Le 7 mars 2022, le manga Dr. Stone de Boichi et Riichiro Inagaki trouve sa conclusion dans les colonnes du magazine Weekly Shônen Jump au bout de cinq ans de publication pour un total de 25 volumes. L’occasion de revenir sur cette licence typique du shônen de la nouvelle génération. Note : la présente critique concerne les deux saisons de la série télé.
Senku est un lycéen japonais doté d’une intelligence supérieure et passionné par la science. Un jour, un mystérieux phénomène frappe la planète Terre et transforme tous ses habitants en statues, mettant brutalement fin à la société humaine. Cependant, environ 3700 ans après ce jour fatidique, Senku reprend possession de son corps aussi brutalement qu’il l’a perdu. Il se retrouve complètement seul dans un monde redevenu sauvage et inhospitalier. Grâce à ses connaissances scientifiques, il parvient à trouver un moyen de ressusciter d’autres personnes et choisit de faire revenir Taiju, son meilleur ami, pour l’aider à survivre et reconstituer la civilisation dans ce monde de pierre…
La principale accroche de Dr. Stone est l’utilisation de la science et de la technologie comme moteur de la progression des personnages. La brique fondamentale du shônen c’est la confrontation, qu’elle soit physique ou émotionnelle ou intellectuelle. Ici la confrontation s’opère d’abord entre Senku et ce monde sauvage où la civilisation a disparu et où il faut se débrouiller avec les moyens du bord pour survivre. Heureusement Senku est capable de réciter Wikipédia par cœur est peut donc immédiatement identifier les ressources utiles, la manière de les utiliser, et élaborer des plans à long-terme pour assurer la survie du groupe. Par exemple la première technologie que Senku se procure est la fabrication du carbonate de calcium, car c’est un élément utile pour plusieurs applications cruciales (fabriquer de l’engrais, le transformer en chaux pour construire des habitations, et le mélanger à des matières grasses pour obtenir du savon). C’est dans ce genre que la série évolue, avec des inventions de plus en plus élaborées jusqu’à la création de technologies bizarres comme le téléphone construit avec du bois ou le char d’assaut en papier. On sent que l’auteur est principalement inspiré de jeux vidéo centrés sur la survie et la fabrication tel que Minecraft, qui est extrêmement populaire au Japon, ou de simulations basées sur l’évolution technique comme dans Civilisation où pour gagner la partie il faut être le premier pays à envoyer une fusée dans l’espace. Dans l’anime chaque invention majeure de Senku est accompagnée d’un bruitage NES façon Dragon Quest. Cette progression du récit par l’acquisition de technique plutôt que par la prise de pouvoir, où on démarre avec des personnages à poil dans la forêt et qui se termine avec la construction d’une centrale hydroélectrique, est l’aspect le plus intéressant et le plus réussi de la série.
J’expliquais à l’instant que la base de l’écriture du shônen c’est la confrontation et que dans Dr. Stone il s’agit d’une confrontation entre l’Homme et la nature. Assez rapidement toutefois, le récit introduit un rival qui vient s’opposer à Senku et ses amis. Tsukasa, décrit comme le lycéen le plus fort de l’ordre des primates (sic) considère que le monde doit être régi par la loi du plus fort et que la technologie mène à la civilisation qui elle-même mène à l’autodestruction. Une confrontation idéologique qui mène à de vrais combats comme on s’y attend dans une série du Jump, avec toutefois la particularité que Senku ne possède aucune capacité physique ni aucun talent athlétique et devra utiliser la science et la technologie pour triompher de ses adversaires. Ce type d’affrontement asymétrique s’inscrit dans ce que les auteurs Tsugumi Obha et Takeshi Obata avaient théorisé dans Bakuman, à savoir le "shônen de baston non-mainstream" aussi appelé "shônen de combat sans combat", et que l’on retrouve régulièrement dans le Jump avec des séries telles que Death Note ou Neverland entre autres, et dont Dr. Stone est un exemple topique.
