Si vous cherchez à vous renseigner sur les meilleures séries d’animation d’une certaine époque, vous ne trouverez pas meilleure critique que la Postérité elle-même. Si des séries comme Gundam ou Votoms ont survécu au passage du temps et sont encore aujourd’hui des références, ce n’est pas uniquement le fruit du hasard ; ces séries avaient, à leur époque, amené le média dans une direction nouvelle que bon nombre d’animes actuels se contentent d’emprunter.
A l’inverse, les séries qui tombent dans l’oubli sont rarement des chefs-d’œuvre inexplicablement ignorés. Le cas de Layzner en est un assez bon exemple.
La grande idée de Layzner, c’est incorporer le récit de guerre spatiale à la Gundam dans un contexte actuel. Tout du moins, actuel dans les années 80, puisqu’il s’agit de la Guerre Froide. En gros, les Blocs de l’Est (URSS) et de l’Ouest (USA) ont implanté des bases sur Mars et étendent le conflit jusque dans l’espace. Une classe d’adolescents débarque sur la planète rouge dans une base neutre de l’ONU, qui se fait aussitôt attaquer par… des aliens ? Des robots géants écrasent toute résistance et massacrent les colons, jusqu’à ce qu’un des envahisseurs ne se retourne contre son camp. L’alien se présente alors devant les survivants terriens : il dit s’appeler Eiji et porte un message simple, « la Terre est en danger ».
L’utilisation du contexte de la Guerre Froide est plutôt ingénieuse, puisque le plan de Grados (les aliens) n’est pas d’attaquer directement la Terre mais de provoquer une guerre nucléaire entre les deux camps pour voir le monde s’autodétruire. Cela ajoute une dimension au conflit, puisque l’on se retrouve dans la configuration où les Terriens sont plus occupés à se battre entre eux qu’à s’occuper de la réelle menace ; ajoutez-y un héros incapable (littéralement) de tuer ses adversaires, et vous avez un anime prêt à balancer son message pacifiste et antimilitariste de manière plutôt efficace.
Il s’agira donc pour notre bande d’ados de fuir vers la Terre en repoussant les assauts de leurs ennemis, tout en essayant de sauver les éventuels survivants, de composer avec les conflits internes aux terriens sachant que Eiji et son robot sont eux-mêmes au centre de diverses intrigues liées à Grados. Beaucoup d’enjeux intéressants qui rendent la série vite addictive, jusqu’à l’épisode 24 qui constitue le pivot du scénario.
Et là, c’est le drame. La série nous impose une ellipse temporelle de trois ans qui nous ramène des personnages plus âgés et plus aguerris. Le récit abandonne le space-opera pour se concentrer en un seul lieu, une ville de New York occupée et dévastée ; ce qui permet à l’histoire d’explorer de nouvelles thématiques, en particulier la résistance, la dictature et la collaboration.
Ce twist audacieux fait en réalité beaucoup de mal à la série, puisque le conflit multilatéral et le sentiment d’urgence des premiers épisodes laisse place à quelque chose de beaucoup plus simpliste et évident, en particulier au niveau des méchants particulièrement grossiers. Le public de l’époque devait sans doute être d’accord avec moi puisque la série vit ses audiences plonger à tel point que la chaîne de télé décida d’annuler la diffusion au bout de 38 épisodes. Il en résulte une fin bâclée, trop rapide et sans grand intérêt. Un comble pour une série dont la caractéristique principale est le rythme très posé, pour ne pas dire lent.
En effet, ce genre de série des années 80 se distinguait par un formatage bien différent de l’efficacité hollywoodienne des animes actuels. Les séries étaient prévues sur le long terme et pouvaient se voire annulées ad nutum par la chaîne de télé, ce qui obligeait les scénaristes à construire les épisodes selon un schéma classique début-milieu-fin. Les cliffhangers n’existaient donc pas, il ne fallait pas suspendre l’action en plein milieu, quitte à reporter les enjeux sur l’épisode suivant. C’est ce qui explique le rythme mou des séries de cette époque, et Layzner en est tout à fait représentatif. Les premiers épisodes sur Mars, et toute la deuxième partie de la série, suivent un schéma qui se répète et qui peut vite agacer le spectateur qui redécouvrirait l’anime aujourd’hui.
Ce qui est bien dommage car la série se démarque non seulement grâce au traitement real robot signé Ryôsuke Takahashi, mais aussi par son animation de grande qualité pour l’époque – une qualité que la version remasterisée Blu-Ray (dont les screens illustrent cette critique) nous permet de profiter à sa juste valeur. De plus la série aligne les idées de mise en scène intéressantes, dont certaines furent plagiées par diverses séries récentes, ce qui augmente rétroactivement sa valeur.
Comme il était de rigueur dans ce genre de cas, la série eut droit à des OAV qui reviennent sur la fin de la série et offrent à Layzner la conclusion qu’il mérite. Cela dit j’aurais du mal à la conseiller à qui que ce soit ; j’ai moi-même eu des difficultés à aller jusqu’au bout, et ce malgré une première partie excellente. Là se situe la limite entre les vrais chefs-d’œuvre et les animes simplement trop âgés pour être réellement médiocres.