Blade Runner Black Out 2022 est un court-métrage d’animation diffusé quelques semaines avant la sortie de Blade Runner 2049, le film de Denis Villeneuve, et auquel il est censé servir de préquelle. En général ce genre de production n’existe qu’en tant que spot de pub glorifié et ne mérite pas la moindre considération, mais celui-là possède quelques arguments en sa faveur.
Pour ceux qui se poseraient la question, il n’est pas inédit ni même rare qu’une licence de films américaine choisisse de s’étendre à l’animation japonaise. Les producteurs savent qu’il y a un certain degré d’identité entre le public qui s’intéresse aux films de SF et ceux qui regardent des animes. C’est d’autant plus vrai pour les réalisateurs et producteurs de la nouvelle génération d’Hollywood qui ont grandi avec les animes comme vous et moi ; ils ne considèrent plus l’animation japonaise comme un genre exotique mais comme une partie intégrale de la sous-culture geek. Un des exemples les plus célèbres de cette intégration est l’omnibus Animatrix qui compilait divers courts situés dans l’univers créé par les Wachowski. Un des réalisateurs ayant bossé sur ces courts est Shinichiro Watanabe qui est justement très admiré aux États-Unis, bien plus qu’au Japon. Et c’est à lui que Villeneuve a demandé de réaliser le court-métrage ici commenté.
Le récit se déroule donc en 2022 et raconte un évènement terrible : la réélection d’Emmanuel Macron… Enfin, pas seulement. Trois ans après les évènements du premier Blade Runner, la société Tyrell qui produit les Réplicants (des êtres humains synthétiques utilisés comme esclaves) introduit un nouveau modèle qui leur confère une espérance de vie accrue. La frontière entre humains et synthétiques se brouille ce qui mène à des mouvements de violence envers les Réplicants, chassés et détruits par leurs maîtres. C’est dans ce contexte que deux Réplicants, Iggy et Trixie, conçoivent un plan d’attentat. Avec la complicité de Ren, un humain séduit par Trixie, ils élaborent l’idée de faire sauter une bombe nucléaire au-dessus de Los Angeles pour créer une EMP qui détruira tous les fichiers de recensement des Réplicants, permettant à leur espèce d’échapper aux Blade Runners chargés de les exécuter.
Il est ironique de constater que Black Out 2022, avec ses misérables quinze minutes, arrive à délivrer autant de contenu narratif là où le film de Denis Villeneuve s’étirait sur deux heures quarante pour un résultat pas spécialement plus consistant. Néanmoins le film de Villeneuve prenait son temps pour poser une ambiance là où celui de Watanabe ne peut qu’avancer au pas de charge. Conçu principalement pour expliquer l’univers de Blade Runner et préparer le long-métrage, ce court ne va pas plus loin que l’exposition et ses personnages comme son « intrigue » sont sacrifiés. Tout au plus a-t-on droit à une scène entre Trixie et Ren pour expliquer pourquoi ce dernier décide de servir la cause des Replicants, et un très beau flashback de Iggy qui explique la raison d’être de ladite cause.
Le véritable intérêt de ce film, la raison pour laquelle j’en parle ici, c’est sa partie visuelle. Comme je l’ai expliqué plus haut, ce genre de production est destiné aux geeks, et les geeks c’est comme les mouches : on ne les attrape pas avec du vinaigre. C’est pour cela que Black Out 2022 aligne une brochette d’animateurs exceptionnels parmi lesquels Hiroyuki Okiura, Shinya Ohira, Shinji Hashimoto, Hironori Tanaka, Bahi JD, Shuko Murase ou encore Mitsuo Iso (!!!!!!). Et tu peux me croire, quand tu as la dream team de l’animation japonaise sur un court de quinze minutes, t’as les yeux qui pètent à chaque seconde, c’est comme prendre une accélération de 5G dans la gueule si t’es pas entraîné comme un pilote de Formule 1 tu vomis avant le premier virage.
Il faut que les gens qui me lisent ici comprennent bien cela ; en animation japonaise, la véritable star c’est l’animation, rien d’autre. Tu peux avoir le meilleur scénario du monde, si c’est mal animé ben ton anime c’est juste des images qui bougent. A l’inverse, une séquence sakuga peut donner un grand intérêt à un anime qui par ailleurs n’en a aucun. Une telle équipe d’animateurs sur Black Out 2022 c’est comme si tu avais l’ensemble des acteurs du Seigneur des Anneaux sur une pub de trente secondes pour les assurances auto du Crédit Agricole, même si t’as pas le permis et que tu t’en fous des assurances auto du Crédit Agricole tu vas quand même regarder cette pub pour les assurances auto du Crédit Agricole parce que c’est ouf putain. Et le fait que tout ceci ait été réalisé par Watanabe, réalisateur qui est à l’origine de certains des meilleurs animes au monde mais qui ne fait aujourd’hui plus rien parce plus personne n’a les couilles de lui confier un budget, ajoute encore au prestige de l’ensemble.
J’ai l’air de m’extasier mais je sais très bien que Black Out 2022 est un anime insignifiant qui est d’ores et déjà tombé dans les limbes de l’oubli tout comme le film de Denis Villeneuve qui a été un échec au box-office. Mais on est à un niveau où même un crachat de Watanabe vaut de l’or et où une crotte de nez de n’importe lequel de ces animateurs se savoure comme du caviar. A vrai dire le temps que vous avez pris pour lire cette critique aurait pu suffire à voir le film, donc je ne comprends même pas ce que vous faites encore ici à perdre votre si précieux temps avec moi alors que tant d’animes géniaux le méritent.