Bon après au-delà du concept de base c’est pas l’école des Mines non plus quoi, ça reste du shônen publié dans un magazine orienté vers les 14-16 ans. Par exemple une fois que Senku aboutit à une technologie, la série ne s’embarrasse pas d’expliquer comment il parvient à la conserver ou à la reproduire ou à se procurer les matières premières, tout ça est traité off-screen ou par des mentions en bas de page du genre « ils allèrent récupérer du tungstène et des filons aurifères puis ils retournèrent manger des patates ». On suppose que discuter des lignes d’approvisionnement, des questions de stock et de logistique ne constituait pas le divertissement adéquat pour ce genre de série, ce que je peux comprendre. En revanche le truc qui me gêne vraiment c’est que l’univers est bizarrement foutu, genre ça se passe 3700 ans dans le futur à partir d’aujourd’hui mais il n’y a quasiment aucun vestige de la civilisation actuelle. Genre aujourd’hui on peut aller voir des pyramides construites il y a 5000 ans mais dans ce manga on considère que dans trente siècles il ne restera plus rien du monde moderne tout en béton et en métal ? C’est pas très crédible, et le truc c’est que la fiction post-apocalyptique c’est ce qu’il y a de plus répandu en ce moment donc on a l’habitude de ce genre de récit. Je pense que l’auteur aurait mieux fait d’imaginer une histoire de voyage dans le temps ou transporter Senku et ses potes sur une autre planète par exemple, cela aurait été plus simple.
L’anime est produit par TMS, vénérable studio qui opère depuis les années 60 et qui est principalement connu comme le dépositaire de franchises historiques telles que Lupin the Third ou Détective Conan. C’est le genre de studio d’animation qui n’a pas vraiment de style propre ou de ligne éditoriale claire en dehors de produire des animes médiocres et alimentaires (Rent-A-Girlfriend) pour faire rentrer de la trésorerie qui sert à financer des projets plus exigeants (Megalobox 1&2), ce qui est finalement la manière peut-être la plus saine de conduire sa barque dans cette industrie de la japanime hautement sous influence. Concernant Dr. Stone on ne peut pas dire que la qualité technique ou la mise en scène aient été les priorités de l’adaptation comme elles ont pu l’être sur d’autres séries tirées de mangas récents du Jump, au hasard Jujutsu Kaisen dont le premier chapitre a été publié dans le magazine deux mois après celui de Dr. Stone et dont les adaptations respectives n’ont pas vraiment eu le même retentissement. Le chara-design de l’illustrateur Boichi est bien respecté, avec ses forces et ses faiblesses (les personnages masculins ressemblent à des héros de Jojo Bizarre Adventure tandis que les personnages féminins rappellent les pires moments des OAV érotiques des années 2000) alors que l’animation ne s’élève jamais au-dessus de la plus ordinaire des banalités. Le bon côté des choses c’est que la production est tellement fauchée qu’ils n’avaient pas les moyens de se payer des animateurs 3D du coup les images de synthèse sont réduites au minimum et les objets, accessoires et inventions sont dessinées et animées à la main et c’est toujours apprécié.
La série a fait l’objet d’une première saison en 2019 puis d’une suite en 2021 pour un total de 36 épisodes, lesquels ne couvrent que les 83 premiers chapitres sur les 232 que compte le manga terminé, soit 35% du contenu. Pour le moment aucune suite n’a été annoncée ce qui place la série dans une situation similaire à d’autres mangas du Jump dont les adaptations ont été mystérieusement interrompues (Haikyû ? Black Clover ?). Cela dit l’anime s’arrête de manière cohérente à un point d’inflexion du récit et pour être honnête, même si j’ai été convenablement diverti, c’est pas non plus le genre de truc où je vais me réveiller la nuit en sueur en guettant la suite. Pour autant si vous recherchez une série à la fois drôle et surprenante, recherchée mais qui ne se prend pas la tête, Dr. Stone est prescrit sur l’ordonnance du Dr. Deluxe.