Blue Giant est un seinen manga de jazz écrit et illustré par Shinichi Ishizuka, publié entre 2013 et 2016 pour un total de dix volumes, qui a une suite en onze volumes, puis une autre suite en huit volumes, sachant qu’un quatrième partie vient de commencer à être publiée. En tout ce manga comptabilise donc plus d’une trentaine de tomes pour des ventes estimées à près de six millions d’exemplaires et des tas de nominations par la critique BD internationale. Pour moi qui ne lit pas de mangas je ne suis pas étonné d’être passé à côté d’une telle œuvre mais je m’étonne que les soi-disant fans de seinen et de mangas sérieux n’en aient pas plus entendu parler, alors que la série est publiée en France chez Glénat. Heureusement, l’animation est là pour mettre en lumière les histoires qui le méritent.
La première partie de ce manga a donc été adaptée en film d’animation cette année par le studio NUT et le réalisateur Yuzuru Tachikawa, qui fait partie de la nouvelle génération des réalisateurs majeurs de la japanime. Je me souviens l’avoir découvert il y a dix ans avec Death Billards, ce court-métrage qu’il avait réalisé chez Madhouse à l’âge de trente ans et qui a lancé sa carrière émaillée de succès : Death Parade, Deca-Dence et surtout les trois superbes saisons de Mob Psycho 100. Ces dernières années Tachikawa s’est orienté vers le cinéma avec la réalisation de plusieurs films de la franchise Détective Conan et donc cette adaptation de Blue Giant ; et autant dire que quand un réalisateur aussi ambitieux rencontre un manga réputé, le résultat a de quoi faire du bruit.
Dai Miyamoto est un jeune garçon passionné de jazz et qui a appris le saxophone en autodidacte. Dès la fin du lycée, plutôt que de continuer ses études, il prend le premier bus pour Tokyo où il espère se faire connaître dans le milieu de la musique. Ce n’est toutefois pas facile de percer lorsque l’on débarque de nulle part, mais la détermination de Dai ne connaît aucune limite. Un jour, dans un club de jazz en apparence quelconque, il rencontre Yukinori, un pianiste de génie. Leur association va donner naissance à une nouvelle étoile du jazz, une étoile brillante comme une géante bleue…
Quand on pense à anime de jazz le premier titre qui vient à l’esprit c’est Sakamichi no Apollon (Kids on the Slope), dont l’adaptation par Shinichiro Watanabe en 2012 avait lancé le studio Mappa. Sauf que finalement cette série était d’abord et avant tout un shôjo mielleux sur des amourettes adolescentes, tandis que Blue Giant c’est une vraie histoire d’hommes. Des hommes qui sont prêts à tout lâcher pour leur passion, à verser sang, sueur et larmes pour leur art. Dai a pour rêve de devenir le plus grand saxophoniste ténor du monde du jazz, rien que ça, et ce ne sont pas des paroles en l’air. Il n’a pas le temps pour la romance et les états d’âmes, lui ce qu’il veut c’est vivre de sa musique.
Le film dure deux heures et tente d’adapter dix tomes de manga, tout en faisant la part belle aux séquences de performance musicale sur lesquelles ont reviendra ci-après. Autant dire que le rythme est relevé et qu’il faut avoir l’œil attentif pour ne pas louper la moindre scène de développement de personnage. C’est la faiblesse majeure du film : on sent l’aspect résumé de manga, le script est trop condensé. Les personnages principaux sont correctement établis, et on s’attache très vite et très fort à leur histoire grâce à des dialogues simples et percutants. En revanche les personnages secondaires sont inexistants, certaines sous-intrigues sont lancées mais ne mènent à rien. Et pourtant, malgré ce récit clairement à l’étroit, ce film brille d’une luminosité éclatante. Le spectateur est entraîné par ce groupe de jeunes désespérément passionné par la musique, qui va tordre les conventions et les usages pour imposer leur style. La séquence finale du film, puissante et émouvante, est une réussite totale et valide l’entièreté du long-métrage.
La réalisation est évidemment le point le plus intéressant. Tachikawa est un réalisateur qui a toujours été porté sur le visuel, depuis le début de sa carrière et jusqu’à Mob Psycho 100 qui était une des séries les plus abouties visuellement de ces dix dernières années. Ce film s’inscrit dans cette démarche, en particulier durant ces fameuses séquences de performance scénique. Alors oui il y a de la 3D, ce qui disqualifie ce film de concourir au même niveau que la franchise Euphonium ou même des séries telles que Bocchi the Rock. Mais il y a aussi de la 2D, et quand il y en a putain ça envoie, avec des séquences d’animation par certains des artistes les plus en vue du milieu de la sakuga actuelle (Hiromatsu Shû, Vercreek, Zihan Liu…). Ce n’est pas un film qui se satisfait de produire de l’animation la plus propre et la plus peaufinée possible, au contraire la mise en scène va essayer d’aller chercher des images, des couleurs, des mouvements nouveaux pour souligner la créativité des personnages à l’écran. De la même manière que le jazz est un style musical qui laisse une grande part à l’improvisation et à l’expérimentation, l’animation est un art qui s’affranchit du réel pour aller chercher l’émotion pure, et ce film y parvient avec talent.
Impossible de ne pas mentionner la bande-son originale du film, composée par la pianiste de jazz Hiromi Uehara, qui ne vient pas du milieu de la musique d’animes mais du monde du jazz professionnel où elle est internationalement reconnue. Autant dire que ça s’entend à l’oreille, on a affaire à du vrai son qui donne corps à l’énergie des personnages et leur recherche artistique.
J’ai vu quelques animes de musique avec le temps et Blue Giant est un de ceux qui m’a le plus touché artistiquement. Les personnages, la musique, l’image, tout concorde pour rendre une œuvre certes imparfaite mais d’une puissance indéniable, et un des films d’animation japonais majeurs d’une année pourtant riche en la matière.