SHAMAN KING — Le shônen qui te Over Saoule

» Critique de l'anime Shaman King (2021) par Deluxe Fan le
11 Novembre 2023
Shaman King (2021) - Screenshot #1

Shaman King est une franchise à l’histoire mouvementée. L’auteur Hiroyuki Takei s’est fait connaître dans le milieu à la fin des années 90 lorsqu’il bossait en tant qu’assistant de Nobuhiro Watsuki, l’auteur de Kenshin le Vagabond, en même temps qu’un certain Eiichiro Oda avec qui il échangeait des idées de scripts. En 1998, Takei obtient de publier sa propre série, Shaman King, dans le magazine Weekly Shônen Jump avec un succès immédiat. La publication se poursuivra pendant six ans jusqu’en 2004, où l’auteur mit un terme brutal à la série au bout de 275 chapitres. Prétextant une « fatigue créative », Takei improvisa une fin et laissa les fans sur un manga incomplet. Entre-temps, une adaptation animée avait été lancée dès 2001, réalisée par Seiji Mizushima, mais qui là aussi n’a pas donné entière satisfaction ; l’anime était produit en même temps que le manga était publié et à l’époque cela ne se faisait pas de découper l’adaptation en plusieurs petites saisons comme aujourd’hui, du coup le script de l’anime finit par dévier complètement du manga pour se conclure sur une fin là aussi sortie du chapeau des scénaristes… un peu comme une autre série de Mizushima de la même époque d’ailleurs.

Shaman King (2021) - Screenshot #2A partir de 2008, Takei et la Shueisha publient une nouvelle édition du manga avec une nouvelle fin censée conclure pour de bon la série principale, sachant que l’auteur avait déjà commencé à travailler sur des spin-offs et des suites. C’est cette édition qui est maintenant considérée comme la version définitive de l’œuvre. Mais le coup de théâtre intervient en 2017 lorsque Kodansha, l’éditeur du Shônen Magazine qui est un des concurrents du Jump, annonce avoir racheté les droits de Shaman King et de tous ses produits dérivés. Des mangas qui changent d’éditeur ça peut arriver mais dans le milieu du shônen et pour une franchise aussi célèbre je ne connais pas d’autre exemple. Et puis quitter le Shônen Jump pour aller vers le Shônen Magazine c’est pas forcément évident comme plan de carrière, c’est comme si toi tu es titulaire au Real Madrid et puis un jour tu te dis bon, jouer dans le club le plus titré de la Ligue des Champions ça me fait chier, je préfère aller jouer en Ligue 2 pour Auxerre ou pour Saint-Etienne, c’est ça mon ambition quoi. Au moment de l’acquisition Kodansha annonce non seulement une énième republication du manga, mais également une nouvelle adaptation anime qui cette fois collerait rigoureusement à la version définitive de l’histoire. Et c’est de ça dont on va parler.

Shaman King (2021) - Screenshot #3Yoh Asakura est un shaman, qui a la capacité de communiquer avec les esprits. Il peut ainsi aider les âmes tourmentées à passer dans l’au-delà, mais il est également capable de les invoquer à son profit pour obtenir des pouvoirs surhumains.

Tous les cinq cent ans, les shamans du monde entier sont invités à participer au Shaman Fight, un tournoi dont le vainqueur obtient le droit d’invoquer le Great Spirit, l’esprit le plus puissant de la planète, pour régner sur le monde des morts et des vivants. Yoh est destiné à se battre, pas seulement pour son propre profit, mais aussi et surtout pour affronter le favori du tournoi, le maléfique Hao…

Un point que j’ai bien aimé dans cette série c’est la présentation de son univers. Certes le récit démarre au Japon, mais on comprend vite que le monde des shamans s’étend bien au-delà et qu’en vérité il englobe toutes les formes de folklore et traditions à travers le monde. Un genre de syncrétisme appliqué au manga shônen qui fonctionne bien puisqu’il permet à l’auteur de proposer un ensemble de personnages variés où les mages onmyoji du Japon féodal se battent contre les taoïstes chinois, les exorcistes européens, des médiums, des druides, des sorciers vaudous et toutes sortes d’autres ésotérismes divers.

