Saison après saison, le studio Mappa confirme tout le bien qu’on pouvait en attendre à sa création par le légendaire Masao Maruyama. Et si Punchline apparaissait d’abord comme le premier vrai faux pas du studio, il s’avère finalement être une de ses plus intéressantes tentatives à ce jour.
L’histoire de Punchline se déroule entre le 21 et le 31 décembre 2014, dans une résidence privée située quelque part dans Tokyo. Cette résidence est habitée par des personnages plutôt étranges (super-héros, exorcistes, NEET, scientifiques fous) qui vont se confronter à des évènements tout aussi étranges – chutes d’astéroïdes, sectes terroristes, poltergeists, le tout baignant dans un délicieux mindfuck de voyages temporels et de timelines alternatives.
Si cet assemblage d’éléments hétéroclites semble arbitraire et bordélique, c’est pour mieux désarçonner le spectateur qui, dans son éternelle arrogance, aborde chaque nouvelle œuvre avec l’impression de tout savoir et tout connaître. Et face à une série qui se refuse à livrer tous ses secrets dès le départ, beaucoup ont préféré jeter l’éponge avant même d’avoir essayé. Tant pis pour eux, cela n’aura fait que me laisser la place nette pour en profiter jusqu’à la dernière goutte.
Les gouttes d’un nectar savoureux à la texture d’animation néo-rétro et au goût d’interactivité vidéoludique. En effet, la réalisation de Punchline fut confiée à des rescapés de feu Gainax, qui incorporèrent à la série cette esthétique bigarrée et ce sens de la comédie bouffonne qui autrefois faisait le bonheur des fans et qui ne se retrouve aujourd’hui que dans une démarche nostalgique. Mais surtout, l’écriture est ici celle d’un jeu vidéo, plus particulièrement d’un visual novel où s’entremêlent les notions de points de vue, de narration à embranchements et de fins multiples. Les adaptations de VN sont chose courante, certaines tirent leur épingle du jeu mais Punchline a la particularité d’être un anime en même temps qu’il est un VN ; il ne s’agit pas juste d’adapter le VN au format anime, mais bien d’émuler l’expérience vécue par le joueur.
Car il s’agit bien d’un jeu entre le spectateur et le scénariste Kotaro Uchikoshi (brillant auteur de Ever17 et surtout Zero Escape) dont l’écriture prend l’apparence d’un capharnaüm mais qui recèle en vérité une multitudes d’indices, de détails, et aussi de fausses pistes qui transforment le désordre apparent en une histoire solide sur des jeunes gens réunis par le destin pour sauver le monde à travers le temps et l’espace.
Et si l’on met de côté les tics d’écriture de l’auteur qui relèvent plus de la private joke qu’autre chose, on remarque surtout un mise en avant bienvenue et attendue d’un concept que l’on pensait oublié en animation japonaise : la trame. Cette trame qui dépasse les épisodes individuels pour former un tout cohérent ; cette trame qui va au-delà de la relation entre le spectateur et son écran pour donner lieu à des discussions entre fans, des théories, des interprétations ; cette trame qui attise la curiosité du spectateur-joueur et remet en cause ses préconçus.
Plus que toute autre série que j’ai pu voir ces dernières années, Punchline est ainsi un pur objet diégétique, et traduit de la prise de pouvoir de plus en plus forte des scénaristes au sein de l’animation japonaise. La plupart des réalisateurs aujourd’hui en place sont des exécutants, des grattes-papier sans réel sens de la cinématographie ou de la narration. Ce sont les scénaristes qui font et défont les animes d’aujourd’hui, si bien que les postes de scénaristes sont devenus bien plus cruciaux que ceux de réalisateurs. Punchline a porté cette tendance à son extrême limite, en convoquant un auteur de VN (un narrateur donc) habitué à avoir le contrôle absolu sur son œuvre, dans la production d’une série animée. Les intentions du réalisateur sont encore visibles dans les premiers épisodes, qui disposent encore d’une forme de mise en scène, mais passé un certain point la série n’est plus portée que par son scénario, sa trame, toute la partie artistique devient accessoire et ne fait plus qu’accompagner le déroulement des intrigues. Dès lors Punchline dépasse presque l’appellation d’anime, et se rapproche d’un format nouveau d’expérience narrative animée, où l’animation se retrouve être le contenant et la trame le contenu.
La meilleure preuve de la réalité de cette scission entre scénario et réalisation est le personnage de Chiranosuke, le chat-fantôme qui apparaît très tôt dans la série pour donner des consignes au personnage principal. Il est naturel que dans un jeu vidéo il y ait des règles pour baliser la progression du joueur, c’est un acquis que tout spectateur peut intérioriser ; il est beaucoup plus difficile en revanche d’admettre une série d’animation où un personnage n’existerait que pour baliser la progression de la trame. C’est en se heurtant à ce genre de paradoxe que Punchline pousse jusqu’à la limite du possible la suspension consentie d’incrédulité et vient questionner le rapport du spectateur vis-à-vis de la fiction.
C’est ainsi que la plupart de ceux qui ont abordé Punchline comme on aborderait un anime ordinaire se sont trouvés perdus face à une série où la trame prenait tant d’importance que l’anime en lui-même se trouvait marginalisé. Il en résulte une production fondamentalement déséquilibrée, plus proche d’un VN remonté que d’un véritable anime ; mais qui profite d’une direction artistique colorée, de quelques blagues justes, de personnages forts et de quelques instants de grâce. Cela suffira-t-il à en faire une série culte, au sens propre du terme ? Faut voir. Anime de la saison de printemps et top anime 2015 ? Certainement.