Toei Animation a beau être un acteur historique et incontournable de l’animation japonaise, il en est aujourd’hui devenu sa pire ennemie. Cela fait quelques temps en effet que le studio responsable de Dragon Ball et One Piece affiche sans complexe son dédain pour l’animation traditionnelle et sa fascination pour l’animation par ordinateur, trahissant ainsi cinquante ans de son histoire.
Persuadés que l’avenir de l’animation japonaise consiste à chier sur son public historique pour aller lécher les bottes des américains, Toei a placé ses efforts et sa fortune à la création de films en images de synthèse à très gros budget susceptibles d’impressionner l’Occident. C’est ainsi que défilèrent les Albator 3D, les Saint Seiya 3D et j’en passe. Un massacre de licences à échelle industrielle, pour des films qui connurent un succès très mesuré en Occident et qui furent tout simplement ignorés au Japon. Conscients que le public japonais ne se rallierait pas à son nouveau paradigme tant que les otakus – le noyau dur des fans d’animation - resteraient attachés à l’animation 2D, Toei décide frapper un grand coup en annonçant la production d’un film en 3D spécialement destiné au otakus, dans l’espoir de les faire basculer eux aussi du côté obscur.
C’est ainsi que naquit Expelled from Paradise (Rakuen Tsuihou), projet en développement depuis plusieurs années autour de la figure surexposée de Gen Urobuchi ; car quitte à faire un film pour otakus, autant aller chercher leur chouchou. Gen signe ainsi son premier long-métrage original, ce qui signifie qu’il s’est beaucoup plus impliqué dans ce projet que dans la plupart des animes pour lesquels il a collaboré dernièrement. Et ça se voit.
Expelled from Paradise se déroule dans un monde post-apocalyptique dans lequel une partie de l’humanité a choisi de se faire cybernétiser, et dont les consciences évoluent dans une réalité virtuelle appelée Deva. L’unité centrale de Deva se situe sur une station spatiale en orbite, tandis que le reste de l’humanité survit tant bien que mal sur Terre. L’histoire débute alors que Deva fait l’objet d’attaques répétées d’un pirate informatique. Les administrateurs décident d’envoyer plusieurs agents dans le monde réel, c’est-à-dire sur Terre, pour trouver et neutraliser la menace. On suivra la première d’entre ces agents, Angela Balzac, alors qu’elle découvre le monde réel en compagnie de son contact local, Clint Eatswood.
Dès la lecture de ce synopsis, on retrouve tous les tics d’écriture de Gen Urobuchi, à commencer par le duo de personnages principaux, un garçon et une fille, qui viennent d’horizons éloignés et qui ont un mode de pensée différent (Red/Amy dans Gargantia, Akane/Kogami dans Psycho-Pass, Saber/Kiritsugu dans Fate Zero, Inaho/Asseylum dans Aldnoah Zero…) On a également droit à ce style d’écriture hérité des VN qui ont fait l’essentiel de la carrière de Gen, c’est-à-dire énormément de dialogues sur des thématiques diverses et variées pour faire croire au spectateur que ce qui se passe à l’écran est particulièrement intelligent – alors qu’en fait c’est surtout beaucoup de verbiage et beaucoup d’émoluments pour les seiyuus.
L’histoire en elle-même est assez simple et rondement menée, grâce notamment au storyboard de Tomoki Kyoda qui a bossé à ce poste sur RahXephon, Eureka Seven ou encore Rebuild of Evangelion - excusez du peu. Passé un début pénible, le film trouve son rythme de croisière et malgré un bavardage intempestif, les enjeux de l’histoire et les dilemmes auxquels sont confrontés les personnages finissent par nous intéresser et mènent à une conclusion sympathique quoique attendue. Mais ce n’est pas tant le récit qui intéressera le spectateur dans ce film, vous l’aurez compris désormais.
Comme beaucoup de fans d’animation japonaise, je suis réfractaire à l’usage des CG dans les animes, en tout cas lorsqu’il s’agit d’animer des personnages. Par rapport à certaines tentatives récentes de séries télé en CG, Expelled from Paradise arrive à ne pas être honteux. Les personnages ne donnent pas trop l’impression de se balader avec un balai dans le cul et l’acting comme les mouvements ont été travaillés un minimum. Le meilleur est atteint avec les scènes de combats, assez dynamiques et spectaculaires ; je pense notamment à la superbe séquence de bataille spatiale où tout est tellement rapide que l’œil humain n’arrive plus à distinguer la 2D de la 3D. En bref, le problème n’est pas là.
Comme expliqué plus haut, tout l’intérêt du film pour la Toei consistait à convertir les otakus à l’animation 3D en leur servant tout ce qu’ils aiment dans un seul film. Et le problème de servir aux gens uniquement ce qu’ils aiment, c’est que ça peut vite devenir écœurant. Et pour quelqu’un comme moi qui place la direction artistique et l’esthétique au-dessus de toute autre considération, je n’ai pas pu empêcher de trouver ce film d’une effroyable vulgarité visuelle. Le design de l’héroïne est tout simplement putassier, et le choix de la faire doubler par Rie Kugimiya n’a rien d’innocent non plus. Les designs des robots et des monstres ne ressemblent pas à grand-chose, les décors sont ternes, et le tout est accompagné d’une musique techno-dubstep dégueulasse digne d’une OST de Sawano. La première scène du film qui nous présente l’héroïne dans un maillot de bain échancré d’un genre immonde se faisant draguer par un tas de muscles en moule-bite violet m’a donnée envie d’éteindre l’ordi et de lasser toutes ces conneries derrière moi.
Expelled from Paradise est un film de divertissement sympathique sur le papier, sur lequel Urobuchi a donné ce qu’il savait faire de mieux et qui a profité de quelques talents pour la mise en scène. Pour le reste, l’ambition du film de s’adresser au plus petit dénominateur commun des otakus le rend assez lourd par moments et visuellement je ne vois vraiment pas ce qui pourrait convaincre les gens d’abandonner soixante ans d’histoire de l’animation japonaise pour des cinématiques de jeu PS3 boostés. C’est bien essayé Toei, mais je préfère rester à mes bons vieux dessins animés.