Le récit lui-même se structure autour d’un tournoi qui donne son titre à la série, ce qui était courant à cette époque précise du shônen où l’on ne pouvait pas ouvrir un manga sans tomber sur un tournoi. La différence c’est qu’on ne parle pas ici d’un tournoi vite fait entre deux arcs comme dans Naruto et HxH ; ici le tournoi démarre à l’épisode 5 et se termine à l’épisode 50, l’anime tout entier est un tournoi et autant dire que si on cherche de la bagarre alors on va la trouver car, à peu de chose près, c’est tout ce que cette série raconte.

Shaman King (2021) - Screenshot #4Et c’est là qu’on arrive au principal souci de cette série ; c’est un shônen de baston avec beaucoup de baston, mais la baston elle est pas ouf quoi. Imagine tu demandes à ton père de ramener un paquet de six bouteilles de Lipton Ice Tea Pêche et quand il arrive il débarque avec six bouteilles de Lipton Ice Tea Pêche… Zéro Sucres. Tu vas le boire mais ça a un goût chimique dégueulasse, t’es pas satisfait. Ben là c’est pareil, t’en as en quantité mais la qualité elle y est pas. Pour commencer la série commet l’erreur fatale d’introduire son système de pouvoirs avec une échelle chiffrée, puisque les personnages ont tous un genre de compteur qui leur permet de calculer leur réserve de « Furyoku » (c’est le chakra/nen/reiatsu de cette série). On t’explique que plus le Furyoku du shaman est important, plus cela lui permet d’invoquer des esprits puissants et de lancer des techniques puissantes. C’est un cliché du shônen qui avait été introduit notamment par Dragon Ball avec la célèbre scène de Végéta qui casse son compteur parce qu’il ne comprend pas que Goku soit over nine thousand. Et c’est justement à cela que sert ce cliché, on introduit une échelle chiffrée pour donner l’impression que tout cela à une logique et on la détruit juste après pour bien montrer qu’il n’y pas de logique dans le shônen, sinon la logique arbitraire de l’auteur. C’est pour cela que quand une série démarre avec des histoires de power level, c’est le signe immanquable que ça vite partir en n’importe quoi.

Shaman King (2021) - Screenshot #5L’autre problème c’est que les combats sont franchement bof. Les shamans se battent en utilisant « l’oversoul » qui permet d’invoquer l’esprit dans un catalyseur pour utiliser des techniques de combat. Visuellement c’est très intéressant, Takei est un bon designer et les Oversouls sont plutôt classes dans un genre qui ressemble beaucoup aux Zanpakuto dans Bleach. Au-delà des designs cependant, les combats eux-mêmes se résument généralement à savoir qui va être le dernier à sortir une nouvelle technique de son slip. On est assez loin des autres mangas de la même période tels que Naruto ou Hunter x Hunter où les combats proposent un degré de stratégie et de tactique, et je parle même pas des shônens d’aujourd’hui. Encore une fois le manga que j’estime le plus proche ce serait Bleach, sauf que dans Bleach certes les combats étaient primitifs mais les pouvoirs eux-mêmes étaient impressionnants, là où Shaman King est obligé de rajouter du texte à l’écran pour souligner les attaques parce que l’image elle-même est incapable de véhiculer la mise en scène.

Après si on parle de shônen avec des pouvoirs simplistes, des combats qui se résolvent avec des pirouettes dans tous les sens et aucune forme de stratégie si ce n’est les personnages qui crient et qui pleurent, l’exemple le plus actuel serait un truc comme Kimetsu no Yaiba, et c’est un énorme succès. La différence c’est que Kimetsu est un des animes les mieux produits et les plus aboutis techniquement de ces dernières années, là où Shaman King, même dans sa version 2021 toute en haute définition, est une production moyenne au plus. Depuis quelques temps nous sommes habitués à ce que le shônen de baston soit le genre qui centralise le plus de moyens et de talent dans l’industrie de l’animation, avec des séries incroyables telles que Kimestu cité plus haut, Jujutsu Kaisen bien évidemment, les premières saisons de MHA ou les dernières de One Piece et World Trigger par exemple. Le remake de Shaman King aurait pu être l’occasion de mettre des moyens dans la franchise pour créer un anime impressionnant, qui attirerait le public jeune comme cela fut le cas pour Jojo’s Bizarre Adventure qui a explosé grâce à une série très bien produite, outre les qualités du manga original. Comparé à tout cela on constate que Shaman King n’a ramassé que les miettes, avec un studio de seconde zone spécialisé dans la production de séries au kilomètre tels que les récents animes Yu-Gi-Oh que plus personne ne regarde et autres franchises alimentaires. Le chara-design est bien respecté et l’image est propre, mais l’animation elle-même est au mieux banale et la mise en scène ne propose absolument rien. Pour donner une idée je suis allé voir sur Sakugabooru pour comparer la quantité de sakuga et Shaman King 2021 (52 épisodes) a eu 22 posts, tandis qu’un autre anime sorti la même année tel que la deuxième saison de World Trigger (26 épisodes) a eu plus de 100 posts. A mon avis c’est pas qu’ils en avaient rien à foutre, mais je pense que la Shueisha a tellement pris le leadership sur l’industrie du manga et désormais de l’animation que cela devient compliqué pour un shônen qui n’est du coup plus estampillé Jump de prétendre à des niveaux de production comparables, sauf exceptions.

