Quand on évoque la France, et plus particulièrement Paris (parce qu'il est bien connu qu'il n'y a qu'une seule et unique ville dans ce territoire, les étrangers le savent bien), certains pensent "gastronomie", d'autres "culture", ou bien encore "voulez-vous coucher avec moi ce soir?". Fort heureusement, il y en a pour qui le dernier aspect présente peu d'intérêt. Par contre, la culture, et plus particulièrement les différences culturelles, semble être un sujet suffisamment intéressant pour qu'une série s'y intéresse, la bien-nommée Ikoku Meiro no Croisée, ou La Croisée dans un labyrinthe étranger.
Nous sommes au XIX ème siècle, en pleine révolution industrielle. Le jeune Claude, forgeron, tient une boutique familiale dans la Galerie. Un beau jour, voilà que le grand-père, parti en vadrouille de l'autre côté du monde, revient au bercail avec une quantité importante de marchandises japonaises, très à la mode en ce moment dans le haut Paris, pour inspirer Claude. Mais en plus de ces marchandises, le vieil homme a ramené une petite fille du Japon, Yune, qui souhaite découvrir un nouveau mode de vie. Inutile de préciser que Claude ne voit pas cela d'un bon œil...
Passons outre le problème qu'est de ramener une jeune fille quand on approche de la soixantaine sans être inquiété par les douanes ou les associations anti-proxénétisme, et intéressons-nous au quotidien de notre jeune, travailleuse, mignonne et candide Yune (pour ceux qui ne l'auraient pas compris, elle est "moe" quoi), fraîchement arrivée à Paris, et ignorant donc tout de cet endroit. Elle va y faire de nombreuses rencontres. Oscar Claudel, notre grand-père bon vivant de soixante ans possédant un petit talent de prestidigitateur, sera le premier à la rassurer en cas de soucis. Vient ensuite Claude Claudel, petit-fils d'Oscar, jeune homme travailleur et un peu bourru, qui cache un grand cœur et quelques tourments... Personnage qui s'avérera au final plus complexe qu'il n'y parait. Viennent ensuite les filles Blanche, Alice, fascinée par tout ce qui vient du Japon et qui rêve de s'accaparer Yune (je l'ai personnellement trouvée un peu agaçante), et Camille, l'aînée, qui fait ses débuts dans la haute société et entretient une relation trouble et nostalgique avec Claude... Malgré la longueur relative de la série (douze épisodes), les personnages seront un minimum approfondis, et en bien. Pour ma part, je me suis bien attaché à eux, et c'est tout ce que je demandais.
Bref, c'est avec Yune que nous allons découvrir un Paris assez fidèle à la période industrielle. Les conditions de vie, assez dures à cette époque, sont correctement retranscrites, avec l'apparition de gamins des rues voleurs et affamés, les inquiétudes de Claude, artisan et donc inquiet par la tournure que prennent les choses... La révolution entraîne une industrialisation massive qui laisse de côté le "fait-main", diminuant ainsi les ressources des artisans. La faillite de la Galerie, lieu où se concentre plusieurs magasins artisanaux, est une perspective qui revient souvent et qui inquiète. De manière plus proche, plus privée, on devine bien qu'avoir une nouvelle bouche à nourrir ennuie un peu notre jeune homme, même si ce n'est pas dit explicitement dans l'anime... Ce dernier concentre en lui seul le dilemme auquel fait face l'ensemble de la population : rester fidèle aux traditions (sa boutique familiale) ou bien plonger dans la modernité (le Grand Magasin et ses boutiques impersonnelles, que nous ne verront d'ailleurs jamais)? Ce thème d'opposition entre moderne et tradition reviendra souvent, par l'intermédiaire de courts passages : Claude renie la photographie car elle prive les peintres de leur travail, on s'interroge sur le devenir de la lampe à pétrole avec l'apparition de l'électricité... Bref, c'est tout un ensemble de petits détails qui fait que ce thème occupe une place, certes secondaire, mais finalement importante dans la série. A cela s'ajoute même un aperçu sur la condition des françaises de la haute société, emprisonnées dans leur corset et se devant de respecter un code de bonne conduite, à travers Camille. Un travail de fond a donc tout de même été fourni, suffisamment profond pour se permettre une petite étude de la société française du XIXème siècle. Alors bien évidemment, cela n'équivaudra pas un cours d'Histoire, mais l'effort est appréciable, même s'il est regrettable que cet aspect n'a pas été poussé encore plus loin, cela aurait donné de la matière et du corps à cette série.
