Manie Manie : Un dîner presque parfait
Même si mon hobby est d’écrire des critiques gastronomiques, je suis avant toute chose un amateur de bonne cuisine. Je sais que vous aussi. Je ne résiste donc pas à l’envie de vous faire partager un dîner fameux auquel j’ai été convié. Le titre de la soirée était «Manie Manie».
Ce qui frappe en premier lieu, c’est la liste des invités. A ma table, j’avais Rintarô, metteur en scène mythique (Harlock, Metropolis), Yoshiaki Kawajiri (Ninja Scroll, les City) et Katsuhiro Otomo (Akira). Était aussi convié Koji Morimoto (fondateur du studio 4°C).
Mais ce qui met nos papilles en émoi, c’est que ce sont les invités eux-mêmes qui ont composé le menu. Rintarô aux hors d’œuvres, Kawajiri au plat de résistance et Otomo au dessert.
Rintarô est un chef qui n’est pas tant connu pour ses talents de scénariste ou de dessinateur, au contraire de ses deux collègues. Son truc a lui, c’est la mise en scène. Pourtant lui-même estime que le plat qu’il nous a servi, Labyrinthe, est une de ses rares œuvres « personnelles ».
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’entrée nous met tout de suite dans le bain, avec un goût d’onirisme mêlé d’expérimental. Le court-métrage est quasi-muet, hormis quelques répliques incompréhensibles au début. Puis on suit Sachi et son chat Cicéron au travers d’un voyage de l’autre côté du miroir, façon Alice in Wonderland. La comparaison n’est pas choisie au hasard, puisque Sachi suit en réalité une sorte de Pierrot dans un dédale labyrinthique où monstres et autres apparitions surréalistes se succèdent. Le spectateur déguste cette course poursuite de l’étrange, où le cuisinier s’est fait plaisir en nous montrant tout ce qu’il sait faire en matière de mélanges de goûts divers. Le chara-design est presque enfantin (il est l’œuvre d'Atsuko Fukushima, épouse de Koji Morimoto) mais les décors sont souvent sombres et torturés, et les différentes rencontres fantomatiques et monstrueuses. Pour preuve cette séquence, étonnante, dans laquelle on suit Sachi en vue à la première personne courant dans le labyrinthe, poursuivant l’ombre du clown. Une scène que j’ai trouvée impressionnante pour un film aussi vieux.
Bref, cette entrée en matière n’a pas pour but de vous raconter une histoire mais bien de vous en mettre plein la vue. Je me suis délecté de chaque bouchée avec plaisir, comme ces plats de fêtes de fin d’année, qui sont justement si bons parce qu’on ne les mange pas souvent.
Le deuxième plat, le plat principal, fut cuisiné par Yoshiaki Kawajiri. A l’époque où Manie Manie fut pour la première fois servi au public (1986), Kawajiri n’était pas encore le chef étoilé qu’il est aujourd’hui. Mais le talent n’attend pas et le plat proposé ce soir, Running Man, est un vrai délice.
Zack Hugh est pilote dans les courses de Death Circus, des compétitions de véhicules du futur du type de F-Zéro. Zack Hugh est le meilleur, le plus rapide… Quel secret se cache chez cet homme obnubilé par la vitesse ? Pourquoi cherche-t-il toujours à être le plus rapide ? Qui cherche-t-il à dépasser ? Sont-ce les autres… ou lui-même ?
Toutes ces questions se sont posées à moi en voyant ce court-métrage, condensé de cyberpunk pur, cuisiné dans un style déjà propre au réalisateur, très sombre, dans la mouvance dite « réaliste » de la japanime des années 80-90. Et que dire de ces morceaux de surnaturel, qui nous offrent la séquence de la course où les bolides explosent les uns après les autres ! De cette sauce psychologique, fine et se mariant tellement bien au reste du film, avec laquelle on voit tous les doubles de Zack le dépasser, avant de lui-même se dépasser jusqu’à outrepasser les limites humaines… Le goût est subtil, la cuisson saignante : un plat royal servi un plateau d’argent.
