Ghost in the Shell, c’est avant tout un certain standard. Un standard de l’animation japonaise qui se prend au sérieux et qui s’en donne les moyens. Un standard de dessin animé qui place le récit et le style au-dessus des archétypes et des clichés. Un standard qui vise les fans de SF du monde entier avant le marché domestique japonais verrouillé par les otakus.
Souiller un tel standard de la japanime aurait été non seulement fatal au studio Production IG qui lui doit sa prestigieuse réputation, mais c’eût été porter un coup mortel à une industrie de la japanime qui s’embourbe d’année en année dans la trivialité. C’est pour cela que l’annonce d’un reboot de la licence fut accueillie froidement par une partie de la vieille garde, pour qui GitS reste un sanctuaire de respectabilité. Ce reboot, nommé Arise, mélange un peu de toutes les versions de la licence (les films de Oshii, les séries de Kamiyama et leurs OAV) pour s’intéresser à la création de la Section 9 ; le tout en quatre OAV d’une heure chacun, sortis sur un peu plus d’an.
Arrêtons-nous d’ailleurs sur ce point précis : Arise n’est pas un remake ou une préquelle, mais bien un reboot de la franchise Ghost in the Shell. La Mokoto Kusanagi de cette série n’est pas la même que celle des films de Oshii qui n’était pas non plus celle des séries de Kamiyama. Le positionnement de cette production est en fait assez bâtard ; elle nous propose une nouvelle continuité dans l’univers de GitS, mais fait des références incessantes aux animes précédents et s’adresse clairement aux fans de la franchise.
Pour s’attirer leurs bonnes grâces, Production IG a propulsé au rang de réalisateur-en-chef un homme au-delà de tout soupçon : Kazuchika Kise est animateur de métier, et a bossé sur la plupart des licences fortes du studio (GitS, Patlabor, Blood, xxxHolic). Mais c’est le poste de scénariste qui fit hausser les sourcils, Tow Ubukata étant un romancier dont les incursions dans le monde de l’animation ne se sont pas toujours couronnées de succès. Sa dernière tentative, Mardock Scramble, voulait se rapprocher du ton cyberpunk-noir de GitS mais n’avait manifestement pas compris qu’une ambiance ne suffisait pas à faire un film. Arise se trouve-t-il être également un de ces animes qui ne réussit que son emballage ?
Nous sommes donc en 2027, quelques temps après la Quatrième Guerre Mondiale non-nucléaire. La cybernétisation du cerveau humain est achevée et l’industrie biomécanique a atteint un stade où les cyborgs sont devenus une banalité. Le Major Mokoto Kusanagi est une de ces cyborgs : la meilleure, en fait. Appartenant à une unité d’élite de l’armée, elle décide d’outrepasser ses prérogatives pour enquêter sur le décès de son mentor. Ce faisant elle rencontrera Aramaki, de la Sécurité Publique, qui finira par la libérer des contraintes de son engagement militaire pour lui accorder la direction de sa propre unité anti-cyberterrorisme : la Section 9.
Dès le premier OAV, qui selon moi est le meilleur, le spectateur le plus méfiant peut se voir rassuré. GitS est de retour, et pas dans une version édulcorée pour otaku fan de moe. On est dans de l’anticipation pure et dure, avec une trame complexe qui joue sur les faux-semblants grâce à ce plot-dive malin du piratage de cerveau. Le personnage de Kusanagi est particulièrement bien traité : la cyborg surhumaine et toute-puissante des précédents GitS laisse place à une jeune femme forte mais capable d’émotions et de faiblesses, et qui s’interroge sincèrement sur son humanité. Une intrigue à long terme est introduite à la fin avec le "Fire-Starter", un mystérieux hacker qui rappelle évidemment le Puppet Master ou Le Rieur.
Le second OAV laisse bizarrement cette intrigue de côté pour nous plonger dans un nœud de conspirations politico-militaires dans la plus pure tradition de Stand Alone Complex. Il faudra attendre le troisième épisode pour revenir sur l’intrigue principale, dans une histoire de trafic de corps artificiels plutôt intéressante et au sujet plus SF que jamais. Le dernier épisode est plus orienté action et voit l’équipe de Kusanagi confrontée à son ultime (?) ennemi.
De manière générale les scénarios sont intéressants, utilisent à peu près tous les ressorts permis par l’univers de GitS et surtout ne prennent pas le spectateur pour un abruti. Le fait de baser le récit sur la technologie permet de toujours retomber sur ses pattes tout en proposant des scènes d’actions spectaculaires – contrairement à ceux qui basent leur récit sur la philosophie (Re:Cyborg 009) ou la psychologie (Psycho-Pass) et se retrouvent vite face à un mur.
L’autre aspect d’Arise qui aura fait couler beaucoup d’encre numérique avant même la diffusion du premier épisode est la direction artistique, plus « neutre » que celle des précédentes itérations. Le monde de GitS Arise est moins futuriste, ses designs moins travaillés. Ils ne sont pas toutefois dénués de personnalité, puisqu’ils servent avant tout à donner un plus fort sentiment de réalité. L’animation en elle-même est assez particulière, dynamique et réaliste dans le style Prod IG, mais pas aussi propre que dans d’autre OAV sortis dans la même période. En contrepartie, la cinématographie et notamment le travail de la caméra est bien supérieur à ce qu’on peut trouver en série télé.
La seule vraie faute de goût est à trouver au niveau de la musique, signée par Cornelius – un musicien connu de la scène alternative japonaise mais totalement novice dans le monde de l’animation. Passer après Kenji Kawai et Yoko Kanno était certes difficile, et aller chercher de nouvelles têtes est une démarche louable mais le résultat n’est tout simplement pas à la hauteur.
Pour le reste, Arise fait preuve d’une bonne volonté évidente en cherchant d’abord à respecter l’héritage de la licence au lieu de renverser la table. Les plus exigeants n’y verront qu’un succédané tardif de SAC, un produit neutre bancal par rapport aux films et aux séries ; et ils auront sans doute un peu raison. Mais si on compare à ce qui se fait (ou plutôt ne se fait pas) en SF animée ces temps-ci, Arise propose une alternative valable, un divertissement soigné qui ne se fout pas trop de la gueule de son public. L’annonce d’un film à venir promet le sursaut d’ambition qui manquait peut-être à ces OAV, et Production IG n’en a pas fini avec Ubukata puisqu’il sera au travail sur la deuxième saison de Psycho-Pass dès cet automne. Si les producteurs de Under The Dog veulent vraiment sauver l'animation japonaise, qu'ils commencent par égaler ce niveau-là.