Lorsque l’on commence à avoir une petite expérience dans l’animation japonaise et les critiques, on devient capable de repérer les signes avant-coureurs qui indiquent qu’un anime fonce droit le mur, et ce avant même d’en regarder la première minute. Et dans le cas de Sword Gai, autant dire qu’on partait de loin.
1) La série est adaptée d’un manga seinen publié dans un magazine mensuel entre 2012 et 2015, où il a trouvé sa conclusion au bout de six volumes. Cela signifie que le manga est terminé depuis trois ans et n’a pas eu d’adaptation en anime jusque-là, ce qui veut généralement dire que tout le monde s’en fout et que le produit ne suscite aucun intérêt de la part du public comme des producteurs.
2) L’adaptation est produite par trois studios d’animation, ce qui est inhabituel en plus d’être un mauvais signe, car le travail a été éparpillé entre différentes structures. Parmi ces studios, le premier est un producteur de séries en animation flash (DLE), le second est un sous-traitant spécialisé dans les CG (LandQ), et le troisième n’est autre que Production IG. Sauf que Prod IG vient de sortir B the Beginning en partenariat avec Netflix, et s’apprête à diffuser le très attendu remake de Legend of Galactic Heroes. On a donc du mal à croire qu’ils avaient du temps et des moyens à consacrer à cette anime de troisième zone alors qu’ils concourent actuellement dans l’élite de l’industrie.
3) La série est produite par Netflix qui choisit de la diffuser quelques semaines après ses propres Devilman Crybaby et B the Beginning, deux animes qui ont bénéficié de bien plus de moyens et de promotion et contre lesquels Sword Gai ne peut absolument rien pour se faire remarquer. D’autant que tout cela se passe pile au moment où la saison d’hiver se termine et où la saison de printemps commence, une période intense pour les fans d’animes qui ont largement de quoi s’occuper sans avoir à fouiner les fonds du catalogue Netflix.
Bref lorsque le patient Sword Gai est arrivé sur ma table d’opération le pronostic vital était engagé et je n’étais pas particulièrement optimiste sur les chances de succès. Mais un spectateur d’anime c’est comme un supporter de l’Équipe de France, il a besoin de croire aux miracles. Et avec Sword Gai il y avait au moins une raison bien précise d’espérer.
Il existe dans le monde des armes légendaires qui renferment les âmes de démons sanguinaires. Si ces armes sont manipulées par des hommes faibles, le démon prend possession de leur esprit et les poussent à commettre des atrocités. Au bout d’un moment, l’humain est complètement possédé par l’arme et devient un être surpuissant qui n’existe que pour tuer.
Une organisation secrète appelée Shoshidai a pour objet de retrouver ces armes et leurs porteurs, de les cacher au monde et de les étudier pour trouver un moyen de contrôler leurs pouvoirs. Pour cela, Shoshidai emploie des porteurs d’armes dont l’esprit n’a pas encore été complétement absorbé par le démon, et qui sont maintenus en sommeil cryogénique afin de retarder leur inévitable transformation.
Parmi ces armes légendaires se trouve Shiryû (littéralement « Dragon de la Mort »), un katana qui dégage une aura maléfique. Cette arme se retrouve entre les mains de Gai Ogata, un jeune garçon qui travaille comme forgeron avec son père. Suite à divers évènements, Gai perd son bras droit et son père décide de reforger Shiryu en un bras mécanique et de le lui greffer (!!!). L’arme prend alors possession de Gai pour le transformer en monstre mi-homme mi-démon. C’est à ce moment-là que le Shoshidai apparaît pour proposer à Gai d’accomplir son destin…
Si on devait placer Sword Gai sur le spectre de la respectabilité il serait du côté de la série Z, mais ce serait lui faire encore trop d’honneur. Je ne sais pas ce qu’il y a au-delà de la série Z, dans les profondeurs du kitsch et du mauvais goût, mais c’est là que se complaît Sword Gai et son récit débile à base de démons anciens, d’organisations secrètes, de superpouvoirs et de personnages émo-dark qui trucident leurs adversaires par dizaines dans leurs armures en 3D moche. Néanmoins, ce mauvais goût assumé, Sword Gai le réalise avec talent. Et pour cause ; l’auteur du manga original, Toshiki Inoue, est un professionnel du tokusatsu qui a travaillé sur plus d’une vingtaine de séries et de films de la licence Kamen Rider. Il a également beaucoup travaillé dans l'animation, où il a notamment écrit le script des adaptations de Death Note et Ushio & Tora par exemple. Pareillement, le chara-designer Keita Amemiya est le créateur de la franchise Garô qui réjouit nos écrans depuis plusieurs années. Ces gens-là sont des vétérans, ils ne sont pas venus raconter de longs discours et faire les malins. On est là pour se taper dessus et balancer la sauce en hurlant à plein poumons, et lorsque l’on comprend ça on peut commencer à kiffer.
Ce qui est kiffant, c’est que même si cette histoire est stupide, elle est traitée avec sérieux. Le ton de la série est très noir et d’une extrême violence ; le premier épisode comporte ainsi une séquence dans laquelle une femme enceinte assassine un homme à coups de sabre avant d’aller accoucher dans les bois puis de se pendre à un arbre juste devant son nouveau-né encore dégoulinant du placenta maternel. Et la série est remplie de ce genre de tragédies outrancières, qui ne sont pas là pour faire pleurer mais pour servir l’intrigue et les personnages. Ces derniers sont la grande qualité de série ; très nombreux, ces personnages sont variés dans leur aspect, leur histoire et leur background, et la série leur donne suffisamment de temps pour bien expliquer leurs motivations et leur personnalité. On parle souvent sur les forums Internet de « développement de personnage » sans vraiment savoir ce que cela signifie ; Sword Gai est un exemple concret de ce que sont des personnages correctement écrits et présentés. Même le héros, cliché ambulant du gamin ténébreux qui fait la gueule tout le temps, est finalement assez attachant puisque son histoire et son parcours sont dévoilés de A à Z sans artifices ni facilités.
Le problème c’est que ces personnages sont tellement nombreux et prennent tellement de place dans l’anime qu’il ne reste plus rien d’autre à raconter qu’une suite de backstories censée amener vers une grande baston générale qui n’arrivera pas, puisque la série se termine avant que les choses sérieuses commencent. Entre-temps il y a bien quelques escarmouches, mais ce n’est pas l’animation très limitée, la mise en scène minimaliste ou les armures en CG immondes qui relèvent l’ordinaire. Étrangement, Sword Gai est un anime de baston dans laquelle la baston est le moment le moins intéressant et où le développement des personnages et mieux foutu que dans 90% des animes que j’ai vu ces derniers temps.
J’ai attaqué Sword Gai avec l’envie d’en découdre et de descendre un navet parmi d’autres et j’ai été assez agréablement surpris. C’est une série créative, qui a des idées et des choses à raconter que je ne m’attendais pas à trouver là-dedans. Toutefois c’est aussi un anime très inégal, réalisé avec des bouts de ficelle et dont l’histoire s’arrête sur un cliffhanger sans qu’aucune suite n’ait été annoncée pour l’instant. Si vous êtes cependant en recherche d’un anime un peu plus burné et énervé que la moyenne, avec une écriture franche du collier qui rappelle les bons vieux seinen bien violents de l’époque, peut-être que Sword Gai saura contenter votre soif de sang.