Bourdieu disait que la principale fonction de l’art est l’ordre social, que la pratique culturelle sert à réaffirmer la domination de certaines classes sociales sur les autres. On peut souscrire à cette vision marxiste et durkheimienne de l’art, ou lui opposer les théories individualistes de Weber ; voilà un débat qui serait très stimulant. Dans tous les cas, une illustration valable de cette idée ressort de l’excellent Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro sorti en 2006.
Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro raconte l’histoire de Zaizen Jotaro, agent plus ou moins secret chargé d’enquêter sur la corruption du gouvernement japonais. En effet, les politiciens détournent l’argent public à des fins personnelles, et usent de leur influence pour cacher ces malversations. Zaizen Jotaro agit en dehors de la hiérarchie policière et administrative, ce qui lui permet de révéler ces faits au grand jour.
Ainsi, l’essentiel de Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro relate la lutte de Zaizen Jotaro contre un vaste complot politico-financier. La société Ooshika Constructions est spécialisée dans le bâtiment; elle répond notamment à des appels d’offres du gouvernement dans des contrats juteux. On le sait tous néanmoins, la corruption règne dans ces milieux, ainsi les cadres de Ooshika touchent d’importantes rétrocommissions de la part de l’Etat, qui leur sont accordés par des politiciens qui dissimulent ainsi leur trésor de guerre. Et pour éviter que les affaires ne s’ébruitent trop, un clan mafieux est mis dans la confidence et se voit chargé de purger les éventuels lanceurs d’alerte.
C’est contre cette intrigue que Zaizen Jotaro devra lutter durant l’essentiel des onze épisodes de Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro. Cette volonté de produire une série animée traitant de la corruption de milieu politique est d’un grand intérêt et place immédiatement Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro au-dessus de la grande majorité des production médiocres qui inondent nos écrans chaque saison et que le public inculte dévore par effet de masse, phénomène là aussi largement commenté par Bourdieu et autres penseurs du structuralisme constructiviste que tout le monde connaît.
En relatant la lutte d’un homme déterminé face à la corruption du pouvoir, Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro se place d’abord et avant tout sur le terrain moral, rappelant la nécessité pour le pouvoir politique de respecter les directives morales qu’il édicte lui-même. En cela il est plus qu’évident pour n’importe qui un tant soit peu intelligent que Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro s’inspire du livre III chapitre X du Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau, notamment en ce qu’il évoque l’inclination naturelle des gouvernements à dégénérer vers l'aristocratie. Pareillement, l’approche basiste et essentialiste de Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro qui oppose fondamentalement le champ politique et le champ populaire montre que les auteurs de la série ont parfaitement analysé les tenants et aboutissants idéologiques du mouvement dits des « gilets jaunes » en France, une acuité intellectuelle qui ne peut qu’être mise à leur crédit et rapproche Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro des thrillers politico-sociaux de ce cher Costa-Gavras.
Toute étude philosophique qu’elle soit, Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro n’oublie pas ses devoirs envers la fiction et la dramaturgie. Elle nous propose ainsi un protagoniste particulièrement complexe et approfondi. Zaizen Jotaro s’impose immédiatement comme un parangon de virilité, faisant preuve constamment de ses impressionnantes qualités physiques et mentales, et de ses charmes envers les femmes qui tombent comme des mouches face à son charisme irrésistible. Seulement vous avez lu comme moi les gender studies américains qui démontrent de manière indiscutable que l’expression ostentatoire de la virilité sert exclusivement à cacher son homosexualité latente ; il est donc absolument évident que Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro est un flamboyant plaidoyer pour la communauté LGBT qui se verra représentée dans cette série comme elle ne l’a jamais été dans la production animée japonaise.
Les efforts intellectuels, politiques et de représentation sociale de Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro sont servi par une recherche esthétique qu’il serait malséant de nier. L’animation fait preuve d’une démarche rétro au charme incontestable, l’anime ayant au moins dix ans de retard technique – ce qui lui permet d’illustrer la fameuse maxime de Stendhal selon laquelle à vouloir vivre avec son temps on meurt avec son époque. La cinématographie de Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro défriche de nouveaux horizons, propose des plans audacieux et novateurs dont la puissance évocatrice ne peut se trouver que chez les plus grandes œuvres du médium tels que l’Evangelion d’Anno, le Bloodlust de Kawajiri ou l’Apocalypse d’Adolescence de Kunihiko Ikuhara.
Il va sans dire que Naikaku Kenryoku Hanzai Kyosei Torishimarikan Zaizen Jotaro est un pilier culturel de l’animation japonaise, et l’analyse ici proposée ne fait que retracer les grandes lignes de l’abondante littérature qui existe au sujet de cette série extrêmement connue dans les cercles universitaires. Si vous ne l’avez toujours pas vue néanmoins, il est toujours temps de vous extraire de votre condition d’illettré provincial bigot et stupide pour rejoindre enfin la hauteur d’esprit non-binaire à laquelle tout le monde aspire que vous le vouliez ou pas.