Bon les enfants on passe aux choses sérieuses avec Pluto, la série d’OAV diffusés sur N****** le 26 octobre dernier. Comme vous le savez sans doute, il s’agit de l’adaptation du manga de Naoki Urasawa qu’il avait publié entre 2003 et 2009 et qui reprend les personnages de Testuwan Atom (Astro Boy), la célèbre œuvre d’Osamu Tezuka qui date des années 50. C’est d’ailleurs par là qu’il faut commencer pour comprendre cette série ; contrairement aux autres mangas d'Urasawa il ne s’agit pas ici d’une création originale mais d’une réécriture. Au début des années 2000 la franchise Astro Boy célébrait ses cinquante ans et les ayants-droits de Tezuka, notamment son fils Makoto Tezuka, avaient lancé divers projets pour l’occasion (tels que la série télé de 2003 dont nous avions discuté plus tôt dans l’année). C’est à ce moment-là qu'Urasawa a soumis son projet, qui reprend un passage bien particulier de Astro Boy mettant en scène « Pluto », le robot le plus fort du monde. A ce moment-là Urasawa venait de boucler la publication de Monster et enchaînait sur celle de 20th Century Boys, on se doute bien qu’il n’allait pas se contenter de reprendre Astro Boy tel quel mais aussi l’adapter à sa sauce. Une démarche qui rappelle ce qu’on a pu voir l’an dernier avec le film Cucuruz Doan no Shima, dans lequel Yasuhiko reprenait un épisode spécifique de Gundam pour en faire quelque chose de méconnaissable. Ce genre de projet peut intéresser les fans, mais peut aisément mettre sur le carreau les non-initiés ; et soyons honnêtes, nous sommes en 2023, plus personne ne connaît Astro Boy. Comme souvent N****** produit et diffuse n’importe quoi tant que ça fait du « contenu », peu importe que 99% de leur public n’a aucune idée de ce qu’il regarde. Heureusement, ici nous faisons partie des 1% qui ont pu apprécier cette série à sa juste valeur.
Dans le monde d’Astro Boy, la robotique a avancé au point que le robots sont pratiquement indissociables de l’homme. L’intelligence artificielle a atteint un niveau de sophistication qui permet au robots les plus avancés d’éprouver des émotions et de disposer de leur libre-arbitre. Ainsi, les nations du monde ont décidé d’étendre les Droits de l’Homme aux androïdes, qui ne sont donc plus des objets mais des personnes à part entière.
C’est dans ce contexte qu’une série d’incidents menace de saper ce nouvel équilibre. Les sept robots les plus forts du monde sont tour à tour pris pour cible par un mystérieux adversaire qui recherche leur destruction pure et simple. Pendant ce temps, les plus grands roboticiens humains sont également victimes d’assassinats. L’enquête est confiée à Gesicht, un robot-détective dernier cri sous l’autorité d’Europol. Les investigations de Gesicht vont le mener à voyager à travers le monde et à interagir avec les différentes strates de cette société nouvelle où l’homme et la machine sont devenus semblables. De plus, Gesicht fait lui-même partie des robots les plus forts du monde et ne tarde pas à être lui-même directement impliqué dans l’affaire…
La série se compose de huit épisodes d’une heure, chacun reprenant un tome du manga. Je n’ai pas de problème particulier avec ce format qui rappelle le bon vieux temps des OAV et permet à chaque segment de prendre le temps qu’il faut pour développer l’intrigue. Ce qui dérange peut-être plus c’est la méthode de N****** de balancer l’intégralité des épisodes d’un coup, d’une part ça détruit le bouche-à-oreille autour des animes et d’autre part ce n’est tout simplement pas comme ça que ces séries sont écrites, quand l'auteur a écrit son manga il l’a conçu pour une publication en feuilleton. Je suppose que le public moderne ne supporte plus d’attendre mais les animes qui ne sont pas des longs-métrages ne sont juste pas faits pour être diffusés d’un coup. Enfin ça c’est un autre sujet.
Le récit prend comme point de départ l’enquête de Gesicht mais la narration va rapidement s’étendre à d’autres personnages plus ou moins importants. On reconnaît le style d’écriture de Naoki Urasawa, sa manière caractéristique de raconter son histoire en partant de différents points de vue avant de les ramener élégamment vers la résolution. Sachant qu’il a publié Pluto juste après Monster, il n'est pas étonnant de retrouver beaucoup de points communs, tant dans la structure globale du récit (la traque d’un serial killer) que dans des détails comme le fait que Gesicht opère principalement en Europe et notamment en Allemagne. En tant que fan de Monster qui n’a rien vu de semblable en animation depuis vingt ans, j’étais dans mes petites pantoufles. Ajoutez-y la science-fiction de haut niveau et vous avez le cocktail gagnant.
Pluto reprend le thème central de Tetsuwan Atom, et pose la question de savoir ce qui se passera lorsque les robots deviendront à ce point sophistiqués qu’ils seront indissociables des humains. Tezuka avait apporté sa réponse dans son œuvre, et cette série vient développer l’idée avec son propre regard. Les robots ne se contentent pas de ressembler aux humains, ils imitent leur comportement, ils vont au restaurant même s’ils n’ont pas besoin de manger, ils vont aux toilettes même s’ils n’ont pas besoin de pisser. Et lorsqu’ils deviennent indissociables des hommes, leurs émotions deviennent également indissociables de celles des humains. Le robot le plus évolué – et donc le plus potentiellement dangereux - n’est pas celui qui a le plus de puissance, c’est celui qui est le plus capable de se rapprocher des émotions humaines ; amour, compassion, mais également tristesse, douleur et haine.
