Mob Psycho 100 est un manga en seize volumes écrit et illustré par ONE, auteur emblématique de la nouvelle génération des créateurs japonais qui se sont faits connaître sur les réseaux avant les librairies. Aujourd’hui dans des milieux comme la musique, l’écriture ou même la comédie, devenir connu sur le net est une évidence, mais dans le milieu du manga japonais encore très verrouillé par un oligopole d’éditeurs surpuissants, c’est encore nouveau. Ceux qui veulent devenir mangakas commencent généralement par se faire embaucher comme assistants pour d’autres auteurs vétérans avant d’obtenir la possibilité de publier leur propre série, ou alors ils remportent des concours régulièrement organisés par les éditeurs pour repérer les talents (ou alors ils réussissent les deux, comme Eiichiro Oda). En ce qui concerne ONE, il n’est pas passé par les canaux habituels ; vers la fin des années 2000 il ouvre un site où il publie un web-comic absolument dégueulasse intitulé « One Punch Man » dans le but de s’entraîner au dessin. Finalement il obtient un petit succès au point qu’en 2012 il est repéré par Yusuke Murata, un dessinateur du Shônen Jump, qui lui propose de publier un remake de son manga. Au même moment, ONE débute une autre série, Mob Psycho 100, qui sera cette fois publiée par un éditeur majeur, lui ouvrant ainsi les portes du milieu.
Un profil tel que celui de ONE reste particulier, mais il finira par se développer avec le temps. Avec la montée en puissance des services tels que Jump+/Manga+ et la concurrence des webtoons coréens à l’international, l’industrie japonaise va être forcée d’aller chercher des talents au-delà de son vivier habituel ce qui pourrait amener des profils nouveaux et des auteurs excentriques à connaître le succès.
Mais bon tout ça on s’en fiche, on est pas ici pour parler de mangas, ce qui va nous intéresser c’est l’anime donc allons-y tout de suite. Note : le présent commentaire et la note concernent les trois saisons de la série télé.
Shigeo Kageyama est un collégien ordinaire qui vit dans une ville ordinaire avec une famille ordinaire. Tout de moins, jusqu’à ce que l’on sache qu’il détient des pouvoirs psychiques d’une puissance démesurée, lui permettant entre autres de communiquer avec les esprits ou de manipuler une énergie destructrice. Des capacités que Shigeo s’efforce de ne pas utiliser car il a peur de perdre le contrôle et de faire du mal à son entourage. Un jour, il fait la rencontre de Reigen Arataka, un "médium" spécialisé dans le paranormal, qui pourrait lui apprendre à gérer ses pouvoirs. Ému par le courage du jeune garçon (et un peu par appât du gain), Reigen accepte de prendre Shigeo sous son aile, ce qui démarre son aventure…
Ce que l’on peut remarquer avec MP100, c’est qu’un auteur tel que ONE, autodidacte et n’ayant donc pas été formaté par les éditeurs, a quand même choisi de placer son récit dans les structures narratives propres au shônen de baston des années 90. Les premiers épisodes utilisent une formule de monstre-de-la-semaine où Shigeo affronte divers adversaires dont certains vont évidemment finir par devenir ses copains et le suivre dans son histoire. Puis la série prend un tour plus élaboré, une organisation de méchants apparaît, on a même droit au poncif habituel des treize capitaines/douze lunes/sept corsaires avant le boss final. Et quand ils se font battre, ben en fait on apprend que c’était pas eux les vrais méchants, et rebelote. Il manque juste le tournoi et l’examen quoi.
Si on est pas friand de ces clichés, comme ONE l’est probablement d’ailleurs, on pourrait trouver tout ça banal mais dans MP100 cela marche parce que la série est avant tout une comédie. Les combats se terminent souvent par une pirouette ridicule, genre l’adversaire se retrouve à poil, ou alors Shigeo parvient à éviter l'affrontement en parlementant façon « se battre c’est mal », quand ce n’est pas Reigen qui fait n’importe quoi de son côté. L’anime a un ton vraiment plaisant, avec un univers bien débile façon gag manga des années 80 mais des personnages aux émotions sincères qui donnent envie de les suivre. Lorsque le récit décide de subitement prendre le spectateur au dépourvu, l’effet fonctionne parfaitement. Genre la fin de l’épisode 8 de la saison 2, je pense pas avoir été le seul à prendre quelques secondes pour comprendre que ce que je venais de regarder.
