Bienvenue et installe-toi, aujourd'hui ça parle de garçons qui s'amusent sur des planches à roulettes. C'est l'histoire de Reki, passionné par le skateboard, qui fait la connaissance d'un étudiant récemment transféré, Langa. Ensemble, ils vont évoluer dans le monde du skate et ses courses illégales qui ont lieu certaines nuits, pour l'amour du sport.
SK8 n'a pas tardé à attirer l'attention. Les raisons en sont nombreuses, mais c'est peut-être avant tout parce que sa production a été un défi immense. L'exigence de l'animation, sans compter le caractère très inhabituel des mouvements nécessaires, en a rapidement fait un incontournable de la saison, que l'on a suivi tantôt émerveillés par cet engagement dans l'animation, tantôt effrayé par tout ce que cela supposait dans les coulisses.
Retour sur cet anime à bishos pas tout à fait comme les autres.
On l'oublie un peu tant il y a de choses à dire au sujet de SK8, mais c'est avant tout un projet original, porté par une équipe un peu particulière. C'est dans cette direction que je voudrais orienter ma critique. Du fait de son ton, de ses engagements, de son parti-pris pour la belle animation, SK8 est un projet époustouflant de créativité, de générosité envers le spectateur, qui a eu envie de vivre jusqu'au bout l'expérience qu'il proposait. L'approche n'est pas réaliste, elle n'est pas non plus rationnelle : elle vise le spectacle, le grand spectacle avec tout ce qu'elle peut offrir d'extravagant et sur ce point précis, la série est fidèle à ses ambitions du début à la fin.
Cependant, il n'aura pas échappé à un certain nombre d'observateurs que ce parti-pris montrait des failles, des petites craquelures dans la production. La pandémie a eu son rôle, on sait comme elle a considérablement désorganisé l'industrie, dont la rigidité est autant une force qu'une faiblesse. Nous sommes loin, il va s'en dire, d'un effondrement de la production. Mais ce sont des détails qui nous permettent, en tant que spectateur, de comprendre mieux ce que SK8 a voulu nous offrir, et pourquoi ça marche... jusqu'à un certain point.
Aux manettes, c'est Bones qui accueille pour la première fois Utsumi Hiroko à la réalisation après un bref passage auprès d'Igarashi Takuya. Vous la connaissez sans doute. Elle a commencé sa carrière chez Kyoto Animation où elle avait fait ses premiers pas à la réalisation pour les deux premières saisons de Free. Elle avait ensuite rejoint Mappa où elle avait réalisé l'ambitieux Banana Fish, mais où elle avait surtout réalisé les difficultés de travailler avec une équipe qui n'est pas habituée aux exigences de qualité et aux manières de faire de chez Kyoto Animation.
La voici donc fraîchement débarquée chez Bones, qui est sans doute un bien meilleur environnement que Mappa d'un point de vue créatif. Son objectif de fond reste cependant le même que pour Banana Fish : trouver la bonne formule entre une exigence en matière d'animation qu'elle tient de Kyoto Animation, et un environnement de production qui a ses propres forces et faiblesses, et encore plus déséquilibré par la situation sanitaire. Et ce que l'on peut dire, c'est qu'en dépit d'un certain nombre de soucis (c'est l'objet de cette critique), elle s'en sort mille fois mieux que sur Banana Fish ; ce qui fait de SK8 de très, très loin sa meilleure série, et au passage l'une des séries les plus ambitieuses et impressionnantes de ce début d'année 2021.
Cependant, elle n'est pas venue toute seule puisqu'elle est accompagnée par Miyake Masanori. Son nom ne vous dit rien ? Il est producteur en chef sur la série, et avait déjà accompagné Utsumi Hiroko sur Banana Fish (et a au passage occupé le même rôle sur d'autres ovnis comme Sarazanmai ou Wonder Egg Priority). Autant dire qu'il connaît très bien ce genre de projets et les risques qu'ils présentent.
Posons quelques bases, ou quelques rappels selon. Lorsqu'une série d'animation est produite, c'est d'abord le producteur qui gère les choses. Il communique avec un groupe de personnes et d'entreprises intéressées (financièrement) par le projet, que l'on appelle le comité de production. Dès lors, le producteur contacte le cœur de l'équipe créative, qu'il peut éventuellement choisir lui-même selon les projets, et la machine se met en route.
