Onii-chan wa Oshimai (littéralement « grand frère devient petite sœur ») est une série du studio Bind, que vous connaissez sûrement puisqu’ils ont produit Mushoku Tensei dont la deuxième saison est sur le point d’être diffusée. Les deux séries n’ont pas grand-chose en commun à première vue, l’une étant une série d’action-aventure fantasy et l’autre une comédie type CGDCT, mais en vérité ces deux animes disent quelque chose d’intéressant sur la démarche du studio et la manière avec laquelle le public actuel reçoit certaines thématiques.
Au départ Onimai est un manga de l’auteur Nekotofu, qui jusque-là évoluait principalement dans le milieu du doujin ; pas nécessairement du doujin H d’ailleurs, mais bon on en est jamais très loin. Dans ce vaste univers du manga underground, chaque auteur a sa petite spécialité. Dans le cas de Nekotofu son kiff c’est le gender bender, autrement dit le changement de sexe. Vous savez le mec qui se réveille un matin avec un corps de fille, ou l’inverse. Un cliché de la fiction érotique bien connu, notamment au Japon où ce fétiche s’est inséré dans le mainstream avec des séries célèbres telles que Ranma ½ par exemple. Plus récemment on a eu le film Your Name de Makoto Shinkai qui incorporait cet aspect gender bender pour en faire un ressort comique et romantique. C’est d’ailleurs après avoir vu ce film que Nekotofu s’est dit qu’il pourrait toucher un nouveau public avec ce thème, et qu’il a commencé à publier Onimai sur Pixiv. Le succès fut immédiat, le manga fut republié par un éditeur professionnel et, récompense suprême, une adaptation anime fut produite et c’est de cela dont on va parler ici.
Mahiro Oyama est un jeune homme qui vit reclus chez lui, sans travail ni réelle occupation en dehors de la consommation intense de jeux vidéo et de mangas/anime à la moralité douteuse. Excédée par cette situation, sa petite sœur Mihari décide de lui faire consommer une potion magique qui du jour au lendemain transforme Mahiro en une fillette d’une douzaine d’années. Au départ déstabilisé par son nouveau corps, Mahiro va finalement apprendre à accepter sa nouvelle identité et repartir de zéro dans sa vie…
Ce qui interpelle le plus avec cette série c’est sa réalisation, d’un haut niveau technique. Le réalisateur s’appelle Shingo Fuji, un animateur vétéran qui bosse dans milieu depuis le début des années 2000, et qui a notamment travaillé au studio Bones ainsi que chez Toei sur des séries de la franchise Precure. Il a intégré le studio Bind comme superviseur des scènes d’action sur Mushoku Tensei et passe réalisateur sur Onimai ; et ça se voit tout de suite qu’on a affaire à une « série d’animateurs » comme on dit dans le jargon, le niveau de sakuga est inhabituellement élevé pour un anime de ce type qui n’a pourtant vocation qu’à montrer des gamines faire la cuisine ou le ménage. Les génériques sont superbement animés, et les épisodes sont très dynamiques, le chara-design volontairement simple permet aux animateurs de s’exprimer librement et de rendre chaque scène aussi vivante que possible. Je suis allé lire quelques pages du manga pour comparer, et autant dire que le travail d’adaptation est extraordinaire, genre on passe dans une autre dimension. C’est l’équivalent du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson sauf qu’au lieu d’adapter Tolkien on adapte un doujin qui parle de lolis à poil quoi.
Parce que oui, c’est un peu cela le sujet. Toute la première moitié de la série raconte comment le personnage principal, un otaku qui n’a jamais adressé la parole à un membre du sexe opposé, se retrouve du jour au lendemain dans un corps de fille avec tous les avantages et les inconvénients qui vont avec – ça parle de Tampax dès l’épisode 2, et de pipi tout le reste de la série. C’est très voyeuriste et tendancieux, si vous êtes dans l’humour scato vous allez adorer. Par la suite ça se calme un peu, l’anime s’oriente vers des sujets un peu plus au-dessus de la ceinture. Notamment, la transformation de Mahiro (ou plutôt sa "transition") va lui permettre de repartir de zéro dans sa vie, de retourner à l’école, de se faire des amies et de peut-être prendre un autre chemin qui celui qui l’a mené à devenir un asocial dégénéré. C’est pour cela que cette série est finalement très ressemblante à Mushoku Tensei, c’est le même sujet en réalité, mais ici au lieu de repartir de zéro en changeant de monde le protagoniste repart de zéro en changeant de sexe.
Onimai a connu un gros succès au Japon, se plaçant premier dans les classements japonais de Niconico pour la saison d’hiver 2023, avec certes une concurrence assez faiblarde. En occident la réception fut plus mitigée, forcément une série qui montre des fillettes de douze ans à moitié nues et qui a pour sujet la dysphorie de genre c’est un terrain miné, propice au dédain des uns et au dégoût des autres. C’est parce que, comme d’habitude, le public occidental ne comprend rien à ce qu’il regarde et ne voit pas que le véritable sujet de ces séries ce n’est pas le sexe, c’est cette notion de norme sociale. Ces personnages qui sont en dehors de la norme, asociaux, reclus, sans emploi, évidemment célibataires, qui cherchent désespérément à réintégrer la société qui les rejette. C’était le sujet principal de Mushoku Tensei, et c’était également abordé dans des séries telles que Bocchi The Rock. Et c’est cela qui fonctionne parce que le média du manga et de animation japonaise, qui est par essence un média populaire (c'est-à-dire un média approprié par les fans), est naturellement conçu pour parler de ce type de sujet.
Concernant Onimai en particulier, on ne peut pas nier qu’il s’agit d’un divertissement superbement exécuté, dont l’effort suinte de partout. Le studio Bind est visiblement dans une démarche d’interpeller le public en lui mettant sous le nez des choses qui ne lui sont pas destiné ; le public de normies de Crunchyroll n’a pas vocation à regarder une série comme Onimai que l’on pourrait qualifier de soft lolicon, mais c’est tellement bien fait que l’on ne peut juste pas passer à côté. Les véritables fans de japanime sont reconnaissants au studio Bind pour leur travail, tandis que les normies, qui ne comprennent pas ce qu’ils regardent, vont prendre cela comme une comédie juste un peu plus coquine que la moyenne et passer rapidement à autre chose. Finalement c’est peut-être eux les vrais dégénérés, pas nous.