Installe-toi, aujourd’hui ça parle d’amour et de guitare. C’est l’histoire de deux garçons assez diamétralement opposés qui s’aiment peu à peu, sur très léger fond de rock. C’est tout d’abord Mafuyu, caché derrière une timidité envahissante, enfoui dans une sorte de mutisme pathologique : il transporte avec lui, à longueur de journée, une guitare rouge, sans savoir en jouer. Jusqu’à ce qu’il rencontre Ritsuka.
Je ne vais pas faire de suspens. Derrière Given, il y a surtout l’une des meilleures séries d’amours masculines, ou yaoi qu’un alter ego hystérique me souffle dans l’oreillette. Ce qui ne veut pas dire tant que ça : les connaisseurs savent comme le genre est hanté par la médiocrité. C’est donc avant tout dans ce contexte (pitoyable) que Given réussit (étonnamment) à faire un peu mieux ce que tous les autres font très mal.
Alors pourquoi tu devrais donner (ou non) sa chance à Given ? Explications.
A l’origine Given est publié sous forme de manga et n’échappe absolument en rien aux archétypes (qui a dit tares ?) modernes du genre. La binarité hétéro parmi les couples est très marquée et d’une manière générale, il suffirait d’ajouter une fille dépourvue de personnalité au milieu de tous ces garçons pour obtenir le casting de n’importe quel otome game. Ce sentiment, la série tente de la mitiger. Elle réussit avec plus ou moins de succès.
Ce que la série réussit d’abord, c’est à mettre en valeur les quelques qualités du manga. Car parmi la masse, il faut rendre au manga cela : il faisait déjà (un peu) mieux que ses concurrents.
En effet, le manga avait l’immense avantage d’adopter un rythme relativement lent à travers le point de vue de Ritsuka, qui s’éveille à une large palette de sentiments : sentiments amoureux bien entendu, mais qui s’accompagnent d’un mille-feuille assez savoureux typique de l’adolescent rebelle-mais-pas-trop. La recette est classique mais ce genre de pâtisserie, même si on les connait par cœur, on a du mal à s’en lasser complètement.
Cette lenteur du manga, déjà agréable, s’accentue dans la série, pour le mieux. Elle est secondée par une sensation très grande de silence, d’absence : les personnages souvent se taisent et cette impression est plus encore marquée comme le storyboard nous force souvent à contempler le vide. Je ne compte plus les layouts dont ne dépassent plus qu’un tiers de la tête des personnages sans rien montrer d’autre. L’hégémonie écrasante des grands yeux à la Key qui larmoient d’émotion n’a plus lieu d’être : ici la vue est souvent la vue de rien, le sentiment passe par le spectateur qui se sent aveugle et projeté dans un rapport à l’histoire qui excède l’expression visible de l’émotion.
D’un point de vue personnel, je suis assez amusé de cette situation car je mesure assez souvent la réussite d’une série à sa capacité à se taire. Encore une fois, c’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de sentiments. Toutefois, si ce silence domine surtout les premiers épisodes, il se dissipe malheureusement à mesure que la fin approche, comme si la série n’avait soudain plus fait confiance au spectateur pour faire jouer les voix dans sa tête. On comprend que le silence était un peu cache-misère mais au fond, il est particulièrement agréable, donc cela importe assez peu.
Quoi qu’il en soit, ce silence accru confère à la série une personnalité assez marquée, étonnante puisque l’équipe créative est relativement inexpérimentée. Cependant, il faut bien reconnaître que s’ils réussissent tant bien que mal à faire illusion, notamment sur le rythme des premiers épisodes qui est très bon, certaines décisions stylistiques tombent complètement à côté de la plaque. Il faut accepter de fermer les yeux (littéralement cette fois) lorsque la série décide subitement de se ridiculiser au moins trois fois par épisode.
Dans l’ensemble, la composition et le layout oscillent entre une copie honorable des meilleures heures de Kyoto Animation ou de Makoto Shinkai et un mauvais AMV pour amatrices de yaoi. L’introduction aléatoire de pléthore d’effets visuels (très ratés) ruine souvent en un instant tout ce que la série réussit tant bien que mal à construire.
De ce point de vue d’ailleurs, la série essaie, comme le manga avant elle, de céder sa place à un brin d’humour : absolument sans succès. Car il n’y a pas grand-chose à sauver : la direction de l’animation est sans cesse dans les choux, le timing est souvent très mauvais, et d’une manière générale, ce n’est pas du tout quelque chose qui convient au silence, au calme que le storyboard s’échine à imposer. Plus sourire crispé de malaise que franc éclat de rire.
Ces passages tout bonnement ratés mettent en avant les grandes faiblesses de la série : techniquement, c’est horrible. Avec un peu de retenue tout de même, car le genre a rarement bénéficié d’une production value digne de ce nom (ça n’est pas Togainu no Chi quoi, c’est regardable). Mais à tous les étages, la série manque cruellement d’identité et de constance. Le character design est à ce titre vraiment très mauvais : très rigide, trop plastique pour être réaliste, et d’une fadeur à faire pâlir Verlaine, même si pour le coup ce n’est pas un compliment. Ces défauts sont malheureusement mis en avant par une correction des dessins très insuffisante, si bien que les personnages ont tendance à changer de tête à chaque plan. Décevant surtout lorsqu’il y a finalement très peu de plans véritablement très animés.
