Bienvenue dans le Manoir Deluxe, un lieu où se chevauchent réalité et fiction… On raconte qu’il y a bien longtemps, cet endroit était habité par un individu passionné d’animation japonaise, à laquelle il avait consacré toute son existence. Mais au moment de sa mort, il n’avait pas fini de regarder ses dessins animés favoris ; son esprit continua donc d’errer en ce monde, sa soif d’anime ne pouvant être étanchée. Et il paraît que le soir d’Halloween, ceux qui se rendent dans son Manoir peuvent entendre la voix de cet esprit leur parler d’animes horrifiques.
L’anime qui va nous intéresser ce soir reprend beaucoup de codes des productions de genre et notamment de l’horreur, mais il ne s’agit pas à proprement parler d’un anime horrifique ; aucune chance d’avoir peur en visionnant cette série. En revanche, s’il y a bien quelque chose d’effrayant, c’est que personne ou presque n’ait entendu parler de ce titre alors qu’il s’agit sans aucun doute d’une des productions les plus intéressantes de ces douze derniers mois.
Vanishing Line est la plus récente émanation de la franchise Garô, une saga de tokusatsu qui après avoir sévi à la télévision japonaise a trouvé refuge dans l’animation ; nous gratifiant ainsi d’une suite d’animes tantôt sublimes, tantôt oubliables, mais jamais vraiment révoltants. Avec Vanishing Line, c’est comme si les producteurs du studio MAPPA avaient décidé de passer à la vitesse supérieure, d’enfourcher leur grosse cylindrée et de rouler tout droit sur le chemin de la Qualité. Le récit débute à Russell City, une mégalopole dont la population sert de goûter aux monstres qui vivent dans l’ombre, les Horrors. Il existe toutefois une organisation secrète qui traque et détruit les Horrors lorsque leurs repas font un peu trop de dégâts dans la démographie locale. Parmi ces chasseurs il y a les chevaliers Makai, c’est ceux-là qui sont forts, mais le problème c’est qu’ils sont en effectif réduit ; en fait à Russell City il n’y a qu’un seul chevalier pour toute la ville. Sauf que Sword, c’est son nom, bah c’est pas n’importe quel chevalier, c’est le plus fort de tous, celui qui porte de titre de "Garô".
On peut donc résumer Vanishing Line à une histoire de mec baraqué qui pète la gueule des méchants monstres avec du sang partout et il y a aussi des bonnes meufs, et ce serait une vision relativement juste de ce propose l’anime. Pour ma part c’est suffisant comme scénario, en particulier le passage avec les bonnes meufs, on pourrait s’arrêter là mais vous êtes exigeants et vous avez raison, alors c’est parti.
Commençons par la réalisation qui est, de manière générale, excellente. Le chara-design est assuré par Takashi Okazaki, connu notamment pour son travail sur Afro Samurai, et son style est assez reconnaissable en plus d’être tout à fait approprié. Il est servi par une animation dantesque, superbe, qui culmine lors de certains épisodes 100% action tels l’épisode 8 ou l’épisode 23 qui constituent presque des MAD à eux tout seuls. Rien à redire sur le volet audio, les doubleurs Tomokazu Seki et Rie Kugimiya ne sont pas des stars de l’industrie pour rien et cet opening par JAM Project j’ai envie de dire, miam miam quoi. Encore une fois, le studio MAPPA domine complètement la concurrence en termes de valeur de production, de style de constance.
Concernant l’écriture, Vanishing Line suit un schéma assez classique qui est celui de la série épisodique. Il y a une intrigue globale qui tourne autour du personnage de Sophie ; une gamine de treize ans qui cherche son frère disparu et qui semble intéresser les Horrors bien au-delà de la simple dégustation de chair fraîche. Elle va finir dans les pattes de Sword et ensemble vont tenter de résoudre le mystère de l’El Dorado, qui lie les quêtes des différents personnages. Néanmoins, chaque épisode ou presque constitue sa propre histoire, avec ses propres enjeux et sa propre résolution. Personnellement je suis très fan de ce genre de procédé, car les séries épisodiques ont tendance à être mieux écrites que les autres. Il vaut mieux avoir une suite d’épisodes qui ont chacun un début-milieu-fin plutôt qu’une seule grosse histoire dans laquelle les scénaristes vont se voir obligés de foutres des plot-twists, des cliffhangers et autres conneries pour tenter de maintenir l’intérêt du spectateur. Malheureusement c’est ce dernier format qui attire le plus le public moderne, ce qui explique l’augmentation de la part de la médiocrité dans l’animation japonaise actuelle, mais ce n’est pas le sujet.