Le coup de génie de Urasawa avec cette série c’est d’avoir repris ces thématiques passionnantes, et d’y avoir incorporé un sujet politique qui n’était pas présent chez Tezuka. Au cours de l’enquête de Gesicht on découvre que les crimes ont un lien avec une guerre qui s’est déroulée quelques années plus tôt dans l’univers et qui a impliqué les fameux robots les plus forts du monde. Une guerre qui a ravagé un pays du Moyen-Orient et qui fut déclenchée par des accusations venant de pays occidentaux que ce pays possédait des armes de destruction massive (tiens donc). Vu le moment où le manga a été écrit, la référence est assez évidente et j’ai beaucoup apprécié la manière avec laquelle l’intrigue glisse de la science-fiction high concept vers le thriller politique à la résonance contemporaine.
Pluto est ainsi riche en thématiques et en émotions, servi par des dialogues ciselés et des personnages particulièrement charismatiques, que ce soient les protagonistes issus de Tezuka tels que Atom, Tenma et Ochanomizu, ou les OC comme Gesicht, Helena ou Abullah. Le seul point de l’écriture où j’aurais à redire c’est l’intrigue proprement dite, il y a plusieurs moments où Gesicht fait des avancées majeures dans son enquête non pas par déduction ou intuition mais par pure coïncidence, genre je suis au McDo en train de manger mes frites et mon Royal Cheese et comme par hasard y’a un témoin du meurtre à la table d’à côté qui est en train de dévoiler des éléments cruciaux de l’affaire à son pote avec qui il bouffe son menu Maxi Best Of avec supplément Chicken McNuggets. Pareillement, c’est de la SF des années 50 qui a été pensée avant le mouvement cyberpunk et la question des réseaux et du transhumanisme, du coup esthétiquement ça peut paraître dépassé par moments. Les robots les plus forts du monde tout ronds qui ressemblent à des Pokémon ça fait pas super sérieux. Cela dit, j'ai bien aimé le fait que la mise en scène cache l'apparence de Pluto pendant l'essentiel de la série et qu'il ne se dévoile que progressivement vers la fin.
Puisqu’on parle d’esthétique, venons-en à la question technique. Il faut savoir que l’adaptation de Pluto c’est un sujet qui date dans l’industrie de l’animation japonaise. Les précédentes adaptations de mangas de Urasawa, notamment Yawara, Master Keaton et Monster avaient toutes été produites au studio Madhouse et sous l’impulsion de son président, le légendaire Masao Maruyama. Lorsque Maruyama quitta Madhouse après son rachat au début des années 2010 pour fonder le studio qui porte aujourd’hui encore son nom (Mappa), il avait déjà exprimé son intention de produire une adaptation de Pluto. Cela ne s’est jamais fait et il a fallu que Maruyama se fasse "écarter" de Mappa et aille fonder encore un autre studio (M2) pour que le projet resurgisse et cette fois pour de bon. Là où Mappa est aujourd'hui célèbre pour mettre en avant des jeunes talents avec des résultats spectaculaires, le staff de Pluto est au contraire composé de vétérans. Le réalisateur Toshio Kawaguchi est un animateur dont la carrière remonte aux années 80, et on trouve des gens comme Yutaka Izubuchi et Shinji Aramaki au mecha-design. Surtout, le poste crucial de directeur de l’animation est occupé par Fujita Shigeru, pilier du studio Madhouse durant sa gloire où il a été chara-designer sur Monster ; c’est pas le genre de mec qui se retrouve là vingt ans plus tard par hasard, il y a eu une volonté de la production de réunir des artistes avec une très grosse expérience.
C’est pour cela qu’il est aussi délicat d’admettre que le résultat final à l’écran ne peut être qualifié autrement que de mitigé. Un effort considérable a été porté au character-design, le trait de Naoki Urasawa est extrêmement bien retranscrit ; probablement trop bien d’ailleurs, puisque cette fidélité au trait du manga semble se faire au détriment de l’animation proprement dite qui ne propose pas beaucoup de mouvement hormis quelques séquences sakuga bien précises. Même ces dernières ne sont pas pleinement satisfaisantes en raison d’un recours excessif et parfois criard à des effets spéciaux en CG intégrés à la truelle qui viennent ruiner le travail des animateurs. Comme le faisait Monster en son temps, la cinématographie se contente de reprendre les pages du manga sans chercher à souligner le propos, ce qui fait de cette production un bel exercice de retranscription mais pas vraiment un anime exceptionnel en lui-même. Sachant que Naoki Urasawa lui-même est au staff de la série en tant que consultant, il est possible qu'il ait donné des directives sur la mise en scène et demandé que son manga soit respecté au maximum ; ce que je peux comprendre quand on est un mangaka de son niveau, on a pas envie que son œuvre soit truquée ou réappropriée, mais quand on voit le niveau actuel des adaptations de manga rien que cette année 2023 (Oshi no Ko, Frieren, JJK S2…) on se dit que laisser de la liberté créative aux animateurs ben c’est peut-être comme ça qu'il faut faire pour avoir des animes qui marquent.
On ne voit pas du Urasawa tous les jours à l’écran et je n’ai pas boudé mon plaisir avec Pluto. C’est intelligent, c’est profond et ça pose les bonnes questions, c’est fidèle à l’esprit de Tezuka mais ça apporte aussi quelque chose de différent. Certes il faut attendre la seconde moitié pour que l’intrigue passe la seconde mais une fois qu’on y est j’ai pas décroché, les personnages sont nuancés et passionnants comme on peut s’y attendre avec cet auteur. Ce sera très loin d’être l’anime le plus abouti de cette année en termes de style et de technique, mais en termes de richesse thématique on a pas vu mieux depuis longtemps.