Look Back est un manga one-shot de Tatsuki Fujimoto, qu’il publia en 2021 entre les deux parties de son manga à succès Chainsaw Man. Même si Fujimoto avait déjà une réputation dans le milieu, la publication de Look Back à peu près au même moment que l’annonce de l’adaptation anime de CSM propulsa la notoriété internationale de l’auteur, au point de le voir invité à Angoulême se faire cirer les bottes par l’intelligensia de la bande-dessinée européenne. Quelques années plus tard, c’est au tour de Look Back de se faire adapter en anime, sous la forme d’un moyen-métrage présenté à Annecy et plus tard diffusé sur Amazon Prime après une projection ciné limitée. Et c’est de ça dont on va parler.
En primaire, Fujino dessine des mangas dans le journal de l’école et fait l’admiration de ses camarades pour la qualité de ses histoires. Elle découvre qu’une autre élève, Kyomoto, dessine également des mangas avec un talent beaucoup plus prononcé. Elles deviennent rivales, mais Kyomoto ne vient jamais en cours et vit recluse chez elle. Un jour, les deux filles finissent par se rencontrer et se lier d’amitié. C’est le début d’un parcours artistique et personnel émaillé de joies et de peines…
On dit souvent que les artistes ne sont jamais meilleurs que lorsqu’ils parlent de leur propre activité artistique. C’est vrai dans tous les domaines et également dans le manga et l’animation japonaise, même si dans ce dernier cas il est rare qu’un artiste seul ait les coudées franches pour parler d’autre chose que ce que l’industrie considère comme le plus vendeur, même si un certain nombre d’animes récents ont été produits sur le sujet (Eizouken de Maasaki Yuasa, la saison 2 de Oshi no Ko, prochainement la série Zenshuu du studio Mappa). Look Back s’inscrit dans ce mouvement mais avec une singularité qui lui est propre.
Comme on peut s’y attendre avec une œuvre de Fujimoto, le thème central est celui du sens. Les deux personnages principaux sont associés par leur passion et leur succès, mais ils cherchent à donner un sens à leur art et à leur vie en général, et c’est cette quête de sens qui finira par les séparer. Ceux qui ont vu le film savent qu’il y a un peu plus que cela mais il serait dommage de spoiler ici le film; on se contentera de dire que cette quête de sens n’est pas une simple question avec une réponse claire, c’est un processus constant, une charge qui pèse à chaque instant sur l’artiste. Impossible toutefois de ne pas mentionner l’allusion évidente à l’incendie criminel du studio Kyoto Animation de 2019 (ce n’est pas un hasard si l’un des deux personnages s’appelle «Kyomoto») qui a vraisemblablement été le catalyseur qui a amené Fujimoto à raconter cette histoire. Ayant moi-même été marqué en tant que fan par cet évènement qui constitue un des moments les plus dramatiques de l’histoire de l’animation japonaise, le traitement du sujet par l’auteur m’est paru d’autant plus juste et pertinent.
La réalisation du film a été confiée à Kiyotaka Oshiyama, animateur et chara-designer très réputé dans le milieu depuis le début des années 2000 et connu notamment pour la réalisation de la série Flip Flappers, son épisode solo de Space Dandy et d’innombrables collaborations à plus ou moins grande échelle. Oshiyama est le genre d’artiste qui ne fait pas de compromis sur le style, quitte à employer des méthodes qui détonnent avec la norme visuelle des animes modernes. Dans le cas de Look Back, Oshiyama a lui-même dessiné la moitié des plans du film (!), et laissé l’autre moitié à des animateurs triés sur le volet dont des légendes vivantes telles que Toshiyuki Inoue (!!!), dans une volonté explicite de limiter le nombre d’animateurs sur le projet et éviter les complications inhérentes aux productions pléthoriques et désorganisées (*tousse*JJK S2*tousse*). Autre point intéressant, Oshiyama a délibérément choisi de ne pas corriger les dessins même lorsqu’ils déviaient du style du mangaka ou comportaient des erreurs; le réalisateur a expliqué ce choix par une volonté de rendre visible la main de l’artiste à l’heure où l’IA fait un entrisme dans l’industrie. Regardez par exemple cette image, notamment les contours des bras du personnage, on voit que ça a été dessiné rapidement avec effets de mouvements assez brouillons. Normalement ce genre d’imperfection est corrigé par les directeurs de l’animation, mais ici ils sont restés jusqu’à la version finale, ce qui donne cette impression d’animation « artisanale » recherchée par le réalisateur. L’autre avantage d’avoir un animateur aussi impliqué dans le projet est l’audace visuelle permise, je pense en particulier à ce plan signé Oshiyama qui démarre en vue zénithale pour venir à hauteur du personnage, le tout intégralement animé à la main, c’est le plan de background animation parmi les plus impressionnants que j’ai jamais vu.
Sur le fond comme dans la forme, Look Back est une production d’un très haut niveau artistique; Tatsuki Fujimoto a de la chance que ses mangas soient adaptés de manière aussi ambitieuse. Une ambition qui sied bien le propos, lourd et impactant, ancré dans la réalité douloureuse d’une plaie qui ne s’est pas refermée. Look Back est un anime produit par des artistes pour des artistes, et c’est d’abord le témoignage d’un auteur condamné à avancer sur sa voie, hanté par les fantômes de ses camarades, sans possibilité de regarder en arrière.