Shaman King (2021) - Screenshot #6Si on entre plus dans le détail on peut parler des personnages, et là aussi c’est mitigé. Les personnages principaux sont plutôt réussis, notamment le protagoniste Yoh et son comportement nonchalant et détaché, qui écoute du Bob Marley et porte un T-Shirt avec une feuille de chanvre, imagine un protagoniste de shônen qui serait complètement défoncé pendant cinquante épisodes, c’est plutôt amusant. De l’autre côté le méchant Hao est également réussi dans la tradition des méchants présentés comme surpuissants et impitoyables à la manière d’un DIO, dont le manga s’inspire clairement. J’ai également bien aimé Ryu, parce que le furyo débile avec la banane sur la tête c’est un archétype qui me fait toujours marrer, et Ren est un très bon Sasuke/Kaiba de service, une petite boule de seum qui prend L sur L pendant toute la série.

En revanche le personnage féminin de Anna est plutôt décevant, malgré le doublage par Megumi Hayashibara qui est la seule rescapée de la première série de 2001, elle ne sert pratiquement à rien de toute la série à part faire la gueule dans son coin. Les autres personnages sont nombreux mais l’écriture est très inconséquente : tu vas avoir des personnages qui sont présentés comme des connards, des assassins, des meurtriers, mais quand ça arrange le scénario ils vont passer dans le camp des gentils et leur passif est mis sous le tapis et vaguement mentionné un peu plus tard genre on a pas oublié que t’es un connard mais bon c’est pas grave t’es avec nous maintenant. C’est compliqué de s’intéresser à ce qui se passe quand rien n’a de conséquence. Ces défauts deviennent de plus en plus prononcés dans le dernier quart de l’anime, totalement rushé, qui ferait passer l’arc Thousand-Year Blood War de Bleach pour les mémoires de Châteaubriand. Pour donner une idée dans ce dernier arc on a une civilisation ancienne qui sort de nulle part, des extraterrestres (?), des personnages qui meurent puis qui ressuscitent deux épisodes plus tard (???) et un combat final dont la résolution c’est littéralement la maman du méchant qui revient d’entre les morts pour lui dire qu’être méchant c’est pas bien et qu’il doit rentrer à la maison (oui je spoile mais RAF, le manga il s’est terminé il y a quinze ans maintenant). Imagine si la fin de Jujutsu Kaisen t’as la maman de Ryomen Sukuna qui vient genre « bon faut arrêter les bêtises maintenant, tu rentres faire tes devoirs » et l’autre « oui maman » et le manga il s’arrête là, je sais pas si les fans ils seront contents.

A une période où le shônen domine sans partage la conversation dans le milieu de l’animation japonaise, où le genre n’a jamais été aussi puissant et populaire, ce remake de Shaman King est aussi anachronique dans le contenu que dans sa production. Une série de tournoi aux combats basiques et aux personnages inégaux, produite dans les conditions d’un anime pour gosses alimentaire du dimanche matin ; mis en face de n’importe quelle prod du genre de ces dernières années ça tient pas le choc. Plutôt que d’apporter cette licence dans la modernité et de sublimer un matériel pourtant médiocre comme le fait l’actuelle adaptation de Bleach TYBW par exemple, cette série nous ramène quinze ans en arrière à une époque où le shônen ce n’était peut-être pas si mieux que ça avant.

Verdict :6/10
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A propos de l'auteur

Deluxe Fan, inscrit depuis le 20/08/2010.
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