Lorsque l’on parle d’animes de mechas en général et de robots en animation traditionnelle en particulier, la licence Gundam est incontournable pour ne pas dire monopolistique. La firme Bandai et le studio Sunrise, à coups de rachats de studios et autres manœuvres, ont concentré tout le savoir-faire japonais en la matière pour alimenter la licence Gundam et son industrie de vente de maquettes en plastique. C’est dire l’enjeu qui pèse sur Gundam, si les animes ne sont pas excellents alors c’est la totalité du genre anirobo qui souffre, puisqu’il ne reste plus que cela sur le marché. Et lorsqu’une nouvelle série originale conçue pour le public moderne et mise en chantier, c’est l’occasion de revigorer la franchise et de la relancer comme ont pu le faire Seed ou 00 en leur temps.
Gundam The Witch from Mercury (WFM) se déroule dans un monde où le système solaire a largement été colonisé par l’humanité. Un monde qui n’est plus contrôlé par des nations mais par des conglomérats privés, qui suivent leurs propres règles avec comme objectif la recherche du profit et du pouvoir. Les dirigeants de ces corporations vivent dans des stations spatiales luxueuses tandis que ceux restés sur Terre ou travaillant sur les autres planètes subissent une discrimination sociale qui les relèguent au rang de sous-citoyens.
Pour perpétuer cette élite, les corpos ont créé l’académie Alticassia, qui forme les jeunes aux technologies les plus pointues. Suletta Mercury est une jeune fille originaire de la planète Mercure et qui parvient à intégrer Alticassia malgré son faible statut social. Elle va découvrir les règles particulières de l’école et se confronter aux diverses factions qui la composent. Suletta dispose néanmoins d’un atout de taille, puisqu’elle est venue à l’école avec le genre de fournitures scolaires qui en ferait rêver plus d’un ; le Gundam Ariel...
Commençons par parler technique. La direction artistique de la série est plutôt réussie, avec un style futuriste assumé qui rend bien ce monde de science-fiction encore plus évolué que la plupart des univers Gundam. Il y a des hologrammes partout, les vêtements changent de couleur en appuyant sur le bouton de son smartphone de l’espace, et les robots ont des capacités qui relèvent quasiment de la magie. Comme souvent le mecha-design du robot principal a été confié à un guest, en l’occurrence l’illustrateur Juntaro Saito, mais pour le reste on retrouve les habituels designers de Sunrise tels que Kanetake Ebikawa, Ippei Gyôbu ou encore Kenji Teraoka. L’animation est souvent superbe, que ce soit les robots eux-mêmes ou les personnages, c’est Sunrise dans ce qu’ils peuvent produire de mieux ; aucun autre studio dans l’industrie actuelle n’est aujourd’hui capable de propose un anime avec des robots animés à la main à chaque épisode, dans cette quantité et cette qualité. Pour ceux qui aiment cette animation, cette performance technique et ce savoir-faire, Gundam WFM vaut le coup d’œil ; et puis ce n’est pas comme s’il y avait beaucoup de choix.
Parlons maintenant de l’écriture. Le world-building a toujours été une composante cruciale de la saga Gundam ; ce n’est pas pour rien que la franchise a perduré pendant plus de trente-cinq ans, les auteurs ont toujours été capables de trouver quelque chose à raconter dans ces univers quitte à s’enfoncer dans des détails obscurs. WFM propose un monde dans lequel ne conflit n’est pas basé sur des nations ou des ethnies comme dans le Gundam original et certaines autres itérations, mais sur des intérêts économiques et technologiques. L’aspect social et le conflit de classes était déjà abordé dans Iron Blooded-Orphans, mais WFM s'oriente dans direction que l’on pourrait presque qualifier de cyberpunk, en abordant des thématiques telles que le transhumanisme et la cybernétisation de l'âme. La série télé était d’ailleurs précédée d’un prologue qui posait très bien ces thèmes et le ton global de l’anime.
Des thématiques plutôt pertinentes donc, mais exécutées d’une manière que l’on ne pourra difficilement qualifier autrement que de foirée. Lorsque la série débute Suletta intègre donc l’académie et découvre que les élèves s’adonnent à des « duels » où ils s’affrontent en Mobile Suit pour gagner en prestige et faire valoir leurs sponsors. Évidemment Suletta va participer à ces duels avec son Gundam ce qui va donner le cadre d’environ les deux-tiers de la série et justifier les combats de robots. Le souci, c’est que cette histoire de duels scolaires n’a rigoureusement aucun sens et surtout aucun intérêt. On dirait un light novel des années 2010, vous savez les trucs comme Asterisk War ou Rakudai Kishi no Cavalry, ce genre qui était très à la mode à un moment et qui est complètement tombé en désuétude quand l’isekai est apparu. Gundam WFM c’est un peu cela, une série qui tente de faire moderne mais qui loupe sa cible en prenant des inspirations qui sont déjà obsolètes au moment où la série est diffusée.
