Si la réputation prestigieuse de Tsutomu Nihei dans le milieu de l’illustration et de la bande dessinée n’est plus à faire, son univers reste méconnu du grand public consommateur d’animation japonaise. Car en dehors des tentatives avortées, son œuvre n’a jamais vraiment fait l’objet d’une adaptation susceptible de l’extraire de la relative obscurité dans laquelle elle a fait grandir son renom.
Moi-même je m’étais jadis promis de m’intéresser au sujet, mais je n’en avais jamais trouvé l’occasion… Jusqu’au jour où l’on m’annonce que son dernier manga en date, Sidonia no Kishi, fera l’objet d’une adaptation en série télé. De quoi faire venir la salive aux lèvres de tout amateur de SF et d’animation japonaise ; il ne restait qu’à attendre le nom du studio en charge du projet. Et là, c’est le drame.
Là où la logique et le bon sens auraient voulu voir un Production IG ou je ne sais quel studio d’animation traditionnelle sur le coup, il a fallu que les producteurs aillent chercher le studio Polygon Pictures. Un nom complètement inconnu et pour cause ; si ce studio est un pionnier de l’animation 3D au Japon et travaille régulièrement avec les États-Unis entre autres, il est totalement inexpérimenté en matière de séries télés d’animation. Et le couperet tombe avec les premières bandes annonces qui nous montrent un "anime" entièrement réalisé en 3D, trahissant ainsi le principal intérêt d’avoir un manga (de Nihei) porté à l’écran.
Avoir des robots géants en 3D - puisque c’est de ça qu’il s’agit - dans une série d’animation japonaise n’a rien de nouveau, mais voir une série entièrement en images de synthèse s'immiscer comme si de rien n’était dans le planning des nouveautés a quelque chose d’étrange et de dérangeant. De l’aveu même des producteurs, le studio a avant tout cherché à utiliser la 3D pour singer l’animation traditionnelle en 2D, en mélangeant les techniques pour arriver à un semblant de compromis. Le résultat est sans équivoque : si les robots et les batailles spatiales de l’anime sont tolérables, tout ce qui concerne les personnages est à jeter au feu. Visages inexpressifs, animation rigide, le rendu reprend tous les défauts connus de l’animation 2D limitée, sans jamais apporter les prétendus avantages de la 3D. Les décors, censés être le point fort de la production (Nihei a eu une formation d’architecte et les décors de ses mangas ont fait sa réputation) sont réalisés de telle manière que l’on ne sait pas trop s’ils ont été « dessinés » en 2D ou « modélisés » en 3D. Bref, on ne sait plus ce qu’on regarde. La partie la plus réussie esthétiquement parlant dans la série sont les eyecatches, directement repris d’illustration du mangaka.
Une telle débâcle technique et artistique aurait pu rester anecdotique, si seulement le reste était au moins aussi déficient. Or, et c’est là que vient la frustration, ce que raconte Knights of Sidonia est plutôt captivant.
Dans un lointain futur où la Terre a été pratiquement détruite par une race d’aliens belliqueux, les derniers survivants dérivent dans l’espace à bord de gigantesques vaisseaux spatiaux qui récréent à leur bord tout l’écosystème d’une société humaine. Le Sidonia est un de ces vaisseaux, semble-t-il le dernier. Sidonia semble reproduire une société de type japonais : la nourriture, les noms , la langue et les usages se rapprochent du Japon que l’on connaît. Du reste, la science a évolué pour permettre aux hommes de vivre dans l’espace. La manipulation génétique permet aux habitants du Sidonia de palier à leurs besoins sans se nourrir, et le clonage est monnaie courante.
Par ailleurs, une certaine partie de l’équipage est dédiée à la défense du Sidonia par le pilotage de robots géants. Nagate Tanikaze, le protagoniste, intègre l’école de pilotage après avoir passé toute sa vie dans les sous-sols du vaisseau à s’entraîner sur un simulateur.
L’humanité en danger d’extinction, un ennemi à la puissance écrasante et beaucoup de drama : un cocktail efficace et savoureux qui à bien des égards rappelle le blockbuster Shingeki no Kyojin. Sidonia avait d’ailleurs en théorie toutes les armes pour réaliser un succès équivalent : de l’action, des morts dramatiques et inattendues, des secrets et des jolies filles. On passera volontiers sur le héros qui a autant de prestance qu’une serpillère usée pour s’intéresser aux multiples rebondissements qui, s’ils ne donnent pas vraiment un cap à la série, ont le mérite d’accrocher le spectateur. La série aligne pas mal de concepts intriguants, qu’il s’agisse de clichés efficaces (Benisuzume) ou de personnages ambigus (Izana, Kunato).
Le scénario avance à un rythme très soutenu avec des batailles à presque chaque épisode ; tant et si bien qu’on aurait parfois apprécié plus d’exposition dans le Sidonia, histoire de tâter des différentes classes et factions qui semblent influer au sein du vaisseau. De même, les quelques tentatives d’approfondissement de l’univers se soldent par plus de questions et de troubles – symptôme d’une série qui préfère le suspense éphémère plutôt qu’une narration solide. Le dernier épisode se termine sur une énième bataille spatiale, plus grosse en taille mais pas nécessairement en intensité, et annonce une suite prévue pour l’hiver prochain.
Comment un studio sans expérience, dont le staff est à moitié composé de coréens ou de philippins, et au budget visiblement serré peut-il réussir à créer l’évènement dans le monde de l’animation japonaise ? Réponse courte : il ne peut pas, mais il peut essayer. C’est comme cela qu’il faut voir l’anime Sidonia : la tentative d’un débutant de faire quelque chose de grand, quand bien même il n’en a ni les moyens ni le talent. Cela peut donner à la série un côté à la fois très sympathique ou très frustrant, selon vos préférences. Chacun est juge, mais pour moi en tant que fan d'animation japonaise, c'est déjà être très conciliant que de lui mettre la moyenne.