Ce manque de constance contamine ceci dit un peu tout et n’importe quoi dans la série. Les arrière-plans notamment ne sont pas mauvais en soi (certains s’offrent même le luxe d’être assez jolis avec une belle colorimétrie) mais ils changent tellement d’allure que c’est plutôt le manque d’uniformité qui saute à la figure.
Mais tu vas me dire (à raison) : « Pourquoi alors la série n’est-elle pas si mauvaise ? Certes les personnages ferment leur gueule et le storyboard se donne grossièrement des grands airs, mais ça a l’air foutrement raté quand même. »
Il est vrai, et ce n’est pas le casting de personnages qui viendra sauver les meubles. Le personnage principal est aussi attendrissant que tête à claque à force de ne rien dire. La plupart des autres personnages n’a pas un demi-gramme de véritable développement. Et on a même l’immanquable pimbêche jalouse qui veut se glisser entre les personnages principaux. C’est dire si tout ce cirque tombe bien bas. Pourtant, la série arrive à faire partiellement oublier certains de ces éléments. Je t’explique.
D’un point de vue général, la série ne réussit pas le développement des personnages, c’est un fait. Ce qu’elle réussit dans le couple principal, elle le réussit simplement parce qu’elle le fait un petit peu plus doucement que la moyenne et force le spectateur à combler (astucieusement) les trous. Elle ne réussit pas non plus l’histoire (dramatique, tu sais comment ça se passe) et est contrainte de projeter tout simili-plot twist dans un flashback bien lourd et flemmard. Mais sur ces points… la série est juste assez fidèle au manga. Pas pardonné, mais expliqué disons.
Cependant, tout cela ferait presque oublier que la série suit en réalité pour l’immense majorité du temps le personnage de Ritsuka, et ce personnage est très réussi. Bien sûr, en regardant de loin, ce n’est pas un type de personnage qui est inconnu : dur en surface, tendre à l’intérieur, un peu comme un bon pain ou une pomme dauphine : ça marche, on le sait, mais c’est attendu. Il n’en reste pas moins que la série le réussit particulièrement bien. Elle déplie ses évolutions avec une habileté qui tient honnêtement plus d’une chance incroyable que d’une quelconque maîtrise, mais peu importe : ça marche. Pour lui, la série mérite peut-être d’être vue car il parvient à donner à ce qui l’entoure un peu plus d’épaisseur, d’humanité, de vérité : et ça y est, le spectateur a malgré lui, malgré les défauts, un peu envie d’y croire, à cette histoire d’amour. Et même si les derniers épisodes sont en demi-teinte, on s’attache et y’a un petit tour de magie qui s’est fait devant nos yeux. Pas du grand spectacle : un petit tour de passe-passe, du genre de celui que fait ton petit neveu de neuf ans, mais même si t’as toutes les raisons de ne pas y croire, y’a ce petit peu de truc magique qui fait que le tour est réussi.
Ce qui est finalement le plus dommage, c’est que la série n’arrive pas à se débarrasser de tout ce qui était nuisible dans le manga : ces personnages secondaires avec leurs micro-développements qui n’intéressent personne et cette comédie lourde, plate, ennuyeuse.
Car dans les faits, elle arrive à une sorte d’équilibre, précaire oui, mais équilibre quand même, et parvient même à se permettre de parler à demi-mot un peu crûment de choses dures avec une pudeur qui fait du bien et qui tombe juste.
Ah et du coup pour la partie rock ? Si t’es là pour ça, circule, fais ta route mon gars, c’est pire que dans le manga : y’a rien à voir. Les deux pistes musicales qui se battent en duel ne sont pas catastrophiques mais sont très loin de justifier la série. Surtout si l’on considère que dans ces scènes un plan sur deux est en CGI dégueulasse. Vraiment, le groupe de musique, on s’en fout : c’est un prétexte jusqu’au bout et le spectateur peine à s’intéresser aux enjeux qui concernent son existence ou son évolution. Il faut dire qu’une partie de la tension narrative tient au fait qu’une échéance approche et reconnaissons-le : ce genre de tension est extrêmement difficile à rendre, surtout si les enjeux ne sont pas immenses (du type sauver la Terre).
Mais bon, je pense que personne n’est surpris. T’as entendu parler de K-ON!, tu sais comment ça marche en animation japonaise. On va dire pour le coup que c’est pour rentrer dans la tradition : après tout, des mecs qui se galochent entre deux riffs, on connaît bien, sauf que cette fois la musique n’a pas une couleur rétro qui régule (un peu) la niaiserie. D’aucuns diront que ça a moins de charme.
En résumé : Given est probablement un bon choix si tu as envie :
- D’une jolie histoire d’amour (entre garçons, même si ça ne joue pas trop)
- D’un peu de calme saupoudré de drama (ou l’inverse)
- D’une série qui sait se taire in a good way
Par contre, tu trouveras probablement bien mieux si tu as envie :
- D’une très belle histoire d’amour avec des personnages originaux
- D’une série sur un groupe de rock
- D’autre chose qu’un yaoi qui met ensemble tous les personnages masculins
Given est donc globalement une série agréable à suivre, qui s’adresse cependant à un public un petit peu plus précis en raison de ses défauts. Il n’en reste pas moins que la proposition est intéressante et elle peut être une première approche en douceur du yaoi. Et en plus, y’a pas de viol gratuit au deuxième épisode, alors profitez-en !