« Ça s’est passé en l’an 1 après Evangelion. Les gens normaux y disaient 1996, mais nous on préférait dire que c’était l’an 1 après Evangelion. C’était plus clair pour nous. »
« Ils sont venus nous voir un par un. Ils nous ont dit qu’ils avaient besoin des meilleurs, et on était les meilleurs. Au Vietnam, j’avais exfiltré des prisonniers de guerre tout seul, équipé d’un coupe-ongle et d’un rouleau de papier-toilette en carton. Une vraie boucherie que c’était. 26 morts confirmés et 47 non-confirmés. C’était l’enfer, colonel. Les gars du QG comprenaient pas que j’ai pu survivre. Ils m’ont dit que j’étais un héros, certains m’ont dit que j’étais un monstre. Mais moi je suis juste un homme. Enfin je crois. »
« Ils nous réunis pour un briefing de mission. On était trois. Je connaissais les deux autres, on avait bossé ensemble sur une mission au Vietnam. Assassiner un général ennemi retranché dans une prison de haute sécurité située en pleine jungle, avec pour seul équipement un trombone et des bons de réduction de chez Carrefour Market. Une vraie boucherie que c’était. 128 morts confirmés et 54 non confirmés. C’était l’enfer, colonel. Mais c’était rien par rapport à ce dans quoi ils nous ont foutus. »
« Il nous ont fait signer une décharge comme quoi on assumait toutes les responsabilités de ce qui pouvait se passer pendant la mission. La procédure quoi. Puis ils nous installés dans une pièce avec une télé, des fauteuils et du manger. Je revois encore cette pièce, je revis tout ce qui s’y est passé, j’entends encore ces cris. Ces cris… Il n’y a pas de nuit sans que ces cris me reviennent en tête. »
“DAMN YOU YAMATO-TAKERU-NO-MIKOTOOOAAAHHH…”
« On a commencé par le début. Reconnaissance du terrain, collecte d’informations. L’anime y s’appelait Garzey no Tsubasa, sorti en l’an 1 après Evangelion. Trois OAV, d’une demi-heure chacun, compilés en un film d’une heure et demie. C’est marrant comment un homme peut basculer en heure et demie. Comment on peut perdre tout espoir dans le monde en heure et demie. Comment on peut tomber dans la folie en heure et demie. »
« Le gars qui avait fait l’anime, c’est Yoshiyuki Tomino. Un japonais, évidemment. C’est des niqués de la tête ces japonais. Mais celui-là c’est le plus niqué de la tête de tous les japonais. Un gars qui a écrit, réalisé et storyboardé un truc comme Brain Powerd c’est sûr qu’il va pas bien dans sa tête de toute façon. Mais là, c’était encore autre chose. C’était… C’était pas humain. Ça venait d’ailleurs, je sais pas d’où, mais pas de ce monde. Je peux pas croire que le Bon Dieu puisse permettre à ce genre de chose d’exister. Ou alors c’est qu’il nous hait. »
« Le héros il s’appelle Chris. C’est un japonais mais il s’appelle Chris. Je sais pas pourquoi. Je comprenais pas. Il commence l’anime sur sa moto qu’il prend pour rentrer chez lui pour préparer un examen. Il arrive près d’un temple, un canard géant lui passe dessus et il est transporté dans une autre dimension. Il est complétement à poil et il rencontre une fée aux cheveux verts qui s’appelle Falan Fa. Il se bat à poil contre des mecs montés sur des dinosaures qui tirent des flèches. Il a des ailes qui lui poussent aux pieds parce que c’est lui le héros de la légende de la tribu des esclaves qui se rebellent. »
« Ça faisait cinq minutes dans l’anime. Cinq putain de minutes, et on avait le cerveau comme dans une centrifugeuse. Rien n’avait de sens, rien n’avait de but. On dirait que c’était écrit par quelqu’un qui venait d’une autre planète. On a continué quand même. Des dinosaures, plein de dinosaures partout. On s’en souvient parce que c’est les seuls dans l’anime qui parlaient pas. C’est les seuls qui n’ouvraient pas la bouche pour raconter des trucs incompréhensibles qui n’avaient aucun rapport avec l’intrigue. C’étaient les seuls qui ne nous infligeaient pas ce doublage anglais. Oh putain, ce doublage anglais. Il résonne dans ma tête comme l’écho d’une voix diabolique qui se répercuterait dans ma boîte crânienne. Des fois je l’entends si j’arrête de parler. Tenez, elle est là…
