L'amour ou le mensonge, une création de l'âme ou un artifice sociétal?

» Critique de l'anime Love And Lies par Pitucho le
22 Septembre 2017

L'animation japonaise a souvent pour cible un public d'adolescents et de jeunes adultes. Contrairement à l'Occident, elle ne se restreint pas aux enfants et intéresse toutes les tranches d'âge. Ce n'est pas qu'en leur proposant des séries destinées à différentes cibles qu'elle étend son public mais en proposant également bien souvent plusieurs niveaux de lecture.

Dans le même temps, l'animation japonaise visant traditionnellement la tranche 16-25 ans ne s'arrête plus à cette seule tranche d'âge. Il suffit d'observer l'évolution de la société japonaise pour comprendre la mutation du public ciblé par les animés présentant soit un contenu romantique soit érotique. En effet, le taux de natalité au Japon est l'un des plus faibles du monde. L'institution du mariage et la conception sociétale de la famille demeurent très traditionnelles et les contraintes de la vie active provoquent leur déclin. Les jeunes japonais seraient de moins en moins intéressés par la vie de couple, y compris par la sexualité. Certains sondages montrent même que les jeunes japonais trouveraient la sexualité ennuyante. D'autres montrent que souvent des femmes ne veulent pas se marier parce que leur compagnon n'aurait pas assez de revenus pour subvenir seul aux besoins du foyer.

L'animation japonaise fournit pour autant de quoi stimuler la chose depuis des décennies sans succès. Elle semblerait même avoir l'effet inverse. L'image caricaturale du otaku idolant sa Minami-chan et qui est désintéressé par les femmes en 3D est très répandue mais tout ne relève pas seulement du mythe, elle concerne une tranche de plus en plus large des japonais et de plus en plus âgée.

Pendant ce temps, les gouvernements successifs font face à cette crise de sous-natalité : pas de couples, pas de mariages, pas de familles, pas d'enfants, pas de futurs travailleurs, vous devinez la suite. Le Japon subit une régression sur tous les plans alors qu'il multiplie les réformes pour inciter les citoyens à former leur famille. C'est alors que j'ai découvert dans ce contexte Koi to Uso, un manga de Musawo Tsumugi qui a bénéficié cet été d'une série animée chez Liden Films.

Musawo prend court le problème dans son manga. La liberté ne permet pas de résoudre le problème de la sous-natalité? Alors supprimons-la! Il imagine à partir de là une société dans laquelle les jeunes japonais reçoivent une notification à l'âge de 16 ans qui leur indique leur futur conjoint. De gré ou de force, ils doivent développer leurs relations avec leur conjoint désigné, sous la surveillance de l'État. La science est appelée à l'aide pour ce programme, institué par la loi Yukari, qui à partir d'une série de paramètres génétiques, psychologiques et autres sortis du chapeau désigne qui est bon à marier avec qui, et par là faire des bébés. 40 années depuis la réforme, 40 années de succès, 40 années de relance du conformisme social japonais, le taux de natalité est sauvé. Mais la liberté dans tout ça? La place de la famille au Japon, et donc des individus, n'a-t-elle d'importance que par son rapport avec la société? L'amour est-il indissociable de la liberté de chacun ou peut-il être fabriqué sous la contrainte étatique?

Dans cette lancée, l'histoire tourne autour du jeune Yukari, du même nom que la loi. Depuis sa tendre enfance, il est amoureux d'une collègue de classe Misaka. Il ignore qu'elle ressent à son égard le même amour. L'un comme l'autre n'ont jamais osé le dire sachant que la décision d'entretenir une relation amoureuse ne leur revient pas. Tout deux finissent par se déclarer l'un à l'autre au lycée afin de se résigner sans remords à la dure réalité. Intervient dans la foulée le troisième élément, Ririna, l'épouse désignée de Yukari, avec laquelle l'histoire prend son envol.

Commence une histoire pleine de confusion pour nos personnages. La grande question que se pose souvent Yukari est celle de savoir ce qu'est l'amour. Toute l'intrigue tourne autour et elle est en soi purement artificielle car elle découle du seul déroulement de l'histoire. En effet, si la question du qui entre Misaki et Ririna se pose c'est parce que le système Yukari l'entretient là où dans une autre histoire elle n'aurait pas eu lieu. Logique effectivement! Toutefois, il y a ici un point intéressant. La réflexion générée chez le spectateur, c'est à dire moi, est celle de savoir si l'amour ne serait en fait qu'un sentiment créé artificiellement et qui s'entretient par les mêmes facteurs qui l'ont fait naître. À titre d'exemple, l'amour est-il créé entre deux personnes par le fait qu'ils partagent du temps ensemble? Qu'on les incite au désir charnel l'un envers l'autre? Qu'on les pousse quotidiennement à se préoccuper l'un de l'autre? Est-ce l'imbrication de tous ces facteurs qui permettent de créer de l'amour entre deux personnes?

Si on prend parti de cette thèse, l'amour entre deux personnes peut être régulé par un système et donc il devient plus facile d'obtenir de la part des individus ce qu'on attend d'eux. Autrement dit, le système a la main mise sur la reproduction des individus. À ce moment-là les individus cessent d'être des personnes libres et pleinement conscientes de leur sentiments. Les sentiments ne seraient d'ailleurs que des résultats d'une équation mathématique d'éléments d'où la place de la science dans cet univers pour former les couples. Même si on part pour autant de l'idée que tous ces facteurs sont véritablement générateur de sentiment amoureux, les personnes concernées cessent d'être maîtres de générer eux-mêmes ce sentiment. La part de l'âme humaine serait dépourvue de sens et il en serait de même pour la liberté. Il est avant tout question de liberté dans cette histoire, d'une confrontation entre la volonté profonde d'être libre d'aimer qui on souhaite aimer, avec qui on désire créer ce lien, plutôt que de céder devant une puissance extérieure qui créerait à la place de l'individu ce sentiment.

