Ce n’est pas tous les jours que l’on a l’occasion de parler ici de cinéma d’animation japonais indépendant. En effet, la japanime est aujourd’hui réduite à une niche où seuls les plus forts et les plus riches survivent, forçant les créateurs indépendants à s’aligner ou à disparaître.
Pour trouver de vrais morceaux d’indépendance dans ce milieu, il faut parfois être capable de s’extirper de ses propres habitudes. C’est tout l’objet du film Hana to Alice Satsujin Jiken, réalisé en 2015 par Shunji Iwai. Ce dernier est en effet un habitué du cinéma live, qui lui permit de rencontrer un certain succès au Japon avec notamment le film « Hana to Alice » sorti en 2004. Lorsqu’il décide de produire une préquelle dix ans plus tard, Iwai souhaite reprendre les mêmes actrices qu’à l’époque, qui ont cependant bien grandi depuis. Lui vient alors l’idée de réaliser le film en animation rotoscopique, sur lequel les actrices Yuu Aoi et Anne Suzuki pourraient poser leur voix.
Cette manière de contourner les évidences est ainsi la marque principale du film, qui n’hésite pas à mélanger des techniques que l’on préfère généralement garder séparées. L’animation des personnages est ainsi produite par rotoscopie, ce qui signifie que des acteurs sont filmés en prises de vues réelles avant d’être redessinés frame par frame – l’idée étant de rendre une esthétique typée anime avec un acting plus proche de la réalité. Mais cela ne s’arrête pas là, puisque le mouvement est animé via des modèles en CG, ce qui donne un rendu encore plus artificiel. Ajoutons que la photographie bénéficie elle aussi d’un traitement particulier puisque les photos utilisées comme décors ont été redessinées à l’aquarelle, ce qui donne un style et une grande vivacité à des décors urbains ordinaires.
Difficile de donner une opinion claire sur cette esthétique qui présente autant d’avantages que d’inconvénients. Le choix d’utiliser des modèles CG est très préjudiciable pour ce qui relève des visages, inexpressifs et indiscernables – la mise en scène évite d’ailleurs les gros plans pour préférer les plans larges où les visages sont moins apparents. D’un autre côté , la rotoscopie permet au film de proposer des angles de caméra plus audacieux et intéressants que ceux habituellement utilisés en animation japonaise, et l’apport d’un cinéaste issu du live-action est ici indéniable, quoique ponctuelle.
L’histoire du film se moule dans le genre très apprécié du mystère scolaire, où de jeunes détectives en herbe enquêtent sur les secrets de leur vie adolescente. Lorsqu’elle intègre une nouvelle école, Tetsuko "Alice" Arisugawa se trouve impliquée malgré elle dans les rituels étranges de ses camarades de classe, qui craignent le fantôme d’un ancien élève disparu. La curiosité de la jeune fille la pousse à enquêter sur cette affaire et l’amène à rencontrer Hana, une autre fille qui vit recluse chez elle depuis le début de l’année. C’est ensemble que les deux protagonistes vont découvrir le fin mot de l’histoire.
Même si le récit ne décolle qu’avec la rencontre entre Alice et Hana au milieu du film, l’écriture proprement dite est d’une surprenante qualité. L’intrigue fait preuve d’une étonnante maîtrise de l’art de l’équivoque narratif, avec notamment un énorme quiproquo dans la seconde partie du film qui mènera les personnages dans des situations aussi gênantes que bizarres. A côté de ça la résolution de l’enquête semble presque anecdotique, mais permet un dénouement logique et satisfaisant. La caractérisation des personnages est également réussie, avec des protagonistes bien plus matures et sympathiques que des adolescentes IRL – ce qui vient sans doute du fait que les comédiennes, issues du film que Iwai a réalisé il y a dix ans, ont des voix qui font beaucoup plus adultes que les personnages qu’elles sont censées incarner.
Ça me fait chier de l’admettre mais Hana & Alice est un bon film devant lequel j’ai passé un bon moment. Les personnages sont agréables, l’histoire marrante et la mise en scène va chercher des choses que l’animation des gros studios ne permet pas de tenter. Reste la question de l’esthétique et du rendu visuel, qui relève de la plus pure subjectivité. Dès lors, je ne peux que vous enjoindre à voir Hana & Alice pour vous faire une opinion.