SpyxFamily est au départ un manga de Tatsuya Endô prépublié dans le Jump+, le magazine en ligne de la Shueisha, qui a la lourde tâche de compenser l’inexorable déclin du célèbre magazine papier. Il faut admettre que la prépublication en ligne présente un grand nombre d’avantages, et pas uniquement du point de vue du lecteur. Pour l’éditeur, qui n’est plus limité par un nombre maximal de pages ou une date limite de bouclage, cela permet de sortir plus de mangas, d’alléger la pression sur les auteurs et d’aller chercher des genres et des tonalités différentes de l’ordinaire. Et c’est précisément ce que propose SpyxFamily, et explique le fulgurant succès de son adaptation anime.
Depuis de nombreuses années les États de Westalis et d’Ostania sont à couteaux tirés, et leur affrontement menace la paix mondiale. Les services de renseignement des deux pays sont sur le qui-vive pour infiltrer leur rival et fournir des informations cruciales pour déstabiliser l’adversaire.
Twilight est le meilleur agent de Westalis, capable d’accomplir n’importe quelle mission au mépris du danger. Sa nouvelle cible est Desmond, un dignitaire d’Ostania qui détiendrait la clé pour éviter la guerre mondiale. Le problème, c’est que ce Desmond est paranoïaque et ne se montre jamais en public sauf lorsqu’il s’agit d’accompagner ses enfants à l’école. Pour avoir une chance de l’approcher, Twilight n’a pas d’autre choix que d’adopter une petite fille et l’inscrire dans la même école que celle des gosses de Desmond. L’autre problème, c’est que l’école en question est très sélective et n’acceptera pas Anya (la petite fille) si elle n’est pas accompagnée par un papa et une maman. Twilight est donc contraint de chercher une femme, et jette son dévolu sur Yor, une fonctionnaire en apparence banale.
L’autre autre problème, dont Twilight n’a pas connaissance, c’est que sa fille Anya possède le pouvoir de lire dans les pensées et que son épouse Yor est une tueuse professionnelle…
SpyxFamily se présente comme une comédie, et doit donc être jugé sur un seul et unique critère, l’humour. Heureusement, c’est un des points que la série gère le mieux. Toute la narration repose sur un concept que les théâtreux appellent l’ironie dramatique ; le fait pour le spectateur de connaître une information cruciale que les personnages ignorent. L’action est suivie du point de vue de Twilight, dont on connaît toute l’histoire, tandis que lui ignore que sa fille a des pouvoirs télépathiques, et il ne sait pas non plus que son épouse est une tueuse à gages à moitié psychopathe. Sauf que nous on sait, et c’est cela qui est marrant. Ce double jeu est au cœur du récit et se renforce au fil du temps, ce qui entretient la dynamique sans avoir besoin d’incorporer des dizaines de personnages ou des combats dans tous les sens, revenant d’une certaine manière aux fondamentaux du récit d’espionnage.
En effet, un aspect intéressant de SpyxFamily c’est sa manière de reprendre les motifs du genre, avec son décor évidemment inspiré de la Guerre Froide et en particulier de l’Europe centrale des années 1960, et ses personnages rappelant les romans de John le Carré. Cela explique en partie le retentissement international de l’anime, qui prend son inspiration du côté d’une certaine culture occidentale là où beaucoup d’autres comédies du moment, même les plus abouties, restent très ancrées dans le quotidien du japonais contemporain. SpyxFamily propose les ressorts comiques habituels, mais dans un contexte rafraîchissant.
L’autre élément important de SpyxFamily, c’est le Family. En proposant un protagoniste adulte qui doit se fabriquer une famille de toutes pièces, et des situations comiques basées sur ce que « devrait être » une famille ordinaire au-dessus de tout soupçon, l’anime se moque des conventions sociales et interpelle la notion de famille, thème universel qui touche largement plus de monde que ce que pourrait raconter un isekai saisonnier. Cela dit, il faut admettre que ce thème en particulier de la famille d’espions ou de tueurs est en vogue dans le Jump avec des titres tels que Yozakura Family ou même Sakamoto Days ; sauf que c’est SpyxFamily qui a été adapté en premier, donc c’est de lui dont on va parler maintenant, tant pis les lecteurs de mangas vous avez encore perdu. Quant à cette idée de protagoniste adulte, c’est également dans l’air du temps. J’ai lu quelques tomes de Kaiju n°8, autre manga publié dans le Jump+ et dont l’adaptation anime a été annoncée, et ce n’est finalement qu’un plagiat de World Trigger avec le personnage principal qui a trente piges au lieu d’en avoir quinze. C’est cela l’avenir du shônen et de la japanime ; on reprend les mêmes recettes mais on ajoute dix ou vingt ans aux personnages pour intéresser le public plus âgé, qui ne se rendra pas compte qu’on lui refourgue les mêmes histoires.
