Adulé par certains, rejeté par d’autres, inconnu pour la plupart, Yukikaze fait partie de ces animes qui ont fait leur chemin au sommet de la pile, là où seuls restent les plus aguerris et les plus braves. Cependant, un anime conçu pour plaire à l’Élite n’aboutit pas nécessairement à un anime digne de faire partie de l’Élite. Analyse d’une des premières grandes tentatives du studio Gonzo.
Fondé en 1999, Gonzo faisait partie de ces jeunes studios qui promettaient un avenir brillant pour l’animation japonaise à l’aube du XXIe siècle. Un avenir fait d’animes audacieux et difficiles, conçus pour un public adulte, occidental et spécialisé (Gankutsuou, Gantz, Bokurano, Afro Samurai… tous réalisés chez Gonzo). Un avenir qui semble aujourd’hui utopique lorsque l’on voit Gonzo ramper à terre, survivant à coups d’adaptations racoleuses et de niaiseries sans intérêt. Mais nous n’en sommes pas encore là.
Nous sommes au début de la vie de Gonzo, en 2002 exactement, alors que le studio commence tout juste à occuper le terrain avec des adaptations de haut calibre telles que Full Metal Panic et Saikano à la télévision. Mais en OAV, le studio se prépare à accueillir un projet d’une envergure inédite ; l’adaptation du roman Sentô Yosei Yukikaze de l’écrivain Chôhei Kanbayashi. Inconnu en occident, cet auteur est considéré au Japon comme une référence incontournable de la littérature de science-fiction, et sa série de romans Yukikaze parue dans les années 80 est son œuvre la plus populaire - et la seule traduite en anglais. Pour l’occasion, Gonzo met les petits plats dans les grands en choisissant de concevoir l’anime selon un mélange transparent entre animation traditionnelle et animation par ordinateur, à une époque où les CG sont à la fois difficiles à produire et très coûteux – même si le budget n’est pas un problème puisque la production est financée par le géant Bandai Visual qui fête alors ses vingt ans. Encore une fois, il ne s’agit pas pour Gonzo de créer un hit visant le grand public mais une production de haute qualité pour une niche de fans experts et exigeants.
Cette qualité, Yukikaze la réserve en priorité sur le plan technique. L’animation en elle-même n’a rien de spectaculaire, même si les CG bénéficient d’une intégration à l’image assez bluffante pour l’époque. On retiendra surtout le travail sur la direction artistique, qui répond à tous les critères qui font l’intérêt du format OAV : chara-design raffiné, décors fouillés, designs recherchés. Ajoutons à cela un travail de documentation conséquent puisque Gonzo a eu accès aux moyens de la JASDF (Japan Air Self-Defense Force) pour reproduire fidèlement le comportement, l’ambiance et le langage des pilotes de chasse en situation de combat.
Parce que oui, Yukikaze est un anime de SF avec des jet fighters du futur. En gros, les extraterrestres débarquent sur Terre via un portail dimensionnel ; mais ils n’arrivent pas à conquérir la Terre et repartent alors d’où ils viennent en laissant le portail ouvert, que les humains empruntent dans l’autre sens. Ces derniers découvrent ainsi la planète d’origine des aliens, appelée Fairy, qui ressemble à la Terre mais où rien ne vit. Un poste avancé terrien ainsi que des bases militaires sont installés sur place pour intercepter les aliens qui tenteraient une nouvelle invasion ; et pour cela un bataillon d’aviation de combat est constitué avec en première ligne le jet de reconnaissance Super Slyph B-503, aussi surnommé "Yukikaze", et son pilote Rei Fukai.
Le fait d’utiliser des avions de chasse futuristes mais néanmoins crédibles dans un anime de SF est une particularité intéressante pour Yukikaze, sorti dans une période explosive pour le robot géant (Outre FMP cité en introduction, 2002 fut également l’année de RahXephon et de Gundam SEED). Les batailles aériennes sont à la fois élégantes et intenses, et la surcouche de réalisme militaire évoquée plus haut ajoute à l’immersion. Les phases au sol sont tout aussi ambitieuses, avec des dialogues qui touchent à différentes thématiques hard-SF, en particulier le rapport entre homme et machine. Les aliens de Yukikaze, appelés JAM, sont des formes de vie mécaniques qui semblent s’organiser comme les rouages d’une machine géante et complexe, dont le but et les méthodes échappent à notre compréhension. Au début de la guerre, les JAM n’attaquaient jamais directement les hommes, mais visaient d’abord les installations militaires et les appareils, comme si nos machines étaient leur véritable ennemi. Ce n’est qu’après plusieurs années de conflit que les JAM firent évoluer leurs tactiques pour prendre en compte l’élément humain de la guerre, qui leur était inconnu, et ainsi développer de nouvelles armes aussi sournoises que dévastatrices.
Tous ces thèmes sont abordés dans Yukikaze, mais le spectateur moyen risque fort de complètement passer à côté. En effet, la mise en scène de Gonzo prend le parti d’une extrême austérité, avec des dialogues laconiques, une cinématographie lénifiante et une image blafarde qui donne l’impression de baigner dans un filtre éthéré. Les personnages sont pratiquement inexpressifs, le seul qui semble être doué d’émotions est le Major Jack Buckhar (doublé par un Jouji Nakata en mode dépressif) tandis que le reste du cast s’exprime sur le même ton monocorde. Peut-être s’agit-il d’un effet de style visant à signifier le brouillage de la limite entre l’homme et la machine, mais il est difficile de s’intéresser au sort de personnages qui se comportent comme des robots dans un monde soi-disant en guerre où il ne se passe pas grand-chose. En effet, l’histoire en elle-même manque de consistance, avec un univers à peine esquissé et une conclusion anecdotique qui ne répond pas vraiment aux problématiques qu’essayait de soulever la série.
Yukikaze est indéniablement un anime de qualité, avec d’excellentes intentions, mais je ne saurais le qualifier de réussite. Le roman de Chôhei Kanbayashi était probablement très novateur à l’époque de sa parution, mais l’anime n’a pas su correctement retranscrire la substance conceptuelle du livre, ce qui donne un résultat à la fois pompeux et superficiel. Si vous êtes toutefois un fou d’aviation militaire désespéré de ne pas voir un anime sur le sujet, Yukikaze peut vite s’avérer un choix très pertinent. Mais personnellement je vous conseillerais d’abord d’aller voir l’excellent Macross Plus de Shinichiro Watanabe, un des animes de voltige les plus beaux jamais créés ; pas aussi intellectuel que Yukikaze certes mais tellement moins chiant. 6,5