Dans les derniers mois de la Seconde Guerre Mondiale, alors que le conflit entre les États-Unis et l’Empire du Japon tournait à la violence la plus absolue, on vit apparaître sur les champs de bataille d’Okinawa des jeunes adolescents mobilisés de force. L’état-major nippon avait pris la liberté de prélever dans les collèges et lycées de l’Archipel des centaines de garçons et de filles âgés entre 14 et 19 ans pour grossir les rangs de l’armée et mener des attaques suicides. Ces enfants furent affectés dans un corps nommé Bataillons Impériaux de Sang et d’Acier, soit en japonais « Tekketsu Kinnotai ». En juin 1945, ils étaient plus d’un millier au front, et leur sacrifice eut pour seul effet de pousser les Américains à utiliser la Bombe pour forcer le Japon à la défaite.
Soixante-dix ans plus tard, le souvenir de ces jeunes sacrifiés continue d’inspirer la fiction japonaise, pour qui la jeunesse représente autant un public cible qu’un idéal glorifié. Et c’est dans cet esprit que se place la série ici commentée, intitulée dans son titre japonais Tekketsu no Orphans.
Tekketsu no Orphans se déroule dans un univers de science-fiction dans lequel l’homme a colonisé la planète Mars. Cette dernière fournit des ressources à la Terre mais n’a aucun droit politique, ce qui mène à un sentiment de révolte. Mais les terriens maintiennent l’ordre dans l’espace de manière brutale, grâce à une bureaucratie militaire que la paix prolongée a redu décadente.
L’histoire proprement dite démarre lorsqu’une diplomate martienne décide de se rendre sur Terre pour participer à des négociations visant à permettre l’autonomie économique de la planète rouge. Elle est escortée par un groupe de mercenaires majoritairement composé d’enfants, des orphelins ramassés dans les rues pour servir de chair à canon. Ces garçons mutilés, orphelins au sang d’acier, profiteront de ce voyage pour s’affirmer en tant qu’êtres humains libres et indépendants, quitte à y risquer leur vie.
Le motif de la jeunesse sacrifiée pour servir les méfaits des adultes n’est en rien nouvelle en animation japonaise, c’était même un des motifs fondateurs de ce que l’on a appelé le real robot à partir des années 80. Certaines séries telles que Dougram par exemple figuraient déjà un groupe de gamins combattants de la liberté, ivres de révolution, dans un combat à teneur radicalement militante. Par la suite, les séries de mecha ont évolué avec quelque chose de plus romantique, où le mélodrame pour adolescent(e)s a remplacé la politique et les idées sociales ; ce qui a rendu les séries de mecha de moins en moins intéressantes. Et d’une certaine manière, Tekketsu no Orphans revient aux fondements du genre en cherchant à dépeindre un conflit dénué de tout sentimentalisme.
Ainsi, le conflit dans Tekketsu no Orphans n’est pas abordé de manière à servir de catalyseur aux émotions exacerbées des personnages, c’est une donnée purement comptable. Le groupe de mercenaires appelé Tekkadan débute la série en acceptant un contrat d’escorte, et seront tout au long de l’anime confrontés à des groupes concurrents, qui ne sont pas rivaux par haine, mais par intérêt commercial ou politique. Toute l’intrigue de la série et ses combats de robots peuvent se résumer à des histoires de tractations politico-économiques entre des factions privées qui cherchent à augmenter leur profit ou protéger leur marché, avec l’appui des forces politiques. A cet égard, l'anime évoque clairement la récente crise financière mondiale, qui met à jour un système institutionnalisé d’inégalité forcée des citoyens face à la richesse. Exactement le même système que combattent les héros dans la série.
Paradoxalement, le choix de raconter une série dénuée de romantisme passe dans les faits par une intention plus importante accordée aux personnages. En évacuant dès le départ toute notion de conflit global, qui n’aurait pas de sens dans son contexte, la série se permet de focaliser son attention sur les individus. Parmi ces personnages, les plus mis en avant sont évidemment les membres de Tekkadan, le groupe de jeunes mercenaires qui a débuté la série en se mutinant contre leurs supérieurs. Ce groupe est mené par un leader, qui est également le héros de la série. Mais là aussi on trouve une particularité, puisque dans Tekketsu no Orphans le héros est composé de deux personnages. D’un côté il y a Orga, le dirigeant de Tekkadan qui prend les décisions et assure la cohésion du groupe. De l’autre il y a Mikazuki, qui exécute ces mêmes décisions en pilotant le robot géant qu’il a lui-même volé à ses anciens employeurs. Orga a une confiance totale en Mika, et Mika ne remet jamais en question les choix faits par Orga. En opérant une scission dans les caractères du héros (celui qui décide/celui qui agit), Tekketsu no Orphans se dote d’une dynamique assez simple, dans laquelle l’intrigue n’est pas dépendante des états d’âme du héros – puisqu’ils sont deux et se tiennent mutuellement en respect.