C’est quoi déjà le sujet ? Ah oui SpyxFamily. L’anime est curieusement produit par deux studios ; Wit Studio (filiale de Production IG) et CloverWorks (filiale de A-1 Pictures et Aniplex). Une collaboration qui a semble-t-il bien fonctionné de leur côté puisque Aniplex, Wit Studio et Shueisha ont récemment établi une structure appelée JOEN dans le but précis de renforcer leurs capacités de production, et qui pourrait déboucher sur d’autres projets à l’avenir. Le réalisateur est Kazuhiro Furuhashi, vétéran spécialisé dans les séries historiques tendance jidaigeki (Ruroni Kenshin, Dororo). Sa présence au staff laissait penser que l’adaptation se prendrait beaucoup plus au sérieux que le matériel original, mais il n’en a rien été finalement, et c’est peut-être pour le meilleur ; la réception de Joker Game en 2016 a montré que l’animation japonaise n’est peut-être pas prête à produire un véritable récit d’espionnage. Concernant SpyxFamily, la production value est assez énorme et se remarque surtout au niveau des personnages particulièrement bien animés et aux décors détaillés. C’est subtil, mais on voit tout de suite à l’écran quand il y a du pognon. Mention spéciale aux génériques produits par deux réalisateurs connus des services ; le premier opening par Masashi Ishihama (Shin Sekai Yori) et le second par Tetsurô Araki (Shingeki no Kyojin).
Toutes ces éloges sont surtout dirigées vers la première moitié de la série, qui installe le décor et les personnages et explore le potentiel comique et émotionnel de son postulat. A compter de la seconde moitié les choses ralentissent énormément ; l’intrigue fait du sur-place, les gags deviennent de plus en plus lourds et on sent aussi clairement que possible la volonté du scénario de gagner du temps et de rallonger la sauce. On peut sans problème passer l’intégralité de la deuxième moitié et aller directement au dernier épisode qui apporte enfin un peu de grain à moudre juste avant la conclusion. C’est bien dommage car les personnages principaux Loid, Yor et Anya ont un charisme fou, le simple fait de le voir interagir à l’écran est drôle en soi, mais la série fait le choix étrange de séparer les persos et de les envoyer faire leurs histoires dans leur coin (Anya va à l’école, Yor fait la cuisine, Loid va chercher le courrier) alors que c’est lorsqu’ils sont réunis que la série fonctionne le mieux. Plus que n’importe quelle autre série récente, on voit tout de suite le moment où le manga a commencé à bien fonctionner et où les éditeurs ont passé un coup de fil à l’auteur « Bon coco, ton manga d’espions il se vend bien là, maintenant tu laisses tomber le scénario et tu nous fais du filler le temps qu’on négocie les droits avec Crunchyroll pour la saison 2 et le film, t’inquiètes on leur glisse un mot pour ton pourcentage ».
Je disais plus haut que SpyxFamily ça sentait le pognon mais pas uniquement dans le chara-design. C’est un anime aussi bien produit qu’il est inoffensif, conçu et étudié pour plaire au grand public mondialisé des services de streaming (avec doublage français en simulcast pour ne perdre aucun potentiel spectateur). Son récit comique-mais-avec-un-peu-de-sérieux-quand-même, ses personnages mignons et son contexte historico-burlesque à la Tintin & Milou assurent une base solide de divertissement qui invitent à revenir chaque semaine même en sachant pertinemment que, comme toutes ces séries qui ne reposent que sur une seule blague, il ne faut pas s’attendre à de la haute voltige narrative. C’est l’équivalent japanimesque de l’eau tiède, dont il serait stupide de dire du mal puisque il n’y a finalement pas grand-chose à en dire tout court.
(8/10 pour la première moitié, 6/10 pour la deuxième)