A l’origine il n’y avait rien, c’était le néant. Au fond de cet océan primordial, une étincelle a surgi. Et de cette lueur est apparue… Ce film. Pas grand-monde n’avait vu arriver Les Enfants de la Mer, adaptation inattendue d’un manga terminé en 2012 par l’auteur de niche Daisuke Igarashi. Le studio en charge est 4°C, qui remonte à la surface après des années en apnée suite à la décevante trilogie Berserk, qui a entaché la réputation d’un studio pourtant chouchouté par les fans dans les années 2000. Avec ce film toutefois, 4°C entend bien replonger dans le grand bassin et montrer qu’ils peuvent encore faire des vagues.
Ruka est une adolescente qui vit avec sa mère dans une ville portuaire du Japon. A la suite d’un incident à l’école, elle se fait virer du club de handball et se retrouve seule pour les vacances d’été. Elle rend alors visite à son père qui travaille dans l’aquarium local, et fait la connaissance de Umi, un « enfant de la mer ». Lui et son frère Sora auraient été élevés par des dugongs, et disposent d’un don particulier pour communiquer avec les animaux marins. Au même moment, des incidents étranges se produisent sur les littoraux du monde entier, ce qui pousse la communauté scientifique à étudier les capacités des enfants de la mer. Ruka se trouve rapidement impliquée dans ces évènements, ce qui va l’amener à prendre part à une aventure métaphysique.
Le principal point d’intérêt du film se situe au niveau visuel. Plutôt que de suivre la tendance du superflat et des designs lisses qui dominent le cinéma d’animation japonais post-Ghibli, le studio 4°C a opté pour un chara-design rugueux et très stylisé, avec ces personnages aux silhouettes filiformes et des yeux disproportionnés façon shôjo manga d’il y a trente ans. L’animation en elle-même est assez incroyable avec bien sûr un soin particulier apporté aux effets aquatiques, mais ce qui m’a le plus impressionné c’est la quantité et la qualité des animations pour les animaux marins, baleines, dauphins, tortues, requins et poissons en tous genres. A l’heure où il n’y a guère plus que dans la série TV Pokémon où l’on peut encore voir des créatures animées à la main en 2019, le studio 4°C fait ici preuve d’un savoir-faire et d’une technique qui place déjà ce film parmi les espèces en voie de disparition.
Le scénario adapte le manga de manière compétente quoique imparfaite, beaucoup de thèmes sont abordés sans que l’on sache vraiment où le film veut en arriver. Fable écologiste ? Récit de science-fiction conceptuel ? Métaphore du passage à l’âge adulte ? Le film est un peu de tout ça sans n’être rien de tout ça à la fois. La dernière demi-heure, qui verse dans l’abstraction la plus totale, semble indiquer que la portée du film est bien plus sensorielle que narrative, avec ces images irréelles accompagnées par la bande-son lancinante de Joe Hisaichi. Peut-être que si j’avais fumé des algues marines avant d’entrer dans la salle j’aurais pu comprendre la portée cosmogonique de cette histoire, en l’état je suis un peu resté sur le bord de la plage en attendant le reflux de la marée.
Les Enfants de la Mer est d’abord et surtout une prouesse technique, un exercice de style réalisé par des animateurs à l’attention des fans d’animation. Inutile d’y aller en famille ou d’y envoyer vos gosses/neveux/cousins, ils n’y comprendront rien et seront noyés dans l’ennui au bout de la première heure sur les deux que compte le film. Pour les autres, c’est-à-dire les quelques nerds éparpillés dans cette salle à 95% vide d’un gros multiplexe parisien pour la séance du samedi 13h, il y aura au moins de quoi discuter sakuga quelques semaines. Pour sûr le box-office va se planter mais c’est pas grave, ce n’est pas la mer à boire.