Ces différents éléments permettent de qualifier Tekketsu no Orphans de ce que j’appellerais un anime de mecha pragmatique. La série ne s’intéresse pas aux émotions véhiculées par ses personnages, mais plutôt à étudier les conséquences pratiques de leurs actions dans un contexte donné, lequel contexte trouve écho dans l’actualité de notre monde réel.
Cette orientation rend la série intéressante, mais elle a également ses limites. Pour réussir correctement à ce que prétend la série, il faut une écriture capable de rendre compte de tous les détails et de toutes les nuances. Or, le réalisateur Tatsuyuki Nagai et la scénariste Mari Okada, célèbres dans le domaine du mélodrame larmoyant pour adolescents, ne sont visiblement pas à l’aise dans une série qui demande un effort de construction et de profondeur bien plus grand que la moyenne des dessins animés japonais. Cela occasionne de nombreuses frustrations au cours de l’anime, qui prend parfois des raccourcis lorsqu’elle se sent incapable de suivre le chemin pourtant le plus logique. Toutefois, contrairement à d’autres productions récentes, je n’ai pas eu la sensation d’un total abandon des intentions de la série, en tout cas pas jusqu’au dernier épisode qui renoue avec une certaine facilité et laisse sur une note mitigée.
Une autre spécificité de Tekketsu no Orphans se situe au niveau stylistique. La série a en effet choisi de se placer dans un univers volontairement low-tech, dans lequel la technologie ne présente pas l’aspect futuriste habituellement utilisé dans ce genre de série. La meilleure illustration de cet élément est la direction artistique des combats, qui se basent exclusivement sur les dégâts cinétiques, c’est-à-dire les armes solides. Dans Tekketsu no Orphans les robots sont tous équipés d’armures nano-stratifiées qui rendent les armes à distance inutiles ; pour se battre ils sont obligés d’aller au contact. A la manière d’un Break Blade, il va donc principalement s’agir de combats au corps-à corps, ce qui à échelle de robot géant rend des pugilats organiques et brutaux.
Le mecha-design est également à mentionner, avec des machines particulièrement stylisées et iconiques. Pas moins de trois mecha-designers différents ont travaillé sur la série, et le spectateur attentif verra immédiatement la différence de style entre les gammes de robots, selon leur classe et leur origine. Le Barbatos piloté par Mikazuki illustre quant à lui parfaitement cette philosophie du mecha pragmatique : il change de forme régulièrement au cours de la série en s’appropriant les pièces d’équipement lootées sur ses ennemis vaincus ou données/trouvées sur son chemin, à la manière d’un héros de RPG. On voit ici à quel point la série fait passer son propos aussi bien par la narration que par la direction artistique, ce qui est comme vous le savez la marque des animes particulièrement bien réalisés.
Mais là aussi il faut admettre que les bonnes idées ne sont pas toujours suivies d’une aussi bonne exécution. Autant le mecha-design est excellent, autant l’animation proprement dite n’est pas du meilleur cru, avec beaucoup de hors-modèle et des storyboards pas toujours très lisibles – même si l’intervention ponctuelle du légendaire Masami Obari offre un surplus de prestige au travail rendu par le studio 3 de Sunrise. Quoi qu’il en soit, un anime de robot en 2D moyenne vaudra toujours plus qu’un anime de robot en 3D réussie, ainsi Tekketsu no Orphans se situe automatiquement au-dessus de 90% de la production dans le domaine.
En conclusion, Tekketsu no Orphans est une série sympathique qui brille par ses thématiques et son style, mais dont la réalisation elle-même n’est pas toujours à la hauteur des enjeux. Cela ne doit toutefois pas empêcher l’anime d’être recommandé au plus grand nombre, fans de mecha ou non, qui y découvriront une perspective nouvelle sur le genre, un mélange entre l’austérité d’antan et le spectaculaire d’aujourd’hui. Une perspective qui aura convaincu de nombreux spectateurs, comme le démontre l’annonce d’une suite pour automne prochain. 7,5/10