Le studio d'animation qui est contacté pour réaliser la série n'a généralement pas de droits sur la série, c'est-à-dire qu'il ne va pas gagner un centime sur le produit fini (exit la belle ritournelle des éditeurs qui vous chantent sur tous les tons que vous soutenez les studios en achetant chez eux... vous ne faites que donner du fric au comité de production dans la plupart des cas). Le studio d'animation est en réalité payé à la commande pour réaliser la série imaginée (avec plus ou moins de détails) par le comité de production.
Le travail du studio d'animation s'effectue en deux temps : d'abord, il y a la pré-production, ensuite il y a la production en elle-même. Tu t'en doutes probablement, mais il est absolument impossible de créer en seulement une semaine 25 minutes d'épisode pour la semaine suivante. Il y a de la préparation en amont, plus ou moins selon les possibilités du studio, tandis qu'une autre partie est produite sur le tas, au fur et à mesure de la diffusion de la série. En règle générale, les premiers épisodes sont déjà produits bien avant le début de la diffusion, c'est pour cette raison que la qualité du premier épisode, qu'on appelle le pilote, n'est pas forcément représentative de la qualité de la série dans son ensemble.
Pourquoi donc te parler de ça ? En effet, c'est quand même du blabla technique et t'es pas venu, a priori, lire cette critique pour un compte-rendu détaillé du fonctionnement interne de l'industrie. Tu veux savoir pourquoi SK8 c'est bien (parce que oui, c'est bien) et c'est avant tout ce qui t'importe.
Mais pour expliquer pourquoi SK8 est une bonne série, il me faut parler de ces questions de production. Durant la phase de pré-production, les responsables créatifs imaginent la série : c'est à ce moment qu'on décide du choix des designs, des couleurs, du scénario, etc. C'est une étape très importante, surtout pour une série originale, puisque c'est là que va se jouer la plus grande partie de son identité. Et tu te doutes bien que pour SK8, qui travaille justement sur une identité très forte, très marquée, ce travail a été particulièrement important et consciencieux.
Jusque là, tu pourrais donc te dire que c'est parfait, SK8 a eu des moyens pour faire vivre sa vision, c'est-à-dire en deux mots : du temps et de l'argent. Et je suis sûr que tu te fais cette réflexion tout le temps ! "Cet anime, il a dû manquer de moyens. Celui-ci, ils ont dû avoir un fric de dingue !" Ce sont des choses que l'on dit tous car il est facile d'imaginer une corrélation directe entre la qualité et les moyens. Ce ne sont pas des remarques fondamentalement fausses, mais elles occultent en réalité une immense partie de ce qu'il se joue habituellement dans la production d'une série. Parce que oui, c'est pas qu'une question de "moyens".
C'est peut-être très bête ce que je vais te dire, mais une série d'animation, c'est fait par des gens. Des individus quoi, des êtres humains. Ce sont eux qui travaillent (jusqu'à pas d'heure et payés au lance-pierre, je suis certain que tu le sais) pour créer les 25 précieuses minutes de ta série favorite du moment chaque semaine. L'animation n'est pas une grande machine, ce n'est pas un gacha dans lequel si tu mets suffisamment de fric et de temps, tu obtiendras quelque chose de bien. Non. Il y a autre chose derrière, et ce sont les individus. Tu auras beau laisser cinq ans et payer 10 000 euros par mois quelqu'un, s'il n'est pas compétent, tu n'obtiendras rien de bon. Et pourtant, tu avais mis les "moyens".
Prenons un exemple courant dans l'industrie. Vous avez peut-être remarqué que dans les séries d'animation modernes, les véhicules sont principalement en 3D. Pourquoi ? Vous pourriez me dire que c'est pour économiser du budget... mais c'est généralement faux : un animateur 3D est bien mieux payé qu'un animateur 2D. Deux phénomènes coexistent ici : d'une part, comme la 3D est mieux payée (et le travail est moins épuisant) que le dessin traditionnel il y a énormément de personnes sur le marché de l'emploi ; d'autre part, les animateurs capables de dessiner un objet mécanique qui évolue dans un espace en trois dimensions sont une espèce plus ou moins en voie de disparition, ou en tout cas de raréfaction. Conclusion : un animateur compétent pour animer un bête plan avec une voiture ne va probablement pas être embauché pour ce travail puisqu'il va préférer aller travailler sur une série de mécha, par exemple, qui lui offrira davantage de liberté ou qui conviendra plus à ses goûts.