Alors oui j’en vois déjà qui lèvent la main pour signaler que la véritable inspiration de WFM c’est Revolutionary Girl Utena, la célèbre série du studio Toei de 1997. Et il est vrai que WFM assume son hommage avec la romance entre les deux personnages féminins, les fameux duels qui cadrent l’intrigue, et d’autres références plus directes. Seulement, il ne suffit pas de rendre hommage à un classique pour être pertinent. Dans Utena les duels sont une métaphore des conflits émotionnels entre les personnages, toute la série baigne dans le style symboliste caractéristique du réalisateur Kunihiko Ikuhara. Un style allégorique qui n’a pas grand-chose à faire dans Gundam, une série de science-fiction censée être basée sur du concret (real robot). Je ne suis pas foncièrement contre l’idée d’un Gundam qui tenterait de nouveaux styles, une série comme Mobile Fighter G par exemple est excellente, sauf qu’à l’époque c’était mieux fait et ça se prenait moins au sérieux. Ici tout sonne faux et artificiel, les duels eux-mêmes ne servent à rien puisque les vrais conflits ne se déroulent pas entre les personnages principaux qui se battent dans leurs robots mais entre les adultes en costumes qui négocient en coulisses. De plus le fait que Suletta pilote un Gundam qui est beaucoup plus avancé que n’importe quel autre Mobile Suit rend les enjeux caducs ; ce serait comme produire une série sur un tournoi d’arts martiaux avec John Wick qui se bat contre des clones d’Eric Zemmour, c’est compliqué de créer de la tension dramatique. La série en est parfaitement consciente d’ailleurs, puisque les seuls moments où Suletta et l'Ariel sont mis en difficulté c’est soit parce que l’adversaire triche, soit parce qu’on lui met un autre Gundam en face (bien que ceux-ci soient censés être bannis pour « sorcellerie » mais ce point de l’intrigue, qui donne pourtant son titre à la série, est résolu par une pirouette au bout de deux épisodes).
Lorsque la série entame sa seconde moitié, on comprend que toute cette histoire de duels et d’académie ne sert en réalité à rien du tout et que le véritable enjeu se situe ailleurs (« oui en fait il y a cette super arme de destruction massive de l’espace qui traînait là et du coup maintenant c’est ça qui est important »). Le dernier quart de l’anime est complètement rushé, c’est évident que le script était conçu pour 50 épisodes à la manière des autres séries de la franchise et qu’ils ont été forcés de réécrire les derniers épisodes en catastrophe pour conclure. Le seul segment à sauver c’est l’épisode 15, qui se déroule entièrement sur Terre et qui propose une histoire de real robot totalement divorcée du ton du reste de la série et qui aurait pu figurer dans un anime de Ryosuke Takahashi. Pour le reste c’est bidon de A à Z.
Les personnages ne sauvent pas l’affaire beaucoup plus. Faut savoir que WFM est écrit par Ichiro Okôchi, scénariste bien connu des fans d’animes de mecha depuis vingt ans. Lorsque Okôchi a écrit Code Geass en 2006, avec son scénario ridicule de terroristes révolutionnaires qui vont au lycée, ça passait parce que le personnage de Lelouch était hilarant avec son design edgy et le doubleur Jun Fukuyama qui cabotinait à l’extrême. Ici dans WFM il n’y a même pas cela. Le personnage de Suletta a autant de charisme qu’une serpillère usagée et sa personnalité se résume à bégayer dès qu’on lui adresse la parole et à sourire béatement devant tout ce qui se passe. Les protagonistes dans les séries Gundam sont rarement réussis mais là c’est vraiment compliqué. Sa relation avec Miorine, la fille à papa insupportable qui passe son temps à gueuler, ne fonctionne pas du tout. L’anime tente de se la jouer progressiste avec son personnage principal féminin (une première dans la franchise) et sa relation avec une autre fille, sauf que tout cela ce n’est que de la poudre aux yeux, si vous croyez qu’un anime Gundam diffusé dans le monde entier et notamment dans des pays comme la Chine va sérieusement explorer la question de l’homosexualité des adolescentes de quinze ans vous vous fourrez le doigt dans le Zaku. Et puis qui peut croire que Bandai/Sunrise en a quoi que ce soit à foutre de l’émancipation des filles alors qu’eux-mêmes se font des milliards chaque année en diffusant ce genre de productions.
Le reste des personnages ce n’est pas plus glorieux. Notamment Guel et la famille Jeturk, tout ce qui les concerne est complètement ridicule, à un niveau de guignolerie qui rappellerait presque Tomino. Le personnage de Elan est un gros gâchis et quant au reste des élèves de l’école leur nombre est inversement proportionnel à leur intérêt. En revanche le personnage de Prospera est plus intéressant, c’est sans doute le meilleur personnage de la série et je dirais même un des « méchants masqués » les plus réussis de la saga. Sa relation avec Suletta est ambiguë et ses motivations, dûment expliquées si tant est que l'on prend la peine de regarder le prologue cité plus haut, sont à peu près la seule chose qui fait sens dans cette série. Toutefois même elle ne sauve l’anime de cette conclusion navrante où toute l’intrigue se résout par la magie Gundamesque du scénario qui ne sait pas comment échapper à la noyade et choisit la facilité.
La saga Gundam dans son ensemble peut se résumer à un amoncellement de bonnes idées exécutées n’importe comment par des producteurs motivés par des intérêts financiers plus qu’artistiques. The Witch from Mercury répond parfaitement à cette description, mais contrairement à d’autres cette série a la décence de rapidement dévoiler sa vacuité narrative et thématique pour éviter de trop décevoir un public qui depuis des années attend, en vain, la série de mecha qui remettrait le genre au centre de la conversation. En cela on peut remercier Bandai et Sunrise ; ils font perdre leur temps à leurs animateurs mais au moins le public lui saura à quoi s’en tenir.