A partir de l’épisode 9 la série change de tonalité et devient un road-movie. Sword et Sophie quittent Russell City pour trouver l’El Dorado et résoudre les mystères qui s’y cachent. Moi qui suis fan absolu des séries de type voyage initiatique autant dire j’étais dans mes petites pantoufles, d’autant que l’anime persiste dans la qualité et la variété avec des épisodes drôles, inquiétants, reposants, et pas mal d’emprunts cinématographiques qui amuseront les plus observateurs. En chemin ils rencontreront encore d’autres personnes, défonceront d’autres monstres jusqu’à un arc final qui traîne un peu en longueur mais qui apporte le point final à ce voyage au centre de la méchanceté et de la lâcheté humaine, et un épilogue parfait qui cimente l’affection de la série, et de son audience, pour ces personnages et cet univers.
Donc ouais Vanishing Line c’est badass, mais pourquoi est-ce à ce point badass ? Je pense que c’est lié à la personnalité du réalisateur, Seong-Ho Park. Ce bonhomme est animateur de profession, avec une belle carrière chez MAPPA – il a animé l’opening de Yuri on Ice et certaines des meilleures séquences de Zankyo no Terror entre autres. C’est toujours intéressant d’avoir un animateur au poste de réalisation, leur perspective est souvent plus stylisée et visuelle que le reste des réalisateurs qui pour l’essentiel sont des cinéastes ratés. Mais surtout, vous l’avez peut-être remarqué, le mec n’est pas japonais, il est coréen, et être coréen c’est pas rien.
Il faut savoir que contrairement au milieu cosmopolite et mondialisé du cinéma hollywoodien, l’industrie de l’animation japonaise reste très localisée et fermée, à l’image d’un pays qui est lui-même très homogène ethniquement et culturellement. En raison de la forte demande et du manque de personnel il n’est plus rare de voir des étrangers à des postes artistiques dans les studios (animation, designs, musique…) mais il est beaucoup moins fréquent, voire inédit d’en trouver à des postes de direction (réalisation, scénario, production). En effet, ce que le public évalue en premier dans un anime c’est le studio, puis le réalisateur, puis le scénariste ; et si ces postes sont occupés par des non-japonais le public local aura tendance à se méfier – parce que les immigrés ont la vie dure, quel que soit leur talent.
Et dans le cas précis de Vanishing Line on voit assez vite l’apport d’un réalisateur au background sensiblement différent des autres. La série débute dans le cadre d’une métropole vaguement new-yorkisante mais il n’est jamais précisé de pays, de lieux ou de culture précise. Plus tard certains épisodes se dérouleront dans des décors évoquant l’Ouest américain, les Andes, le Brésil, certains plans font référence à la France etc… De manière générale l’anime baigne dans une sorte de multiculturalisme, les noms des personnages sont des termes génériques (Sword, Knight, Bishop) et le lore ne s’associe pas à telle ou telle mythologie. Il faut interpréter cela comme une volonté de la série de s’adresser à public mondial, à sortir de l’entre-soi culturel japonais comme MAPPA est sorti des habitudes en confiant la direction d’une série à un animateur étranger, afin d’aller rechercher autre chose en termes de style tout en revenant aux sources de ce qui fait l’intérêt de l’animation.
Finalement ce qui plaît le plus dans Vanishing Line, c’est sa pureté. C’est un anime au sens le plus pur du terme, une série d’animation débarrassée de tout bagage culturel ou intertextuel local, qui n’est là que pour procurer au public de l’animation ce qu’il recherche. A l’heure où l’animation japonaise n’est plus grand-chose d’autre qu’une publicité géante pour des fan-fictions stupides ou des produits dérivés vulgaires qui ne vivent que de la relation consanguine entre un fandom otaku dégénéré et une industrie aux abois, Vanishing Line tourne le dos aux tendances et file tracer sa propre route.