Train de nuit dans la Voie Lactée : un train à prendre
"Ginga Tetsudo no Yôru" est une nouvelle écrite en 1927 par l'écrivain Kenji Miyazawa. Inconnue de son vivant, son œuvre n'a été publiée qu'à titre posthume en 1934. Depuis, elle est devenue une référence du conte pour enfants japonais, une sorte d'équivalent nippon du "Petit Prince" de Saint-Exupéry.
Il aura fallu attendre 1985 pour qu'une adaptation animée voie le jour. Celle-ci fut produite par le groupe TAC et le réalisateur Sugii Gisaburo, connu à cette époque pour avoir réalisé les adaptations du Touch d'Adachi ou la première série de Glass no Kamen. Le film reprend l'histoire de la nouvelle au mot près, et même si on peut trouver des traductions sur le Net, l'anime est peut-être plus abordable pour découvrir le sujet.
Giovanni est un enfant issu d'une famille pauvre, partageant sa vie entre les cours et des petits boulots destinés à nourrir sa mère malade. Son père est absent et cela lui vaut moqueries de la part de ses camarades.
L'histoire démarre un jour de fête. Un festival se tient en l'honneur des étoiles. Giovanni ne peut y aller en raison de ses obligations familiales. Après une longue nuit de travail, il se retrouve au sommet d'une colline à l'écart du village. Alors qu'il commence à s'assoupir, il entend le bruit d'une locomotive qui s'approche. Avant même de comprendre ce qui se passe, il se retrouve assis dans un train, qui avance au milieu des constellations. Il y retrouve Campanella, son seul ami de l'école, lui aussi inexplicablement arrivé là.
A bord du train, les deux enfants vont parcourir la galaxie, découvrant des choses plus incroyables les unes que les autres, tout en se demandant quel le but final de ce voyage.
Comment résumer ce film en quelques mots ? C'est un voyage fantastique, onirique, très mystique et ésotérique aussi. Vous vous souvenez de la scène du train dans Le Voyage de Chihiro ? Et bien imaginez cette scène étendue sur une heure quarante.
Ainsi, le film se pose tout d'abord comme une production visant les enfants. Par exemple, les personnages ne sont pas humains, mais des chats anthropomorphisés. Cette idée est très intelligente car elle souligne la naïveté de ces personnages qui se laissent porter par les évènements. De plus cela apporte un fort contraste lorsque, plus tard dans le film, des vrais humains apparaissent.
Le cadre spatio-temporel du film, comme il est d'usage dans ce type de récit, est en dehors de toute identification possible. Il rappelle vaguement l'Europe de la fin du XIXe siècle ; cela est souligné par le fait que toutes les textes dans le film sont écrits en espéranto (c’est très curieux d’ailleurs, mais cela s’explique par la passion qu’avait Miyazawa pour cette langue). Mais en dehors de cela le film reste dans un monde purement fantastique, ma foi assez inspiré par l’esthétique des vieux Disney.
Toutefois, on ressort du film avec un sentiment particulier. On a regardé un film pour enfants, mais on n’en a pas eu l’impression. J’ai trouvé le ton du film sombre, parfois oppressant - l’essentiel du film se déroule la nuit, ou dans l’espace où il fait noir. Les silences et scènes statiques sont nombreux, et renforcent ce sentiment d’attente, de temps suspendu. L’OST du film, qui sait se faire remarquer, contribue à cela. Entres sonorités mystiques, reprises de thèmes célèbres (la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorák, Le Messie de Haendel, qui ne sont pas choisis au hasard), et des bruitages presque inquiétants (le bruit de train sur les rails, qui ne cesse jamais), le film a véritablement un aspect doux-amer, assez inclassable.
Difficile de continuer plus avant l’analyse de ce film sans vous en spoiler la substance. Tout comme la nouvelle originale, le film laisse une grande part d’interprétation au spectateur. Le réalisateur n’a pas cherché à imposer sa vision des choses, et s’est contenté de souligner les passages les plus forts. Les quelques rajouts effectués n’entrent pas en conflit avec la volonté de l’écrivain, qui livrait une odyssée symboliste à la recherche du sens de la vie, de la mort et du bonheur. Tout à fait dans la lignée du Petit Prince dans l’esprit, cette histoire peut se lire sous bien des angles. On peut parler du fait qu’elle a été écrite deux ans après la mort de la sœur de Miyazawa, alors que celui-ci effectuait un voyage en train. On peut souligner la forte religiosité de l’écrivain vis-à-vis du bouddhisme. On peut la rapprocher aussi de la mentalité japonaise de l’époque, notamment tout ce qui concerne le sens du sacrifice qui caractérise une certaine vision du Japon. En tout cas, il n’y a pas une et une seule manière de voir les choses, et c’est sans doute cela qui explique le succès de ce conte.
Car ce film n’est pas passé sans laisser un certain héritage. Par exemple, un des metteurs en scène de ce film, Koichi Kusano, deviendra dix ans plus tard le fondateur du studio Bee Train. La comédienne qui double Giovanni en version japonaise, Mayumi Tanaka, est devenue un des seiyus les plus connus de l'archipel. Vous aurez sûrement remarqué que l’histoire du train spatial a inspiré le Galaxy Express 999 de Leiji Matsumoto (dont le nom japonais est Ginga Tetsudo 999). Et il y encore bien des animes qui renvoient explicitement à Train de nuit dans la voie Lactée, y compris des animes très récents.
C’est sans doute cela qui fait la valeur de cet anime : il contient tellement de puissance évocatrice, qu’il est à la fois passionnant et désespérant de vouloir en tirer quelque chose. Sa valeur en tant qu’anime est relativement faible, mais il constituera un apport notable pour votre culture personnelle.
Les plus
- Découvrir une référence japonaise
- Un propos universel
- Une ambiance bizarre et unique
Les moins
- ça a quand même bien vieilli