L’ile de Giovanni est un film de Nishibuko Mizuho, réalisateur vétéran et collaborateur de longue date de Mamoru Oshii, s’étant récemment illustré sur Musashi : The Dream of the Last Samurai.
Ce passionné d’histoire signe ici un long-métrage portant sur un épisode peu connu de l’Histoire nippone après la seconde guerre mondiale: celle des îles Kouriles, conquises par les Russes autour de la période de la reddition du Japon. Les Russes déportent d’abord les militaires (vers des camps de travail en Russie et dans d’autres pays) puis l’ensemble de la population japonaise qui sera ensuite rapatriée en majorité vers le Japon. Ces îles restent encore sources de conflits diplomatiques aujourd’hui.
L’histoire, se déroulant sur la plus grande des îles méridionales, Shikotan, montre la cohabitation avec les Russes puis la déportation, à travers la façon dont la vivent deux enfants, Junpei et Tanka, ainsi que leur famille.
Cependant le récit est dénué de commentaire politique. La fierté nationale propre au Japon est loin d’y être exacerbée, et les différentes facettes de cet évènement sont décrits de façon neutre. On ne s’intéresse qu’à la vie de gens, qu’ils soient russes ou japonais, qui sont simplement dépassés par les évènements qui se déroulent autour d’eux. Les soldats russes se comportent parfois comme des brutes, mais d’autres sont aussi respectueux. Certains japonais s’accrochent à leur honneur, d’autres moins.
Il est clair en tout cas que l’objectif est de raconter un drame humain, qui parlera à tous, et de rechercher l’émotion plus que la réflexion.
Le film est réussi sur ce point et sait toucher juste. Malgré un rythme fluctuant, et un dernier acte moins enthousiasmant que le début, il est rempli de scènes fortes en tension, en tristesse, en poésie et bien d’autres émotions encore. Le rapprochement des enfants russes et japonais et la petite histoire entre Tanya et Junpei sont probablement les plus beaux moments du film, et comptent des scènes vraiment magnifiques. Beaucoup d’autres passages sont durs: on ne s’attend pas à ce qu’un film traitant d’un tel sujet soit exactement joyeux. Mais en aucun cas le ton n’est entièrement noir ni entièrement blanc, et ce réalisme est un point fort du long-métrage.
La célèbre nouvelle de Kenji Miyazawa, Train de Nuit dans la Voie Lactée, est très présente dans ce film et constitue une clé de lecture intéressante à première vue. Les noms des personnages en sont inspirés (Giovanni devient Junpei, Campanella devient Kanta), le livre est cité à plusieurs reprises et certains passages - par ailleurs très réussis - mettent en scène de façon onirique le fameux train traversant les étoiles. Train de Nuit dans la Voie Lactée est une nouvelle mettant en scène le trajet de la vie vers la mort, et explorant un certain nombre de thèmes comme le vrai bonheur et le sacrifice - pour ne citer que ceux qui nous intéressent ici.
Malheureusement, voir le film à travers le prisme de cette nouvelle n’apporte pas grand chose. Il est en fait assez décevant de voir que si les messages de Miyazawa sont repris et mis au service de l’histoire, rien de plus n’est fait avec. Son utilisation reste superficielle, et pas nécessairement fidèle. Une réflexion développée autour de cette idée de vrai bonheur, sur laquelle on insiste dans le film, plutôt qu’une simple exposition, aurait apporté une certaine épaisseur.
Au lieu de cela, la seconde partie du film paraît assez quelconque, et les séquences du train bien que jolies perdent de leur symbolique.
Un film un peu en dents de scie, donc. Des moments forts côtoient d’autres plus banals. Le fait que la portée du film aille difficilement plus loin que l’émotion n’en fait pas une oeuvre incontournable, mais cette émotion est vraiment prenante et réussie.