L’anthropomorphisme n’a rien de nouveau dans l’animation, que ce soit pour s’amuser avec les fantasmes de filles mignonnes à caractéristiques animales, ou pour en faire une métaphore. Dans Beastars, le furry règne, mais il n’est qu’un masque. L’animal est Homme et l’Homme est animal.
Dans un monde coupé en deux – herbivores d’un côté, carnivores de l’autre – la cohabitation est pourtant possible, quoique délicate. Notre héros, le loup gris Legosi, est un garçon beaucoup trop gentil qui va commencer à comprendre la société dans lequel il vit lorsqu’il tombe amoureux de Haru, une lapine.
L’opening de Beastars résume particulièrement bien l’ambiance générale de la série. En accord avec les clichés de la société, Legosi et Haru s’engagent dans une course poursuite à travers les bois, le loup chassant sa proie. Le soleil se lève et les personnages montrent leur vrai visage; un gentil loup et une lapine pleine de vie qui se mettent à danser joyeusement en dépit de l’aberration de leur relation. Mais la scène coupe et révèle le plus grand cauchemar de Legosi: le loup a cédé à ses instincts, et a dévoré le lapin.
Le mélange grinçant de joie et de tragédie de cette introduction, c’est l’ambiance générale de la série. Les conventions sociales qui permettent aux herbivores et aux carnivores de cohabiter ne trompent personne, et le meurtre violent d’un membre du club de théâtre par un prédateur ne fait que rappeler à tout le lycée la réalité de cette situation. Derrière l’apparente vie commune, c’est un conflit de classes – ou en l’occurrence, d’espèces – et surtout, la loi du plus fort règne toujours. La tension est à couper au couteau en permanence et chacun essaie de trouver sa voie. Pour Legosi, c’est de savoir s’il perdra son combat contre ses propres instincts carnassiers et dévorera la fille qu’il aime; c’est aussi de savoir s’il acceptera le monde dans lequel il vit ou s’il décidera de se battre pour le changer. C’est au travers de ses rencontres et de ses découvertes le long de ces douze épisodes qu’il fera son choix. Haru, elle, cherche une forme d’acceptation dans ce monde où elle est vue au mieux comme un être faible, au pire comme une proie. En parallèle, Louis le cerf compte bien monter au sommet pour changer la condition des herbivores, mais peine à ne pas se faire dévorer – pas tant par les prédateurs que par la corruption et la folie ambiante. Etc, etc.
Bien que très coloré et prompt à l’humour, Beastars est donc une critique sociale qui s’assume et s’avère profondément anxiogène. Le mélange des tons est très réussi, bien que certaines ficelles scénaristiques soient un peu grossières (un kidnapping par des yakuzas par exemple) et l’intrigue s’installe dans la longueur sans pour autant trop traîner la patte. Le ressort scénaristique qui donne son nom au manga, l’élection du fameux chef des animaux «Beastars» est à peine évoquée, mais ce ne sont que douze épisodes sur un manga qui compte bientôt une vingtaine de tomes. Enfin, on notera que l’anime est assez mature, et si j’imagine que tout le monde se fiche de quelques jets d’hémoglobine par ci par là, notons quand même que ça parle aussi beaucoup de sexe et que ça reste des animaux quand même.
D’un point de vue technique, nous retrouvons aux commandes le studio Orange. Un nom qui met tout de suite en confiance, puisque on leur doit une autre adaptation de manga un peu «confidentiel» et au ton très particulier, Houseki no Kuni (l’Ere des Cristaux) qui était absolument sublime à regarder.
Bien entendu, cela signifie que Beastars est entièrement animé en CGI. Nous sommes en 2020 mais le public réactionnaire n’a pas bougé d’un orteil face à son rejet de la 3D dans les animes japonais. Alors oui, vous pourrez me dire que beaucoup d’animes en images de synthèse sont très moches. Vous pourrez aussi me dire que vous détestez le style froid et impersonnel que Polygon Pictures impose à chacun de ses travaux. Seulement voilà, nous vivons aussi à une époque où j’entends des gens me dire qu’un fiasco de production type Arifureta Shokugyô de Sekai Saikyô est sympa à regarder alors qu’on dirait un powerpoint sur lequel on aurait collé de la CGI plus moche que dans un jeu playstation, donc je n’ai plus de respect. Beastars est en CGI, et Beastars est beau; non seulement les visuels sont colorés, non seulement l’animation est fluide, mais la réalisation ne rate pas une occasion de briller avec des idées de plans originaux, cinématographiques et travaillés. On y ajoute des petites idées de génie, comme par exemple l’opening entièrement fait en stop motion, ou une séquence de rêve très belle en style aquarelle, et Beastars se place facilement au dessus de la moyenne de la production saisonnière. Tout comme le manga, la série a d’ailleurs rencontré son succès puisqu’elle est renouvelée pour une saison 2.
En résumé, Beastars c’est plutôt Les Fables, ou même La Ferme des Animaux. L’animal n’est qu’un avatar pour parler de l’humain et de ses tares. Chez La Fontaine comme chez Orwell tout ça se termine assez mal, pour Legosi ça reste à voir.