A partir de ce moment-là, il faut comprendre que la qualité d'une série d'animation tient surtout au fait qu'on a pu travailler avec les bonnes personnes au bon moment, ou quelque part que le projet que l'on porte a pu être suffisamment alléchant pour attirer les personnes compétentes. SK8 fait partie de ces animes que l'on pourrait appeler des "animes de spécialistes", parce que leur réussite vient fondamentalement du fait que l'on a choisi les bonnes personnes pour faire le bon travail.
Revenons donc un peu plus à SK8. La série est extrêmement réussie justement car elle fait appel aux bonnes personnes. Mais là où la série trébuche, c'est qu'elle a fait confiance à une poignée de personnes, seulement une poignée. Le studio Bones a eu beau mettre en branle ses meilleurs éléments (Takuya Igarashi a par exemple signé le storyboard de quatre épisodes, Hasui Takahiro en bon fidèle du studio a assuré la direction de quatre épisodes), on comprend assez aisément que le rythme de production a été soutenu et la charge de travail importante, voire déraisonnable. Cette concentration absolue de la charge de travail sur quelques individus s'est vue aussi du côté des animateurs, avec certains animateurs qui ont participé à l'immense majorité des épisodes, voire à la totalité (Fukuoka Hidenori, Ueno Chiyoko, Kagami Takahiro ou Okada Naoki par exemple pour les plus connus).
Cette situation n'est pas du tout la norme et a entraîné d'un côté une dégradation de la qualité au fur et à mesure de la série, et d'autre part a fortement fragilisé la conclusion qui a peiné à monter en puissance. Et on le comprend : car l'équipe de production était à bout, tout simplement.
Soyons cependant honnêtes. Bones a formidablement sauvé les meubles, en faisant appel à des quantités ahurissantes d'animateurs si bien que la baisse de qualité technique sera probablement peu visible par la majorité des spectateurs. Néanmoins, l'essoufflement de la série sur ses derniers épisodes et sa difficulté à offrir un final à la hauteur de ses ambitions seront perceptibles à un nombre plus grand de spectateurs.
Ah, et je ne vous ai pas parlé de ce que ça raconte. La raison est très simple : ce n'est tout simplement pas l'objet de la série. On a certes un Ookouchi Ichirou (monsieur Code Geass) qui gesticule dans tous les sens et qui en effet, réussit à donner une sorte de charisme ridicule très réussi aux personnages, mais ce que raconte la série est en somme assez convenu et ce n'est pas pour cela que l'on reste vissé à son écran.
Ce qui nous tient, jusqu'au bout, c'est l'animation, c'est cette déferlante de force, de dynamisme qui perce l'écran de bout en bout. Résultat d'une entreprise déraisonnable et fantasque, mais jouissive. C'est cette espèce de rage démesurée, absurde, de fournir un tel travail dans un seul but, magnifiquement atteint: nous fournir un grand, très grand spectacle.
En résumé : SK8 te plaira sûrement si tu as envie :
- D'une animation qui envoie du pâté sans arrêt, sans être un énième truc de baston
- D'une proposition créative qui a pas froid aux yeux et qui va jusqu'au bout
- D'une série sportive qui change et ça fait du bien, avec des personnages bien écrits et charismatiques
Par contre, ce n'est probablement pas le meilleur choix si tu as envie :
- D'un scénario exceptionnel qui va te faire voir des étoiles
- D'une série "pour filles" avec les quelques instants fujo qui vont avec
- ... c'est tout ? En fait va juste voir SK8, parce que c'est bien
SK8 réussit l'exploit de survivre jusqu'au bout sans concessions malgré son ambition démesurée, et s'offre en plus de cela une animation volontaire, vive et originale qui porte des personnages bien écrits et au charisme délicieusement ridicule. On oublie alors volontiers les quelques errances du scénario et le petit manque de montée en puissance sur la fin. Car le spectacle qu'offre la série est grandiose de bout en bout.