Arkham Asylum), qui ont toutes comme point commun d’être des exercices de style d’abord et des comics-books ensuite.
Avec une licence telle que Batman et des noms aussi prestigieux que Nakazawa et Okazaki au générique, on aurait pu penser que Batman Ninja allait casser la baraque de la même manière que Afro Samurai avait fédéré autour des talents de Gonzo, RZA et Samuel L. Jackson. Malheureusement c’est le contraire qui s’est produit, le film a reçu un accueil mitigé des fans de Batman et a été copieusement ignoré des fans d’animes. Depuis quelques années et avec la montée en puissance des licences de comics américains grâce notamment au MCU, j’ai remarqué une vraie scission entre le fandom des comics et celui des animes, comme si ces deux univers ne pouvaient plus cohabiter car devenus concurrents. Un projet tel que Batman Ninja, qui opère un pont entre ces mondes, était de ce fait voué à l’échec alors qu’il aurait été énorme il y a encore dix ans. Et pour quelqu’un comme moi dont l’adolescence a été marquée aussi bien par Dark Knight Returns de Frank Miller que Naruto, je trouve cela bien regrettable.