Dawn of the Deep Soul est un long-métrage d’animation sorti en 2020 et qui fait suite à Made in Abyss, série diffusée en 2017 et qui a suffisamment plu pour se retrouver dans la shortlist des animes de la décennie d’Anime-Kun. L’histoire se déroule dans un monde de fantasy qui abrite un profond secret ; au milieu de la mer se trouve un gigantesque gouffre dont il est impossible de voir le fond, l’Abysse. A l’intérieur de celui-ci se cachent les vestiges d’anciennes civilisations, des artefacts aux pouvoirs mystérieux et des formes de vie étranges. Les aventuriers du monde entier se massent pour explorer l’Abysse et en découvrir les secrets, mais lourd est le prix à payer. Outre la dangerosité inhérente à ces lieux sauvages et inhospitaliers, une malédictions frappe les hommes qui tentent leur chance ; plus on descend dans l’Abysse, plus il est difficile de remonter à la surface. Dans les strates les plus profondes, il suffit d’essayer de remonter quelques mètres pour commencer à perdre son humanité…
Riko est une jeune fille qui vit dans un orphelinat au bord de l’Abysse. Destinée à devenir exploratrice, elle rêve de devenir un Sifflet Blanc, titre attribué aux quelques héros qui ont osé descendre tout au fond de l’Abysse et sont parvenus à revenir à peu près vivants. Un jour elle rencontre Reg, un mystérieux garçon amnésique qui semble venir des profondeurs du gouffre. Ensemble, ils vont découvrir un secret qui va pousser Riko à entamer un voyage sans retour en direction de l’inconnu.
L’inconnu, c’est ce mot qui résume bien la proposition de Made in Abyss. Cela fait longtemps que je n’avais pas vu un anime aussi riche en idées, avec un univers si détaillé et qui pourtant maintient tout du long cette capacité à surprendre et à inventer. Dans l’Abysse, chaque rencontre peut être celle qui va vous sauver la vie ou au contraire précipiter votre chute ; il n’y a pas de juste milieu, c’est un voyage au confins de l’étrange et du danger qui ne laisse au spectateur aucune minute de répit. C’est l’aventure au sens le plus abouti, cette impérieuse nécessité d’avancer vers l’objectif sans regarder en arrière.
Ce sens de l’aventure, il s’est pas mal perdu dans la japanime moderne qui préfère des produits plus formatés. Dans les animes du genre "isekai" qui font le bonheur des spectateurs d'aujourd'hui, le protagoniste est transporté dans un monde de jeu vidéo où il obtient des cheats lui permettant de surmonter toutes les difficultés et au passage de ramasser son harem d’elfes à gros seins. C’est une narration de la facilité, une manière de brosser le public dans le sens du poil et d'inhiber son intelligence comme ses émotions pour mieux lui vendre la merde industrielle qu'on lui met sous le nez. Made in Abyss propose une démarche totalement opposée. Dès le départ et tout du long, les personnages prennent extrêmement cher et l’anime ne lésine pas sur la mise en scène pour détailler les souffrances physiques et mentales que subissent nos (très) jeunes héros au cours de leur inexorable descente.
C’est un point qui fait d’ailleurs débat au sujet de cette série, cette manière d’abuser du contraste entre les personnages enfantins, leur design mignon et leur comportement naïf, avec des séquences de violence graphique qui parfois relèvent tout simplement du gore. Ce type de "torture porn" n’est pas nouveau dans la japanime, c’est un aspect que partagent pas mal de productions qui ont marqué l’histoire du média (Evangelion et Madoka Magica par exemple) et qui se retrouve ici de manière plus ou moins inattendue. Ce n’est pas un hasard si le manga dont est tiré cet anime a été au départ publié sur Internet, c’est pas le genre de truc que l’on verrait sortir d’un magazine de prépublication de shônen classique. Il y a dans cette série quelque chose de résolument malsain, des appels du pied à certains instincts que l’on trouve généralement dans les doujins et autres publications vendues sous le manteau. Et c’est souvent lorsque ces pulsions sombres, nées et maturées dans l’inconscient collectif du fandom, surgissent au milieu du mainstream que s’opère ce choc dont sont issus les animes qui marquent leur époque.
Pour revenir à Dawn of the Deep Soul, le film est tout comme la série (ou ses deux compliations) produit par le studio Kinema Citrus et réalisé par Masayuki Kojima. Ce vétéran de l’animation japonaise a démarré son activité dans les années 80 en tant que storyboardeur, poste qu’il occupe encore aujourd’hui et sur lequel il a officié sur un très grand nombre d’animes. Il fera l’essentiel de sa carrière au studio Madhouse où il sera notamment réalisateur sur ce qui est peut-être une des plus grandes séries de tous les temps, l’adaptation du manga Monster de Naoki Urasawa. Comme beaucoup d’autres il quittera Madhouse au tournant des années 2010 lorsque le studio tombe sous le contrôle de Nippon TV, mais plutôt que d’aller chez Mappa comme la plupart de ses anciens collègues ou de fonder son propre studio comme Yuasa, il trouvera refuge au studio Kinema Citrus où il produira plusieurs animes parmi lesquels sa création majeure.
En effet Made in Abyss est une production de haut niveau avec des décors de fantasy vertigineux, une animation soignée (Kazuchika Kise, célèbre animateur du studio Production IG, est crédité au chara-design) et surtout ma marotte, les créatures en 2D, c’est quelque chose auquel je suis particulièrement sensible et Made in Abyss n’est pas avare en la matière ; faut dire que ça aide quand on a Kou Yoshinari au design des monstres. A bien des égards la série est une réussite technique, que le film vient souligner. Tout est plus fin, plus grand, la mise en scène est plus percutante, et l’animation atteint des sommets de qualité. Au début et au milieu du film tu te dis bon c’est la série télé en 10% plus beau, ça justifie pas un film, puis quand les combats démarrent vers la fin là par contre tu comprends où est passé l’argent, t’as dix bonnes minutes de sakuga t’as pas perdu ton temps. Au passage le principal antagoniste de cet arc, Bondrewd le Souverain de l’Aube, est doublé en japonais par le comédien Toshiyuki Morikawa, je sais pas si on doit chercher une référence à Diamond is Unbreakable mais difficile de pas y penser dès qu’il sort une réplique.
Cela fait plus de deux ans que je n’ai pas attribué de 9/10 à un anime sur ce site. A mon sens un 9 c’est un anime qui non seulement correspond complètement à mes goûts, fait preuve d’une excellence technique et artistique et surtout mérite d’être vu par tous ceux qui s’intéressent à ce média et à cette culture de la japanimation. Made in Abyss coche tous ces critères et je n’ai pas de doute qu’une fois arrivé au fond de l’Abysse cet anime se sera hissé au sommet.