“DAMN YOU YAMATO-TAKERU-NO-MIKOTOOOAAAHHH…”
« L’histoire c’est les rebelles qui veulent plus être esclaves et qui s’en vont je sais pas où avec le guerrier de la légende qui a des ailes aux pieds. C’est Chris le héros de la légende, mais en fait y a deux Chris. Y’a celui qui est dans le monde réel et celui qui est dans le monde des dinosaures. Et les deux ils communiquent par la pensée. Et il a son collier qui bouge. Et les esclaves ils ont du Gada, c’est de la poudre qui explose Et Chris il enduit ses flèches de Gada grâce une substance visqueuse et blanchâtre que Falan Fa lui donne quand elle se frotte dessus. Oui, je sais. »
« Dans le deuxième épisode le héros il cherche des plans pour construire un fusil avec le Gada. Parce que lui il a un double dans le monde réel qui est plus avancé que le monde des dinosaures. Donc il connait la technologie. Ça c’est bien. C’est intéressant cette idée d’un héros dans un monde de dinosaures qui connait la technologie et qui s’en sert contre ses ennemis. Mais l’anime il en faisait rien de ces idées. Les personnages avancent dans un but mal défini, ils y parviennent ou pas, on s’en fout, rien n’est expliqué. A la fin tu ne sais pas si le héros il retourne ou pas dans monde. Il s’en fout complètement, à la fin de la série le héros est sur sa moto avec sa copine, parce qu’il a une copine, et la moto il lui pousse des ailes aux roues et elle s’envole au-dessus de l’autoroute. »
« Quand c’était fini, j’ai regardé mes coéquipiers. Je les avais totalement oubliés. Le premier était allongé près du mur du fond, la tête en sang. Il avait tenté de se défenestrer mais ils avaient mis des barreaux aux fenêtres. Il s’est alors tapé la tête contre le mur jusqu’à s’assommer. Tout valait mieux que d’entendre cette voix. »
“DAMN YOU YAMATO-TAKERU-NO-MIKOTOOOAAAHHH…”
« Le deuxième était agenouillé par terre, il pleurait et appelait sa maman. Le gars faisait deux mètres dix, cent kilos de muscles, il avait fait le Vietnam, médaille de guerre, champion de boxe poids lourds, et il pleurait sa maman après une heure et demie d’anime japonais. C’était l’enfer, colonel. Une vraie boucherie. »
« Ils nous ont sortis et ils nous ont fait passer des tests psychologiques. J’étais le seul à peu près en bon état. Celui qui s’était éclaté la tête sur le mur était bon pour la casse. L’autre a été diagnostiqué un PTSD et a été radié de l’armée. Moi je m’en suis sorti. Abîmé, certes, mais vivant. Vous savez pourquoi colonel ? Parce que Garzey’s Wing, c’est Shiro Sagisu qui a fait la musique. Le gars d’Evangelion. Et ça veut dire une chose, colonel, c’est que même dans les tréfonds de l’Enfer, même au sein des ténèbres les plus impénétrables, même lorsque la Mort vous rigole dessus, et bah y’a quand même du beau dans ce monde. Un rayon de lumière, un truc qui vous fait croire un instant fugace que la vie vaut peut-être la peine d’être vécue. »
« Après la mission je suis retourné en Arkansas. J’ai pris un boulot de mécano dans le garage d’un pote à mon oncle. Je faisais parfois des cauchemars mais globalement je pensais en être sorti. Puis vous êtes venu, colonel. Vous m’avez dit que vous aviez besoin du meilleur. Vous m’avez dit que le japonais il avait récidivé. Gundam no Reconguista, que ça s’appelle. »
« Moi j’ai dit oui. Je pense que je suis déjà foutu dans ma tête, mais les gosses d’aujourd’hui méritent pas ça. Ils ont droit à mieux. Nous les vieux on est là pour ça, on nous appelle pas vétérans pour rien. Je le ferais pas pour vous, colonel. Je le ferais pour les générations futures. »