Madhouse fait partie des studios les plus respectables et estimés du petit milieu de l’animation japonaise. Pas tant pour la qualité intrinsèque de leurs productions, qui peut varier de l’excellent au minable, mais pour leur esprit d’initiative consistant à aller chercher des talents et à leur donner les moyens de s’exprimer. C’est ainsi Madhouse qui mit le pied à l’étrier à Yoshiaki Kawajiri, Maasaki Yuasa, Satoshi Kon, Mamoru Hosoda, et bien d’autres.
Mais tous ces noms que je viens de citer ont cessé leur activité ou sont partis fonder leur propres structures. Au cours de ces dernières années Madhouse fut vidé de ses forces créatives, et également privé de son fondateur Masao Maruyama parti créer le studio Mappa en emportant avec lui son carnet d’adresses. Pour survivre, Madhouse avait un besoin urgent de sang neuf.
Ce sang neuf, Madhouse l’a trouvé lors de l’Anime Mirai 2013, sorte de compétition de courts-métrages financés par le gouvernement japonais et visant à lancer de jeunes réalisateurs. Et le court-métrage Death Billards était pour le coup l’œuvre d’un parfait inconnu, Yuzuru Tachikawa. Sorte de réinterprétation moderne du mythe du Purgatoire, cet anime à l’ambiance feutrée et au ton légèrement cynique fit suffisamment impression pour décider Madhouse à en faire une série télé de douze épisodes - transformant de fait l’Anime Mirai en pilotes subventionnés par l’État, ce qui n’a pas trop plu au gouvernement à l’époque, mais bon, c’est pas le sujet.
Death Parade relate les évènements étranges se déroulant au bar Quin Decim, un lieu situé entre ici et l’au-delà dans lequel les âmes en attente d’être réincarnées sont jugées selon un rituel particulier. En effet, deux candidats doivent s’affronter dans un jeu aux règles parfois perverses, qui a pour but de leur provoquer des émotions fortes les poussant à révéler leurs sentiments enfouis et/ou leur passé trouble. Le but est généralement de savoir qui va craquer le premier, avec un aspect voyeuriste et sensationnaliste prononcé – et savoureux.
La série adopte une narration semi-linéaire, car s’il y a des personnages récurrents et un semblant de chronologie, chaque épisode raconte une histoire différente qui se résout une fois le jeu terminé. Ce genre de construction n’a rien de nouveau, mais elle a tendance à être de moins en moins utilisée car elle oblige les scénaristes à écrire de bonnes histoires qui se tiennent pour chaque épisode ; or la qualité d’écriture des animes japonais est devenue trop naze pour soutenir un tel effort. Le court-métrage Death Billards ainsi que le premier épisode de cette série offraient toutefois de bons espoirs de voir quelque chose un tant soit peu intéressant sous ce format. Espoirs qui n’ont pas été totalement concrétisés.
Car si les épisodes consacrés aux différents jeux et aux jugements des candidats sont globalement plaisants, la série consacre la moitié de son temps à tenter d’installer une mythologie et une méta-intrigue autour du bar Quin Decim et de ses résidents. A la manière d’un xxxHolic ou d’un Jigoku Shôjo, la série sort progressivement de sa routine pour aller s’intéresser aux personnages récurrents et à leur monde, afin de créer une empathie qui s’étendrait au-delà de leur rôle de simples présentateurs. Malheureusement cette ambition échoue pour une raison assez simple : on s’en branle.
On comprend en effet très vite que cette mythologie autour du bar ne mène à rien, puisqu’elle n’influence pas le déroulement des jeux et ne sert qu’à remplir un épisode sur deux. On s’emmerde sec de voir les personnages disserter sur des notions dont on se fout complètement, et on se résout finalement à devoir mettre la moitié de la série à la poubelle parce que M. Tachikawa n’a pas réussi à écrire suffisamment de situations variées pour tenir une saison complète. Et d’ailleurs, les jeux en eux-mêmes sont loin d’être aussi palpitants que ceux d’un Kaiji ; les règles sont souvent sommaires et on apprend bien vite que les jeux tout comme les jugements sont truqués, leur issue relevant uniquement du bon vouloir de l’arbitre. Et dès lors c’est toute la prétention morale ou psychologisante de la série qui tombe à l’eau.
La série se rattrape pas mal sur sa réalisation ; c’est de Madhouse dont on parle, ils connaissent leur métier. La direction artistique est impeccable, l’anime profite de son unité de lieu pour soigner les décors du bar et y intégrer plus de détails. Pareil pour la bande-son jazzy, l’excellent opening et les doublages assurés par tout un tas de guests stars. L’animation en elle-même laisse à désirer, Le premier épisode promet des merveilles mais les séquences sakuga se feront finalement assez rares.
Il serait injuste d’enfoncer Death Parade pour n’avoir pas concrétisé ses ambitions alors que c’est justement une des très rares séries (voire la seule depuis le début cette année) à en avoir fait preuve, d’ambition. Les maladresses d’exécution sont imputables à l’inexpérience du réalisateur, Yuzuru Tachikawa n’a que 33 ans et n’avait pas les épaules ni la bouteille pour tenir un projet original de cette ampleur ; d’où les répétitions, le remplissage, et l’écriture parfois assez laxiste des épisodes. Pour ma part je vous conseille de regarder Death Billards puis d’enchaîner éventuellement sur les épisodes 1, 4, 6, 8 et 9 de la série télé. Ce sera vite bouclé et vous aurez vu tout ce qu’il y a à en voir.