Sorti au Japon en 1995, le film Ghost in the Shell marqua un tournant considérable pour l’animation japonaise au cinéma, équivalent à ce qu’accomplit la même année Evangelion dans le monde des séries télé. Désormais, les films d’animation ne seraient plus seulement des annexes de productions télé ou des divertissements pour enfants ; il pourrait s’agir aussi de films avant-gardistes, visant un public adulte, cultivé et international. Dès sa sortie, Ghost in the Shell s’est imposé comme une référence incontournable de l’animation japonaise, mais aussi du cinéma en général et de la science-fiction dans son ensemble.
Vingt ans plus tard, l’aura de ce film culte n’a en rien faibli ; c’est plutôt le cinéma d’animation japonais en lui-même qui a largement perdu de son lustre. Redevenu aujourd’hui l’esclave servile de la télévision, le cinéma d’animation n’est plus capable de produire des films de la trempe de Ghost in the Shell ; et ce de la même manière que le public n’est sans doute plus capable de les regarder. Dès lors, l’apparition en 2015 d’un film Ghost in the Shell s’analyse aussi bien en une volonté honnête de remettre un semblant de sérieux dans un média vidé de sa substance, qu’en un coup d’épée dans l’eau.
Le défaut gigantesque qui plombe ce film est qu’il est une suite à la série d’OAV GitS Arise sortie à partir de 2013 et qui fut accueillie froidement par le fandom – quoiqu’elle fut récompensée par un certain succès commercial au Japon. Dès lors, ce nouveau film trahit l’idée d’une indépendance artistique du cinéma d’animation, puisqu’il est lui-même subordonné à une série préexistante. Mais surtout, ceux qui ont accueilli avec une indifférence dédaigneuse les OAV d’Arise ne se sont même pas risqués à attendre ce film, ce qui l’a condamné avant même sa sortie à sombrer rapidement dans l’anecdotique.
Rappelons que la continuité initiée par Arise forme un reboot de la franchise GitS, qui n’a donc aucun lien avec les animes produits dans les années 90 et 2000. Dans un futur pas si lointain, les guerres ont profondément bouleversé l’ordre mondial et fragilisés les structures nationales. La cybernétisation du cerveau humain est chose commune tout comme le remplacement des corps organiques par des corps mécaniques. Cela mène à un changement profond de la société, où les multinationales de technologie et les hackers font la loi par-dessus les États.
Le Major Motoko Kusanagi fait partie des rares personnes qui vivent depuis leur naissance dans un corps cybernétique. Après une brillante carrière au sein des forces spéciales, elle rachète sa liberté à l’armée pour fonder sa propre équipe de lutte anti-cyberterrosrisme. A la fin des OAV Arise, elle avait réuni six membres aptes à la joindre dans les opérations les plus risquées, le tout sous la tutelle d’Aramaki, chef d’une unité spéciale appelée « Section 9 ».
Le film débute alors que la Section 9 est déployée pour faire face à une prise d’otages revendiquée par des militaires dissidents. L’opération tourne à l’affrontement mais la Section 9 sort victorieuse, pour se trouver immédiatement dans une situation bien plus délicate. Au moment même de la prise d’otages, le Premier Ministre se fait assassiner alors qu’il menait des négociations secrètes. Au cours de l’enquête, la Section 9 déroule tout un fil de machinations et de de conspirations qui ont toutes pour point commun d’impliquer Fire-Starter, un hacker de réputation mondiale. Et lorsqu’il se décide à apparaître, Fire-Starter occupe exactement le même corps cybernétique que Kusanagi…
Sans même aborder les liens narratifs forts entre ce film les OAV d’Arise, l’intrigue de ce nouveau film GitS se démarque par sa profonde complexité. Il ne s’agit toutefois pas d’une complexité thématique, comme c’était le cas dans de précédentes versions de la franchise ; il s’agit ici d’une complexité purement scénaristique. L’aspect procédural des enquêtes est ici poussé à fond, si bien que l’essentiel du film consiste à entendre des témoignages, à interroger des suspects, à récolter des indices et à écouter les déductions des différents personnages. La résolution de l’enquête est bel et bien au centre du récit, beaucoup plus que l’exploration des concepts de science-fiction abordés dans le film, qui semblent potentiellement intéressants mais qui se cantonnent à un rôle d’arrière-plan.
L’aspect visuel du film est surtout notable pour l’animation des personnages, dans le style précis et réaliste qui a fait la gloire du studio Production IG et qu’il est d’ailleurs aujourd’hui le dernier à être capable de produire. Étrangement, le film conserve le problème de direction de l’animation déjà visible dans les OAV, avec notamment le visage du Major parfois hors-modèle d’un plan à l’autre. Mais surtout, la mise en scène et la direction artistique sont par trop académiques - le réalisateur du film Kazuya Nomura est un inconnu qui a principalement bossé comme assistant sur des séries télévisées milieu de gamme. La bande-son signée Cornelius reste toujours aussi crispante, plus adapté à l’ambiance techno-lounge du carré VIP d’un resto branchouille qu’à un film policier-cyberpunk.
Mon jugement sur les OAV Arise se voulait volontairement complaisant en raison du fait qu’au-delà de leurs réelles qualités, ils se proposaient de reprendre un genre et une technique d’animation japonaise aujourd’hui devenue très rare. La même argumentation s’appliquera pour ce film ; hors contexte, il se hisse au mieux au niveau des épisodes les moins marquants de Stand Alone Complex ; dans le contexte actuel, il s’agit d’une tentative louable de maintenir en vie une certaine conception du média.