C'est ainsi un tout autre mode de vie qu'on explore. Même en tant que français, vous serez un minimum intéressé ne serait-ce que pour découvrir un mode de vie passé, mais aussi et surtout pour la perception de Yune sur nos coutumes, telle que se faire la bise, et ses réactions. De même, Claude fera lui aussi face à des problèmes liés à cette différence de culture, s'interrogeant sur les traditions d'un peuple qu'il considère comme étrange. Impossible pour lui de comprendre l'intérêt d'une courbette, qui passe plus pour un signe de soumission que d'excuse. L'initiation par l'un et l'autre à des cultures différentes va les amener à mieux se connaître. Et ces incompréhensions seront une source d'amusement pour le spectateur (ah, le passage où Yune découvre le fromage ou le café et ne peux pas l'avaler). Il est par ailleurs regrettable que cet aspect de la série, basé sur les différences culturelles, disparaisse peu à peu par la suite. Elle laisse la place à l'évolution de cette relation entre Yune et Claude, qui formera en grande partie le fil rouge de cette série, mais pas que. A côté, nous avons une petite trame qui se met en place, centrée sur Claude. Néanmoins ne nous leurrons pas, nous restons dans un aspect tranche de vie. Exit les révélations fracassantes, l'action, ou toute autre chose. On reste dans le modeste. Ici, tout est implicite et tourne autour de Claude : pourquoi porte-t-il une haine tenace au Grand Magasin? C'est en suivant Yune que petit à petit on va en découvrir plus, de manière sporadique. Car n'oublions pas, nous sommes dans un tranche de vie, et pour le coup un pur et dur, où nous suivons les découvertes et déboires de Yune, en premier lieu. Ne vous attendez donc pas à un rythme endiablé... Envisagez même l'ennui, parfois...
Du point de vue technique, peu de chose à reprocher, mais aussi peu de chose devant lesquelles s'extasier. Le chara-design est tout à fait honnête, Yune est mignonne, on reconnait facilement les personnages et ça s'arrête là. Les musiques... Je n'en ai aucun souvenir. C'est terrible Alzheimer. A moins que ce ne soit parce qu'elles n'avaient rien de bien marquant... Bon point par contre pour le narrateur en début d'épisode, qui nous parle dans un français impeccable. Chose suffisamment rare pour être soulignée. Les génériques n'ont rien de transcendants, ils font juste leur travail. Mais là où on peut sortir des louanges, c'est pour les décors. La fidélité de l'architecture, le détail des enseignes, les intérieurs riches des appartements de la famille Blanche... C'est beau. Et toutes ses inscriptions écrites en français. J'ai regardé attentivement, il ne me semble pas avoir aperçu une seule faute. Et vu le nombre, c'est un exploit. Enfin, quand on sait que des français ont bossé sur la série, tout s'explique. Il est tout de même dommage que l'on quitte peu la Galerie, nous privant ainsi d'un Paris qui aurait pu être splendide. Sans oublier un soin particulier apporté aux couleurs. La capitale française du XIXème siècle, envahie par la pollution industrielle, est fidèlement peinte en gris et autres couleurs ternes. Les seules apparitions de couleurs vives seront les tenues de Yune et d'Alice. L'animation n'est pas ce qu'on retiendra, mais ne nuit nullement à la série. Finalement, l'ensemble s'avère tout à fait correcte, enchantant même parfois les yeux.
En conclusion, La Croisée dans un labyrinthe étranger s'avère être une bonne série tranche de vie, avec des personnages attachants (Claude notamment), qui aurait tout de même gagné à approfondir plusieurs aspects, notamment les différences culturelles et l'exploration du mode de vie du XIXème siècle. Néanmoins, ces deux aspects forment tout de même une force non négligeable pour capter l'intérêt du spectateur, qui risque parfois de s'ennuyer devant les péripéties de la petit Yune. Bref, pour apprécier cette série, il faut savoir s'imprégner de l'ambiance et ne pas être quelqu'un de pressé.