On ne va pas se le cacher, la grosse majorité des animes qui sortent chaque saison est composée de séries sans intérêt. Des trucs vulgaires, sans ambition, qui s’adressent à une niche et dont tout le monde se fout. Pourtant, on trouve toujours quelqu’un pour parler de ce genre d’anime, pour en dire du mal et s’en moquer. On en a qui s’infligent quatre ou cinq saisons de merde juste pour le plaisir de publier une critique pour dire à quel point la série sur laquelle ils ont passé des heures et des heures était mauvaise. Et c’est quelque chose que j’estime parfaitement légitime.
C’est vrai, j’estime que toute œuvre mérite qu’on la critique, même la plus inutile. Je respecte sincèrement ceux qui vont chercher la merde pour en parler. Mais je pense aussi qu’à chaque fois qu’un anime médiocre est mentionné, un anime de qualité doit aussi être mentionné en contrepartie. Il est souvent plus difficile de parler des bonnes choses que des mauvaises, mais c’est justement la difficulté qui doit nous attirer, pas la facilité… Parole d’un joueur de Dark Souls.
Shouwa Genroku Rakugo Shinjuu est un de ces animes « difficiles ». Il s’agit d’une adaptation de manga josei, sans toutefois être fortement connoté romance ou BL, ce qui est très rare dans l’animation japonaise actuelle. De plus la série se déroule dans une période historique spécifique, l’ère Shouwa (1928 – 1989) et aborde un sujet très mal connu des occidentaux, à savoir le rakugo (une sorte de spectacle narratif seul-en-scène). Pour les détails, je vous renvoie à cet excellent article.
La série débute dans les années 70, et a pour personnage principal un délinquant fraichement sorti de prison. Dès sa remise en liberté, il tente de se faire prendre comme disciple de Yurakutei Yakumo, le plus grand artiste de rakugo en activité. Contre toute attente le maître accepte, et lui donne le surnom de Yotaro. Il commence son apprentissage du rakugo, sous l’œil du maître et de sa fille adoptive Konatsu. Mais au fil du temps des tensions apparaissent lorsque les styles du maître et de l’élève divergent. Yakumo prend alors sur lui de raconter sa propre histoire et son parcours. Un parcours qui débute dans les années 30 et qui retracera toute la vie du maître.
C’est cette autobiographie de Yakumo qui constituera l’essentiel des treize épisodes de la série. On y verra notamment comment le jeune Yakumo, qui s’appelait alors Kikuhiko, en est venu à découvrir et apprécier l’art du rakugo. On y verra aussi l’amitié qu’il nouera avec son condisciple, un garçon fort en caractère appelé Sukeroku. On y verra enfin sa rencontre avec une courtisane, Miyokichi, qui les mènera tous les trois vers un destin tragique.
La grande force dans l’écriture de Showa Genroku, ce sont les personnages. Peu nombreux, la série dispose de tout le temps qu’il faut pour les développer et les faire évoluer. Mais surtout, l’anime réussit quelque chose de rare ; il parvient à rendre des personnages humains. Et lorsque je dis humains, je veux dire imparfaits. Les personnages de Showa Genroku sont principalement caractérisés par leurs forces mais aussi leurs faiblesses, ce qui les rend infiniment plus attachants que le moyenne des stéréotypes habituellement servis par cette industrie. Kikuhiko a un immense talent pour le rakugo en plus d’être très bienséant ; mais il manque d’amour-propre, au point d’en devenir froid voire cruel avec ses proches. Sukeroku est quant à lui un véritable génie du rakugo, adoré du public, mais son manque de rigueur et de discipline le conduiront à se mettre à dos les gens qui comptent. Miyokichi quant à elle incarne la femme dans ses toutes ses nuances ; sincère et changeante, séduisante et impossible.
L’autre élément central de Shouwa Genroku Rakugo Shinjuu est justement le rakugo. Loin d’être un simple prétexte qui sert à réunir des personnages autour d’un thème random, le rakugo est traité avec les égards dus à la tradition qu’il représente. Discipline ancienne et typiquement japonaise, le rakugo est une vraie curiosité artistique à mi-chemin entre le théâtre comique traditionnel et les one-man shows d’aujourd’hui. Au moment où commence la série, le rakugo est encore au faîte de sa popularité ; mais après les tragédies du XXe siècle (Seconde Guerre Mondiale) et l’apparition de nouveaux divertissements (radio, télévision), le rakugo se meurt. Les personnages, dont l’anime retranscrit très bien le parcours et les difficultés dans le monde très particulier du spectacle au Japon, se donnent la tâche de maintenir en vie cet art mourant. L’anime fait d’ailleurs un choix audacieux de montrer des performances de rakugo, qui prennent parfois la moitié d’un épisode, pour comprendre l’enjeu de cet art et ses subtilités.
C’est à ce moment-là que l’on parle de mise en scène, et il faut commencer par noter un élément important ; cet anime n’aurait pas eu autant d’identité s’il n’avait pas réuni des comédiens de doublage aussi doués. Les stars Akira Ishida, Kouichi Yamadera, Megumi Hayashibra et les autres livrent une performance remarquable et donnent aux personnages un relief indispensable. Pour le reste, la cinématographie est du genre sobre et classique, à la manière du cinéma japonais de cette époque. L’animation n’est jamais très éclatante mais les scènes se suivent avec fluidité et simplicité. Le studio Deen n’est de toute façon pas connu pour ses performances techniques, et le staff de la série ne comporte aucune personnalité forte ; mais d’une certaine manière c’est presque mieux ainsi, car ce relatif dépouillement de l’enrobage permet de replacer l’œuvre, son propos et son émotion au centre des débats. La musique jazzy et les excellents génériques donnent quant à eux cette touche classieuse qui font de la série une œuvre définitivement à part.
A la fin du treizième épisode, les évènements majeurs de la vie de Yakumo ont été racontés, ce qui ouvre sur son futur en tant que maître. Les jeunes Yotaro et Konatsu, forts de cette expérience partagée, se préparent eux aussi à avancer dans la vie à leur manière. Le manga original de Haruko Kumota s’achèvera au bout de neuf tomes en juin prochain, et le studio Deen a d’ores et déjà annoncé qu’il avait l’intention prochainement d’en adapter le restant. Autant dire que c’est une saison deux que j’attends très impatiemment, et qui de toute façon n’invalide pas la qualité suprême de cette première partie.
Shouwa Genroku Rakugo Shinjuu est une œuvre exigeante, qui n’a pas pour intention de s’adresser au plus petit dénominateur commun. Regarder ce genre de série c’est prendre un risque, le risque d’être émotionnellement investi ; et c’est un risque que la plupart des spectateurs, moi y compris, ne sont pas forcément prêts à prendre. Il n’en reste pas moins que je ne peux pas ne pas conseiller Shouwa Genroku Rakugo Shinjuu au plus grand nombre, quel que soit votre âge, votre sexe et vos préférences. Vous pourrez trouver ça nul, vous pourrez trouver ça chiant, mais vous ne pourrez pas dire que l’animation japonaise de 2016 ne vous aura pas proposé quelque chose de différent. 8,5/10