Article initialement paru dans la rubrique Faits Divers du Webzine d'AK.
« Un an plus tard, l’enquête est au point mort. C’est en substance ce que dévoile le communiqué du juge d’instruction qui conduit encore aujourd’hui ce que la presse a appelé "L’affaire Métal Noir", et qui défraya la chronique dans le petit milieu de l’animation japonaise. »
« Les faits remontent à la saison de printemps 2014. Alors que le planning des nouveautés est fixé et que les chaînes de télé ont toutes attribué leurs cases de diffusion, le studio Satelight annonce par surprise une série originale dont la diffusion se fera en retard du reste de la production. Le staff annoncé laisse les experts perplexes avec notamment le réalisateur expérimenté Junichi Satô, la scénariste Mari Okada et Shôji Kawamori à la production et au design. »
« Un tel retard pour annoncer un tel anime avec un tel staff constituait déjà à l’époque un motif de méfiance. Les commentateurs de l’époque mentionnaient ainsi l’hétérogénéité suspecte de cette équipe, tout comme le fait d’avoir annoncé en retard ce qui s’annonçait comme une série de robots géants ambitieuse. Mais personne n’avait alors prédit le drame qui se jouerait dans les semaines suivantes. »
« En effet, l’habituelle première vague d’intérêt mue par la curiosité polie du public s’estompe rapidement. En moins de quelques semaines, l’anime ne figure déjà plus nulle part parmi les séries commentées de la saison. Alors que la diffusion se poursuit, les chiffres de précommandes des DVD/BR s’effondrent au point que les producteurs décident en urgence de limiter les pertes en retirant les huit volumes prévus à la vente et de les remplacer par une distribution ramassée en deux coffrets. Le premier d’entre eux est si mal classé dans les charts japonais que les chiffres de ventes ne sont même pas comptabilisés. Nous sommes le 5 novembre 2014, M3 Sono Kuroki Hagane a disparu et ne reparaîtra pas. »
« Très vite l’alerte est donnée par les voisins qui s’inquiètent de la disparition de la série. L’enquête est confiée au commissaire Jean-Marcel Takoyaki qui encore aujourd’hui se rappelle des premiers pas de l’investigation : "cela faisait pas mal d’années que j’enquêtais sur des enlèvements et des disparitions, mais cette affaire avait quelque chose de particulièrement malsain, se rappelle-t-il. Nous nous sommes tout de suite rendus compte que la tâche serait ardue, mais nous avons procédé de la même manière que d’habitude, en faisant établir un profil psychologique de la victime." Un profil initialement confidentiel, mais dont nous nous sommes procurés un exemplaire. »
« Selon ce document, M3 Sono Kuroki Hagane se présentait comme une série de mécha avec des adolescents qui doivent se battre contre une menace venus d’un passage dimensionnel. "Cette série tente vraisemblablement d’émuler un modèle narratif issu du succès de certaines séries antérieures", peut-on y lire. L’histoire se déroulant dans un Japon contemporain voit huit adolescents, tous atteints d’une certaine forme de névrose, se voir confier la responsabilité de sauver le monde en pilotant des robots qui doivent se battre contre des monstres. Ces monstres appelés Abominations sont issus de la Zone Avidia, une sorte de trou dimensionnel apparu en lieu et place de Tokyo. Le principal twist de la série étant que le contact avec la Zone Avidia, tout comme avec les Abominations, résulte en une dégradation de la santé mentale des pilotes. "Ce genre de mélange entre real robot et pseudo-psychologie renvoie directement à la mode des Eva-like du début des années 2000, explique le profil. Peu de clichés nous sont épargnés, avec des références directes à Evangelion, RahXephon et autres Bokurano." Des références qui semblent plutôt bonnes de prime abord, mais qui ne semblent pas favorisées par le contexte de création de la série. "Bien que ces idées ne soient pas nouvelles, elle ne sont pas intrinsèquement mauvaises. Cependant, leur utilisation requiert un certain talent dont la scénariste, Mari Okada, est manifestement dépourvu." »
« Le profil des enquêteurs s’appesantit longuement sur l’influence néfaste de Mari Okada. "Cette femme a connu quelques succès dans l’animation japonaise, mais depuis plusieurs années son nom a le plus souvent été associé à l’anecdotique et à la médiocrité. Son style à base de mélodrame gratuit et de personnages qui passent leur temps à pleurer et à crier est très reconnaissable." Le tout est visiblement accentué par le fait qu’en toutes circonstances la série se prend très au sérieux : "la série se veut très premier degré, sans humour ni légèreté, mais les personnages ne sont pas assez intéressants, et l’univers pas assez attrayant pour accrocher le spectateur et l’investir émotionnellement." »
