
Gimai Seikatsu (Days with my Stepsister) est au départ un light novel de Mikawa Ghost, auteur qui évolue dans le milieu otaku depuis une dizaine d’années en écrivant des romans, des scénarios de mangas et même des jeux vidéos érotiques ultra confidentiels. Autrefois ce genre de profils n’intéressait pas trop l’industrie de l’animation, qui préfère investir sur des projets plus mainstream, mais la surproduction oblige les studios à aller chercher des œuvres à adapter de plus en plus niche. Cela donne des trucs souvent désastreux, mais entre les mains d’artistes un peu malins ça peut rendre un résultat intéressant.
Yûta Asamura vit seul avec son père jusqu’à ce que ce dernier se remarie avec une autre femme, laquelle a également une fille, Saki Ayase, qui s’installe donc chez eux. Yûta et Saki ne savent pas trop comment gérer leur nouvelle situation familiale, et décident de garder leur distance. Avec le temps, ils vont néanmoins apprendre à se connaître.
Ce genre de rom-com avec pour postulat une histoire de famille recomposée n’est pas tout à fait inédit en japanime; il y a quelques années nous avions eu Mamahaha, série assez naze et racoleuse produite par le studio Project n°9 (comme par hasard). Avec Gimai Seikatsu on aurait pu s’attendre à quelque chose du même acabit mais bizarrement, il s’est passé quelque chose qui a fait qu’un anime dont le synopsis ressemble au script d’un mauvais doujin est devenu une des séries les plus fascinantes de 2024.
Plus haut nous parlions de l’auteur Mikawa Ghost, il se trouve qu’il est actif sur les réseaux et qu’il a notamment commenté l’adaptation de sa propre série avec des (très) longs posts qui expliquent, en substance, que Gimai Seikatsu est un anime de romance banal sur le fond mais raconté d’une manière "réaliste et précise à l’extrême". Et lorsque l’on parle ici de "réalisme" il ne s’agit pas d’un chara-design élaboré ou de décors naturalistes, mais d’un choix de mise en scène volontairement restreint. Par exemple, des séries telles que Makeine ou Roshidere affichent des images propres, détaillées avec une animation élaborée et des chara-designs superbes, mais leur mise en scène ne proposent rien de fondamentalement singulier par rapport à n'importe quel autre anime du genre. Gimai Seikatsu, avec son chara-design de visual-novel des années 2000 et ses décors en CG vite faits, donne en revanche une impression beaucoup plus cinématographique.
Cela passe notamment par le choix d’un rythme lent, avec des scènes qui insistent sur les détails de la vie quotidienne des personnages sans autre renfort que l’image pour raconter leur histoire. Parfois tu vas avoir un plan de deux minutes avec les personnages dans un coin de l’écran en train de manger leur bol de riz en silence. A un autre moment tu vas avoir un gros plan sur le personnage en train de beurrer un toast et mettre du jambon dessus, et ce sera la scène la mieux animée de l’épisode. Cette importance donnée au banal est clairement un choix artistique pour ancrer les personnages dans une réalité concrète, et à l’écran cela rend quelque chose de fascinant voir même d’hypnotique, c’est comme voir Oreimo adapté par Eric Rohmer, c’est tellement incongru que tu peux pas détacher les yeux.
Cette mise en scène particulière permet à la série de s’épargner énormément de détails au niveau visuel, avec un chara-design simple, des décors cliniques et une animation extrêmement limitée. Pour un média comme l’animation japonaise où le style est plus important que tout ce dénuement visuel pourrait conduire à la catastrophe mais le réalisateur Sôta Ueno, dont c’est la première fois à ce poste (!), réussit à retourner la faiblesse en avantage à l’aide d’une imagerie radicale, avec des plans hyper larges et des angles de caméra déroutants qui déboussolent le spectateur et s’efforcent de toujours replacer les personnages dans leur contexte. L’anime est avare en effets de style et ne renforce son image qu’avec les dialogues et la bande-son, laquelle est d’ailleurs plutôt réussie dans un style synthwave qui fait penser aux films indés américains ou des jeux genre Life is Strange pour ceux qui connaissent. Par tous ces moyens, la série dégage un style certain qui lui permet de contourner un manque évident de moyens techniques.
En ce qui concerne le récit lui-même, Gimai Seikatsu se démarque du genre de la comédie romantique en ce qu’il ne s’agit certainement pas d’une comédie et que la romance est largement sous-entendue. On voit bien où la série veut aller avec la relation entre Yûta et Saki mais justement elle n’y va qu’à reculons, avec précautions, et non sans avoir longuement disserté sur les états d’âme de ces personnages qui semblent n’avoir rien demandé. D’habitude on évite de parler de «psychologie» d’un personnage de fiction, parce que ça ne veut rien dire, mais ici on peut noter une tentative d’écrire des protagonistes qui ne se limitent pas aux rôles attribués par le genre codifié du LN de romance pour garçons, et qui n’hésite pas à leur attribuer des défauts humains (on pense notamment à la manière avec laquelle la série traite de la question de la jalousie). Pour le dire autrement, il est rafraîchissant de voir une histoire de ce genre avec des personnages qui ne passent pas leur temps à se hurler dessus ou à rougir toutes les cinq secondes.
Nous avons déjà discuté à plusieurs reprises de la manière avec laquelle les séries de rom-com étaient obligées de rivaliser de moyens pour attirer le spectateur toujours plus exigeant dans un marché pléthorique; Gimai Seikatsu prend toute l’industrie à contre-pied en choisissant précisément le minimalisme comme proposition esthétique. Cette série est passée inaperçue au Japon mais a connu un certain retentissement en Occident (elle a même été citée dans le bilan de l’année d’Anime-Kun, marque de reconnaissance s'il en est) et elle a fait du bruit dans le milieu de l’industrie japonaise avec des stars de l’animation tels que Shunsuke Okubo (Jujutsu Kaisen S2) ou Kai Ikarashi (Dungeon Meshi) qui l’ont citée en exemple. L’animation ce n’est pas un concours de qui aura le plus grand nombre de frames à l’écran, ni de celui qui aura les décors les plus photoréalistes; en animation comme partout, l’important c’est d’avoir un regard, d'assumer un point de vue.