On poursuit notre rattrapage estival de films avec Cider no Yô ni Kotoba ga Wakiagaru, film d’animation sorti en 2021 et disponible sur N*****x sous le titre « Nos Mots comme des Bulles ». Il s’agit du dernier long-métrage en date de Signal MD, studio fondé par le groupe Production IG au milieu des années 2010 pour occuper le terrain des films d’animation, mais qui jusqu’à présent a surtout enchaîné les bides avec notamment le médiocre Hirune Hime de Kamiyama ou encore l’anecdotique Wonderland de Keiichi Hara. En ce qui concerne Cider no Yô les ambitions semblent différentes cependant ; le film semble moins calibré pour plaire à l’international, et plus recentré vers le public japonais, ce qui explique peut-être pourquoi il n’a pas eu de sortie en salles en France et s’est retrouvé directement sur N******x ; même si le Covid n’a sans doute pas aidé.
Le staff aligne une sympathique brochette de talents, avec notamment le réalisateur Kyohei Ishiguro qui travaille dans le storyboard et la direction d’épisode depuis plus de dix ans et qui s’est également illustré au poste de réalisateur avec des productions visuellement abouties telles que Les Enfants de la Baleine mais surtout, l’adaptation de Shigatsu wa Kimi no Uso qui lui a valu une place dans le top des animes de la décennie d’Anime-Kun. Autre nom qui interpelle, celui du compositeur de l’OST Kensuke Ushio qui depuis quelques années est systématiquement associé aux animes de haut niveau ; collaborateur régulier de Yuasa et de Science Saru, on l’a notamment entendu sur Heike Monogatari l’an dernier et il sera sur Chainsaw Man cet automne. Autant dire que le mec s’est rapidement propulsé au premier rang des compositeurs de japanimation du moment.
Pour finir, et peut-être le plus intéressant c’est que le scénario original est écrit par Dai Satô, un des scénaristes les plus célèbres de l’animation japonaise. Pour nous les vieux quand on pense à Dai Satô on pense aux animes cultes de l’âge d’Or et du début des années 2000, on pense à Cowboy Bebop, Eureka Seven et Ergo Proxy. Aujourd’hui cependant Dai Satô c’est plus tout à fait la même chose, depuis son retour aux affaires on l’a surtout vu dans des productions de moins grande ampleur comme Listeners, Kaitô Joker ou Super Crooks, en gros des animes que personne n’a vu et dont vous ignoriez l’existence avant que j’en parle ici. En ce moment Dai Satô est au scénario sur Yurei Deco qui est actuellement diffusé, ça semble être un peu au-dessus mais en terme d’impact on reste loin des séries cultes d’il y a vingt ans – ce qui à mon avis traduit moins une perte de talent chez Satô qu’une perte d’influence des animes originaux dans la production animée récente, mais bon c’est pas le sujet.
Pour revenir au film, on y suit le personnage de Cherry, un jeune garçon un peu renfermé et passionné par le haïku, cette forme de poésie classique japonaise classique. Il en poste d’ailleurs lui-même sur Twitter mais personne ne les lit, un peu comme moi avec mes critiques sur AK. Son existence tranquille va être chamboulée par sa rencontre avec Smile, une jeune fille qui est son exact opposé : extravertie et populaire, elle fait des live-streams sur Instagram suivis par des milliers de personnes. Cherry vit dans un genre d’équivalent japonais du HLM tandis que Smile habite dans une gigantesque villa avec des chambres tellement énormes qu’elles ont plusieurs étages, c’est genre La Belle et le Clochard quoi. Sauf que même les riches peuvent avoir des soucis orthodontologiques qui obligent Smile à mettre un appareil dentaire, ce qui la gêne énormément et la pousse à porter un masque en public. Les deux jeunes gens, chacun traînant leur adolescence et leurs complexes, vont finir par se rapprocher et peut-être même qu’on aura un petit bisou à la fin.
Le film se déroule principalement dans un seul lieu, un énorme centre commercial typique des banlieues résidentielles, vous savez ce genre d’endroit où les familles vont le week-end pour faire les magasins parce que finalement y’a pas grand-chose d’autre à faire dans le coin. Sur ce point comme sur d’autres, j’ai trouvé le film assez juste dans sa manière de décrire son public cible, cette jeunesse sans histoire des zones péri-urbaines scotchée à ses smartphones et pas toujours à l’aise lorsqu’il s’agit de traiter avec des gens IRL. C’est aussi pour cela que je disais plus haut que le film semble dirigé surtout vers le public japonais, même si je pense que n’importe quel ado peut s’identifier aux personnages et passer un bon moment sans se casser les dents sur la question des règles de composition des haïkus ou la grammaire des kanjis.
L’esthétique du film est intéressante avec un style superflat assumé, des couleurs fluo pétantes qui accrochent l’œil et une image inspirée du comic-book et du pop art. Le chara-design est moins exotique, mais dans l’ensemble il n’y a rien à redire sur la partie visuelle. L’aspect sonore n’est pas en reste et Kensuke Ushio fournit là encore un travail de qualité avec un notamment un thème principal plutôt réussi. La musique tient une place importante dans le film (qui est produit en collaboration avec Flying Dog, un label spécialisé dans la musique d’anime) que ce soit dans la mise en scène ou dans le récit lui-même ; toute la seconde moitié repose sur une histoire de vinyle perdu et de vieilles chansons. On sent l’ébauche d’une volonté de confronter ces personnages d’ados branchés à cette culture du disque analogique et de montrer que si les réseaux sociaux n’existaient pas à l’époque du vinyle, les jeunes de l’époque vivaient les mêmes tourments que ceux de maintenant ; mais ces thématiques sont bien trop survolées pour être autre chose que du contexte.
Cider no Yô est un film sympa à regarder à la fin de l’été, mais il manque un peu de substance pour gravir l’échelon supérieur. L’absence quasi-totale d’enjeux dramatiques entourant les personnages principaux fait que l’on suit le récit de manière détachée jusqu’à une résolution à peine plus relevée que le reste. Cela reste probablement le meilleur film produit jusqu’à maintenant par Signal MD, mais c’est dire à quel point la barre était placée très bas. 6,5/10