Une anime tel que Mushikaburi-Hime est une incongruité dans le paysage actuel de l’animation japonaise. En effet il s’agit d’une série ostensiblement, complètement et résolument conçue pour le public féminin. Il faut comprendre qu’avec le développement du streaming comme plateforme de distribution des animes, le public s’est nettement élargi ce qui implique nécessairement un afflux de spectateurs et surtout de spectatrices. Toutefois, la quasi-intégralité de la production vise un public masculin, au point où on peut se demander ce que peuvent bien regarder les filles dans l’animation japonaise (on imagine mal des filles regarder des trucs comme Chainsaw Man ou Cyberpunk Edgerunners, les pauvres ne seraient même pas capables de comprendre ce que séries racontent). Il est donc intéressant de tomber sur quelque chose comme Mushikaburi-Hime qui nous donne un aperçu de ce que donne un anime pour filles dans les années 2020.
Elianna fait partie de la famille Bernstein, considérée comme le cerveau du royaume de Suslind. Issue d’une lignée d’érudits, Elianna passe tout son temps dans les bibliothèques du château royal et ne semble pas avoir d’intérêt pour les mondanités. Jusqu’au jour où Christopher, le prince, la demande en mariage. Sans trop comprendre les conséquences, la jeune fille accepte et se retrouve fiancée au futur roi, ce qui la met en première ligne des intrigues de cour et autres tractations politiques. La princesse bibliothécaire parviendra-t-elle à vivre son amour ?
Les histoires de princesses et autres intrigues de cour ne sont pas rares en japanime ; il y a quelques mois nous avions eu par exemple Kokyu no Karasu qui se déroulait dans un contexte rappelant la Chine médiévale. Ce qui caractérise Mushikaburi-Hime c’est son esthétique fortement empruntée au conte de fées à l’occidentale ; Les héros bien blonds aux yeux bien bleus, le château de Disneyland, les costumes tout en dentelles et en frou-frous. Ajoutez-y des clichés visuels évidemment tirés du shôjo manga avec les fleurs qui entourent les personnages, les paillettes qui soulignent leur sourire Colgate® et cette image très pâle et des décors souvent brumeux voire complètement blancs qui placent la série dans une ambiance éthérée, hors du temps.
Le problème c’est qu’au-delà de ces clichés visuels il n’y a pas grand-chose à regarder. Il faut comprendre que Mushikaburi-Hime est certes une romance mais ce n’est pas une comédie romantique ; il n’y a pas de gags, pas de blagues, pas d’humour, pas d’ironie, pas de sarcasme, pas de parodie, rien. Ce n’est pas non plus une série d’action, il n’y a pas de combats, pas de pouvoirs, pas de monstres, pas de magie. Ce serait également difficile de qualifier cela de drame, il n’y a pas de morts tragiques ou d’accident inattendu ou quoi que ce soit qui irait essayer de te tirer une larme. En fait, j’irais même jusqu’à dire que c’est à peine une romance, puisque la question de savoir si le prince va finir avec la princesse est réglée dès le premier épisode lorsqu’il la demande en mariage et n’est pratiquement jamais remise en cause.
Du coup qu’est-ce qui se passe dans cet anime finalement ? La majorité des épisodes consistent à observer les deux personnages principaux se faire des mamours à l’écran sous l’œil vaguement amusé des personnages secondaires qui leur tiennent la chandelle. Le reste ce sont des intrigues de cour d’un ennui total, une version animée de ces documentaires tout pourris sur la famille royale d’Angleterre que BFMTV rediffuse tous les trois jours quand ils ont rien d’autre à mettre à l’antenne. Et sinon parfois tu as des sortes d’intrigues politiques qui se mettent en place et qui sont résolues de manière complètement ridicules : « Le Royaume de Machin veut nous déclarer la guerre » « Heureusement Elianna a retrouvé dans un livre ancien la recette du clafoutis aux mirabelles et comme le Roi de Machin aime bien ça alors on lui en a envoyé et maintenant il retire ses troupes ». Quand tu as des trucs comme Die Neue These qui sont diffusés à côté ça fait juste pitié, mais bon c’est un anime pour filles, faut pas être trop exigeant non plus.
La série est produite par Madhouse, ou ce qu’il en reste maintenant que leur dernier réalisateur valable s’est barré chez la concurrence. Faut savoir que Madhouse est responsable de quelques uns des animes de shôjo les plus célèbres au monde, tels que Card Captor Sakura (1998), X (2001) ou encore Chihayafuru (2011-2019). Toutefois on remarque bien vite que les grandes années du studio sont passées et qu’on a affaire à une coquille vide. L’animation est pauvre, la mise en scène minimale, et surtout ce qui choque c’est ce chara-design d’une banalité affligeante, façon isekai fauché ou JRPG de fond de tiroir. Historiquement le shôjo c’est quand même le genre connu pour les beaux gosses, les beaux costumes, les belles illustrations, le style quoi. Là y’a rien, les personnages ne ressortent pas, il n’y a clairement pas d’effort. Et en même temps ça ne le mériterait pas vraiment, le propos de cette série c'est d'expliquer aux filles que même toi la meuf banale qui préfère lire à la bibliothèque plutôt que de mettre du vernis à ongles et montrer ton cul sur TikTok, même toi tu peux choper un prince charmant qui va t'emmener sur un grand cheval blanc. C'est juste tout aussi complaisant que les animes pour garçons qui pullulent chaque saison, et donc c'est automatiquement mauvais.
Ce n’est pas très intéressant ni très honnête de défoncer une série qui de toute façon est passée totalement inaperçue et n’avait clairement aucune réelle ambition, mais cela reste dommage de voir que le public féminin n’a rien d’autre à se mettre sous la dent que les animes les plus éclatés visuellement, les plus creux, les plus inutiles, et cela alors que des dizaines de mangas shôjo ayant énormément de succès attendent d’être adaptés de manière compétente. Cela dit, les filles sont la source de toutes les calamités, donc c’est tout ce qu’elles méritent.