Au final, c'est à quoi se confrontent tant Yukari que les autres personnages de la série. C'est la question du vrai ou du faux qu'ils se posent intérieurement. L'intérêt de cette histoire est d'assister comment ils tentent de parvenir à une réponse tandis que pèsent sur eux les pensées qui leur sont contraintes par leur société, les actes et les comportements qu'on leur induisent de prendre de leur propre résignation. Ils hésitent sur ce qu'ils doivent faire. Ils ne savent pas ce qui est réel ni ce qui est juste. Ils tendent à la docilité tout en sentant au plus profond d'eux-mêmes le désir inextinguible de ne pas se soumettre à ce qu'on leur impose. Au lieu de s'abandonner aux mensonges que le système Yukari leur incite de créer et d'entretenir, ils sentent l'appel à la liberté, à la liberté de choisir qui ils veulent aimer, à la liberté de vivre comme ils le souhaitent.

Par là, le jeu de l'animation est très bien réussi en retranscrivant dans des scènes émouvantes toutes leurs incertitudes et les sentiments confus qu'elles génèrent. La transmission des émotions de l'écran au spectateur est particulièrement saisissante grâce au rôle central qu'ont les yeux. Difficile de ne pas les voir quand sont fait de gros plans dessus. Par conséquent, jamais je n'ai eu autant mon attention focalisée sur ces deux globes. Comme j'ai entendu dire de nombreuses fois, «les yeux sont le miroir de l'âme» et j'ai le sentiment que dans cette histoire cette phrase prend tout son sens. Les yeux dans les yeux, il suffit d'emballer le tout d'une ambiance musicale chaleureuse et d'une atmosphère colorée pour rendre l'histoire larmoyante.

Pourtant, je ne sens pas de critique active du système Yukari dans le sens où il n'est pas dénoncé frontalement cette société par des messages explicites et par la défense d'opinions contraires. Or il nous offre la possibilité d'établir une critique à ce système à travers l'égarement de ses personnages, et par extension peut être à la société actuelle sous le joug des valeurs sociales. Je ne connais pas la pensée de l'auteur qui m'était resté inconnu jusqu'à aujourd'hui mais cette histoire est ce qu'elle m'inspire. D'autant plus, que cette critique passive laisse les spectateurs penser ce qu'ils veulent. Effectivement, ce sont les réflexions personnelles des personnages, leurs conversations, et leurs tentatives de trouver des solutions face à leurs contraintes qui permettent de dresser une critique. Parfois, il s'agit tout simplement du silence, de regards biaisés et d'actes discrets qui permettent de comprendre la place de sujets sensibles dans la société actuelle devenus sans doute tabou dans une telle société et par conséquent sévèrement réprimés. En somme, tous les rapports entre les personnages, et entre eux et la société, dessinent un ensemble cohérent de messages implicites qui donnent matière à réfléchir en ce sens. Sans ce rapport à établir entre la liberté et la contrainte, l'aspect émotionnel de l'histoire perdrait en saveur et c'est tout l'intérêt de la série qui en pâtirait. Ou du moins, c'est l'avis que m'induirait l'auteur ...

Il n'empêche que j'ai eu plusieurs fois le sentiment que la série tourne en rond. Le potentiel que représente cette série ne me semble pas très apparent car les personnages se posent souvent les mêmes questions. Leur absence de maturité vu leur âge explique leur égarement. Il peut s'avérer lassant de suivre l'histoire pour cette raison et aussi parce que la série ne gère pas forcément très bien son rythme. Elle s'essouffle à mi-parcours à cause de la persistance de ces séries au tendance school-life à jouer sur certains clichés, ce qui retire un peu l'originalité du traitement de l'histoire. Par dessus le marché, bien qu'elle réponde à la question du vrai ou du faux, la série y aboutit à une conclusion décevante qui m'a laissé sur ma faim. Je présume qu'à force de vouloir satisfaire le plus grand nombre, on finit par décevoir tout le monde et on en oublie ce qui en faisait l'intérêt. Le manga n'est apparemment pas terminé et ne l'ayant pas lu je ne peux pas faire de comparaison. Quoi qu'il en soit, je ne pense pas qu'une telle série bénéficiera d'une seconde saison et le studio aurait pu faire le choix d'assumer une position plus ferme sur sa fin.

Bon, dans tout ça, j'espère que cette critique vous a incité à vivre le grand amour avec votre compagne ou compagnon que vous aimez tant, ou alors à la ou le trouver si ce n'est pas encore fait. Sinon, peut être que je vous ai motivé à partir au Japon tenter de chopper un des préservatifs ultra-rares de Koi to Uso qui ont été distribués par l'équipe marketing. Non non, je ne déconne pas. Alors quelqu'un est intéressé? Je vous rassure, même si vous l'utilisez seul, vous avez le droit de faire la queue.

Verdict :7/10
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A propos de l'auteur

Pitucho, inscrit depuis le 20/02/2016.
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