Et maintenant, le dessert. Ici aussi, Stoppez les travaux ! est une des première recettes de Otomo en tant que réalisateur de dessin animés. Il sera secondé dans la préparation de son plat par le commis Koji Morimoto.
Ce qui fait la force de ce plat, c’est qu’il est le plus terre à terre du menu. Pas de délire visuel abscons, ni de symbolisme ostentatoire. La narration est claire, le cadre est plus ancré dans une certaine réalité. Le court n’en est que plus plaisant à suivre, et nous permet de savourer le talent d’Otomo pour créer des univers cyberpunk d’une grande intelligence.
Sugioka Tsutomu, matricule CX-88, travaille pour une compagnie qui supervise des chantiers gargantuesques en pleine jungle. Suite à un ordre qu’il a reçu de sa hiérarchie, il est dépêché sur les lieux pour transmettre aux robots travaillant sur place l’ordre de cesser les travaux. Mais les robots ont leur propre vision de ce que doit être le travail bien fait, et voient mal un humain les empêcher de parvenir à l’objectif pour lequel ils ont été créés…
La mise en bouche se fait de la plus belle manière avec une suite de plans larges nous montrant ce chantier 444, gigantesques constructions de béton et de métal recouverts par l’eau et les plantes vivaces. La suite continue sur sa lancée, avec des décors sales, boueux, et très détaillés en même temps. A la fois croquant et fondant, voilà comment définir le court-métrage.
Le scénario se montre perspicace en insistant sur la progression de la tension entre l’homme et la machine, avec ces fameuses scènes du petit-déjeuner qui va en se dégradant. Ainsi le court démarre avec un goût quelque peu sucré et s’achemine vers des saveurs plus acides, jusqu’au point de non-retour ou l’humain se soulève face à l’entêtement des robots. Et comme le font les grands animes, le film se termine au moment où il atteint le climax, l’apogée, l’explosion gustative. Beaucoup ont déploré que la dégustation se termine de manière aussi abrupte. Pour ma part, je préfère cela aux copieux desserts que l’on savoure sur le moment mais qui laissent un arrière-goût désagréable. En tout cas, notre cuistot nous sert le plat le plus long du dîner, un plat moins raffiné et recherché que les précédents mais qui préfigure la recette culte d’Akira.
En guise de digestif, Rintarô revient pour nous servir LA séquence du film, à savoir la suite de Labyrinthe, dans laquelle on pourra enfin voir le Cirque s’animer dans un jeu d’ombres et de lumières, donnant naissance aux monstres qui viendront s’animer dans une farandole de l’absurde autour de Sachi et Cicéron, dans un style qui m’a immanquablement fait penser aux livres d’images de mon enfance. De quoi terminer le repas sur une très bonne note.
En parlant de note, je ne vous ai pas parlé de l’ambiance sonore de ce dîner. Le film n’a pas de thème principal, et on aura le plus souvent droit à des musiques d’ambiance ou des bruitages. D’ailleurs, le générique de début et de fin est tout simplement la musique d’ameublement par excellence, La première Gymnopédie d’Erik Satie, au piano. Un air archi-connu mais qui remplit parfaitement son rôle.
Pour conclure, je suis sorti de ce repas avec les papilles en joie, et j’ai remercié tour à tour les chefs qui me l’ont servi. Un repas qui relève l’ordinaire, à savoir la malbouffe pantagruélique à laquelle je suis habitué en japanime. Pour 50 minutes d’animation, un tel repas, c’est un prix cadeau.
Et puis le but de la cuisine, c’est de multiplier les saveurs, et de se faire plaisir, non ?
Les plus
- Pour découvrir trois grands hommes de japanime
- Trois styles, trois univers en un film
- N'a pas pris une ride techniquement
Les moins
- Faut pas chercher un scénario, c'est juste un pur exercice de style