« Le profil se conclut en mettant en exergue les problèmes de rythme de la trame, ainsi que le caractère souvent arbitraire de l’intrigue. "Certains personnages ont une évolution erratique tout au long de la série, d'autres sont complètement inertes du début à la fin. Quant à la trame elle-même, elle se révèle finalement assez superficielle". Des conclusions qui n’ont pas surpris les enquêteurs : "Les séries de robots d’hier comme d’aujourd’hui sont souvent victimes de ce genre de problèmes, explique le commissaire Takoyaki. Mais cela n’entraîne que rarement des cas de disparitions aussi subites. La plupart du temps ces séries connaissent un petit buzz puis sont rapidement oubliées. Elles ne disparaissent pas comme ça." »
« La criminologue Jacqueline Sushi-Devilliers a couvert l’enquête en compagnie de la police et en a d’ailleurs sorti un livre, Métal Noir et Bide Obscur, paru en 2015 aux éditions Tartempion. Selon sa thèse, M3 Sono Kuroki Hagane a avant tout été victime d’un environnement difficile. "Dans notre métier, c’est ce que l’on appelle couramment la théorie du premier cercle, nous explique-t-elle. Lorsqu’une victime disparaît, on a tendance à rechercher le coupable dans le premier cercle des proches : la famille, les amis, les voisins, les collègues, et ainsi de suite." L’examen du premier cercle des proches a ainsi révélé toutes sortes de déficiences. "Tout le monde a pointé du doigt Mari Okada, ce qui est assez normal car elle a eu une influence résolument négative. Mais il faut aussi mentionner le réalisateur Junichi Satô, qui s’est surtout distingué par son absence d’influence." Âgé et expérimenté, Junichi Satô ne semble pas être le genre de réalisateur qui irait volontairement s’abaisser à produire n’importe quoi. "Il n’a sans doute pas trop eu le choix, explique Jacqueline Sushi-Devilliers. Ce réalisateur a principalement bossé sur du magical-girl ou du slice-of-life avec des petites filles mignonnes qui font des trucs mignons. Lorsqu’on lui a proposé de réaliser une grande série de mécha dans la lignée d’Evangelion, il n’a pas pu refuser. Ce n’est que lorsqu’il s’est rendu compte qu’on lui avait collé des gens comme Mari Okada et Ichiro Okouchi au script qu’il a décidé de saboter sa propre série en ne faisant aucun effort au niveau de la mise en scène et de l’animation. Il faut admettre qu’avoir comme scénariste celle qui a écrit Aquarion Evol et Black Rock Shooter avait de quoi désespérer." »
« Parmi les autres membres de l’entourage de la victime, on peut citer Shôji Kawamori qui officie en tant que mécha-designer, mais surtout comme directeur du studio Satelight. "Kawamori est un récidiviste, explique la criminologue. Il dirige le studio Satelight dans le seul et unique but de satisfaire ses envies de créer des animes sans intérêt." En 2014, Kawamori avait ainsi signé Nobunaga the Flop, qui fut largement ignoré aussi bien par le Japon que par le reste du fandom. "C’est sans doute pour compenser cet échec personnel qu’il a fait réaliser M3 Sono Kuroki Hagane par son studio juste après. Mais il s’y est pris trop vite et trop mal, avec des mauvaises personnes et dans des circonstances défavorables. L’année 2014 était riche en mécha, dont la plupart se sont cassés la gueule artistiquement et/ou commercialement." Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Satelight produit aujourd’hui l’adaptation d’un spin-off de la licence Haruhi Suzumiya, dans une dernière tentative désespérée de compenser ses pertes sur les séries originales. »
« Tous ces éléments concourent à expliquer l’échec d’une série telle que M3 Sono Kuroki Hagane, mais il manque l’élément décisif qui permettrait de comprendre pourquoi cette série a disparu aussi subitement. "C’est réellement quelque chose de très triste, admet Jacqueline Sushi-Deveilliers. M3 Sono Kuroki Hagane n’est certes pas une bonne série ; sa réalisation est molle, son intrigue maladroite, ses dialogues sont pourris, sa fin est naze. Mais elle n’est pas beaucoup plus honteuse que d’autres séries. Seulement, les gens ont tendance à pardonner plus facilement les séries qui ont du succès, et à juger plus durement les séries qui n’en ont pas, et cela indépendamment de leurs réelles qualités." Le commissaire Jean-Marcel Takoyaki se veut plus fataliste encore. "Il y a de plus en plus d’animes produits et de moins en moins de gens pour les regarder, explique-t-il. Aujourd’hui ce n’est plus une question d’être bon, si l’on n’est pas au centre d’un plan marketing minutieux, c’est difficile de s’en sortir. La disparition d’une série banale mais honnête comme M3 Sono Kuroki Hagane est malheureuse mais c’est un phénomène qui risque bien de s’accentuer." »
« Même si les enquêteurs affirment ne pas abandonner l’espoir de retrouver un jour M3 Sono Kuroki Hagane, La plupart des experts affirment que les chances de retrouver la série saine et sauve sont quasi-nulles. "Il ne faut jamais désespérer, conclut Jacqueline Sushi-Devilliers. Mais il est également important de savoir aller de l’avant et de ne pas constamment ressasser les drames du passé, sous peine de manquer les opportunités du futur." »
Propos recueillis par D.F.