Le point névralgique de l’histoire c’est le personnage de Shigeo et en tant que héros c’est une réussite totale. Les gens parlent souvent des personnages secondaires ou des méchants ou de je sais pas quoi mais si ton histoire n’a pas un bon protagoniste ça ne peut pas marcher. Shigeo dispose de pouvoirs quasi-divins, il est le plus fort sans discussion, mais il décide sciemment de limiter sa puissance non pas par arrogance ou par ennui, mais par altruisme. Il connaît l’étendue de sa puissance et choisit de vivre normalement sans raccourcis, il a entre les mains le cheat code pour activer le mode facile de la vie et décide quand même de lancer le jeu en mode normal, parce que l’effort est plus satisfaisant pour lui. Tout au long de l’anime Shigeo affronte des adversaires de plus en plus puissants, mais à chaque fois le véritable combat de Shigeo c’est avec lui-même… La dernière saison se conclut là-dessus d’ailleurs, car c’est cela le sujet. La puissance ultime de Shigeo c’est qu’il ramène tout le monde à son humanité.
L’adaptation est produite par Bones qui réalise ici une de ses performances les plus exemplaires, ce qui n’est pas peu dire vu l’historique du studio. Le réalisateur est Yuzuru Tachikawa, un mec qu’on a vu naître lorsqu’il a réalisé le court-métrage Death Billards en 2013 et la série Death Parade en 2015, et qui a ensuite monté les échelons pour devenir un réalisateur de premier plan de la nouvelle génération, avec des travaux ambitieux et portés sur la qualité technique. Il est tellement occupé désormais qu’en plus de la supervision de MP100 il fait désormais du cinéma, puisque Tachikawa a réalisé plusieurs films de Détective Conan (dont le prochain qui sortira en salles en France cette année) ainsi que l’adaptation en long-métrage du manga de jazz Blue Giant qui sort au Japon dans quelques semaines.
Là où il faut chercher le vrai bonhomme c’est au poste de chara-designer et de directeur de l’animation, occupé par Yoshimichi Kameda. Animateur légendaire, souvent associé à Bones et connu pour son travail sur les animes de la licence Fullmetal Alchemist, il était aussi animateur des combats sur une série de Madhouse pas trop mal faite paraît-il, One Punch Man je crois que ça s’appelle. Et puis il a bossé sur deux ou trois films genre Rebuild of Evangelion ou alors le dernier Yuasa où il était directeur en chef de l’animation, j’ai l’impression le mec il connaît un peu son taf quoi. En tout cas dans MP100 le rendu est excellent à tout moment, le chara-design volontairement simple autorise la série à privilégier le mouvement et le style, avec des nombreux combats dantesques et quelques séquences extraordinaires telles que celle avec les extraterrestres dans la saison 3, peut-être mon épisode préféré tant dans le sujet que dans la réalisation. C’est tellement généreux en sakuga, tellement stimulant, il y a un moment on a presque envie de dire, genre, c’est trop quoi, vous faites trop d’efforts les gars, vous nous gâtez trop là.
La partie sonore mérite qu’on en parle également parce que pour une fois il y a de l’effort ici aussi. D’abord la musique de Kenji Kawai, dès que son nom apparaît tu sais que tu vas te régaler. Que ce soit les thèmes épiques au style caractéristique, ou les sons plus spécifiques à chaque série, il sait donner une identité musicale aux animes sur lesquels il travaille depuis trente ans. De la même manière que le thème principal de Gundam 00 ou de World Trigger reste en tête, celui de Mob Psycho 100 fera également date. Pareil au niveau du doublage ; le choix de prendre un acteur quasi-inconnu, Setsuo Itô, pour le rôle de Shigeo rend très bien la naïveté du personnage, tandis que Reigen et Ekubo sont incarnés respectivement par les superstars Takahiko Sakurai et Akio Ôtsuka dans des contre-emplois hilarants.
La manière avec laquelle ONE reprend les structures du genre pour les tordre est intéressante lorsque l'on étudie l'évolution du shônen de baston moderne. Que ce soit dans One Punch Man et surtout ici dans MP100, le fait de commencer dès le départ en expliquant que le mec est complètement pété au-delà de tout débat permet à l’auteur de mettre de côté les histoires d’entraînement et de Stands et de Bankai et de trucs comme ça pour traiter des sujets plus essentiels ; la confiance en soi, le rapport à autrui, le sens de l’effort, le passage à l’âge adulte. Plus qu’une histoire de pouvoirs, Mob Psycho 100 c’est une histoire d’êtres humains, et c’est pour cela qu’elle touche aussi juste.