Kusanagi, le système que tu proposes me pose quelques gros problèmes qui ont déjà été plus ou moins énoncés et que je vais reprendre (j'en oublie sûrement) :
- Tu te réfères à plusieurs reprises à un "avant", un "auparavant" aussi vague que douteux. C'était quand cet âge d'or, cet âge de bronze, ce paradis ?
- Tu parles du manque de liberté de la société actuelle mais tu proposes pour la remplacer un monde où les gens doivent plus ou moins rester dans le même coin, doivent se supporter les uns les autres sans avoir trop d'espoir de changer d'endroit, ne peuvent pas se déplacer librement sans qu'on sache trop pourquoi, où les gens doivent limiter ou abandonner beaucoup de choses, encore une fois sans qu'on leur laisse le choix. Te rends-tu compte à quel point une telle société étoufferait précisément ces libertés que tu entends défendre ?
- Que tu le veuilles ou non, tu imposes un schéma unique de ce qui pour toi doit être le bonheur, sans te soucier de savoir si les 6 milliards et quelques d'être humains qui peuplent la Terre partagent à 100% cette conception de leur félicité. Là aussi, pourquoi les gens n'auraient-ils pas le choix (dans la limite de ce qui est légal) ? Et si, pour untel, le bonheur, c'est d'acheter la bagnole dont il rêve, comment pourrait-on juger ce bonheur et dire qu'il est répréhensible, que la personne se trompe et que, non, le vrai bonheur c'est de planter des arbres et de cultiver son jardin ?
- Tu as parlé de "vraie démocratie" que personne n'a encore jamais expérimenté et d'un système où l'on limiterait les villes à 30000 habitants environ, afin d'impliquer plus fortement chacun de ses citoyens. Ceci pose à nouveau plusieurs problèmes : premièrement, ça présuppose comme acquis et évident que la démocratie est forcément le meilleur système politique auquel n'importe quel être humain a envie de participer et, de plus, peut s'appliquer à n'importe quelle société. Je ne suis expert - ni même simple connaisseur - ni en ethnologie ni en géopolitique mais ce parti pris me semble très très discutable. exemple parmi tant d'autres, telle peuplade d'Amazonie qui vit à son propre rythme et selon ses propres coutumes (un chef des villages, conseil des anciens, système matriarcal, autre) n'a sûrement rien à carrer d'une démocratie.
Il faut aussi se rappeler que dans le système de la
polis grecque, les citoyens - qui, pour rappel, ne représentaient qu'une petite partie de la population et étaient donc loin d'être représentatifs - avaient déjà du mal à se mobiliser et pour la plupart rechignaient à s'investir dans la vie de leur cité, alors justement qu'ils en avaient la possibilité et ce, malgré les systèmes de compensation mis en place (le
misthos, si j'ai bonne mémoire). Même si le système de ville auquel tu penses est différent de la polis grecque, qu'est-ce qui te fait penser que les citoyens s'impliqueraient obligatoirement davantage dans les affaires de leurs villes ?
Au passage, on n'apprend généralement pas de l'histoire (des gens ont écrit des études très pointues sur ce sujet et en parlent bien mieux que moi).
Enfin, tu cites en exemple tes parents qui se trouve à 900km. Oui, mais ça c'est une conséquence de la société actuelle. auparavant, tes parents ne se situaient pas à 900km de toi. Ils étaient très proche de toi. Si tes parents sont aussi loin, c'est que les moyens de transport le permette. Ce genre de scénario, dans le cas de ma vision des choses serait bien moins courant même si c'est pas impossible.
Oui, les transports actuels facilitent - plutôt que permettent - et vulgarisent (au sens de l'accessiblité à un grand nombre) un éclatement sur un vaste territoire des membres d'une famille d'une génération à l'autre ou à l'intérieur d'une même génération. Maintenant, est-ce vraiment un problème ? Visiblement, Serleena vit très bien sa situation actuelle, comme beaucoup d'autres d'ailleurs. Moi aussi, il y a eu un moment où j'ai eu envie de voler de mes propres ailes et, de préférence, assez loin de mes parents pour être bien indépendants et mes parents m'y ont encouragé.
Ce que les transports actuels permettent : c'est le choix et pouvoir choisir, c'est être libre. On en revient à la thématique de la liberté.
Ce qui veulent rester dans leur "vallée" (métaphoriquement et sans connotation négative) le peuvent. Ceux qui ont envie de prendre leur baluchon pour aller découvrir le vaste monde, quitter la Bretagne pour s'établir dans les les Alpes ou Pyrénées, quitter leur pays d'origine pour aller étudier aux Etats-Unis ou bosser en Australie, le peuvent également (à l'aspect financier près). Les transports ne sont pas une contrainte, au contraire, ils donnent le choix.
Après, bien entendu, on peut s'interroger sur l'impact écologique de ces déplacements et des efforts sont encore à faire dans ce domaine (limiter les avions privés, se débarrasser des voitures les plus polluantes, etc.) mais, là aussi, chacun est responsable de ses choix, et peut limiter certains déplacements, privilégier le train à la voiture, donner quelques euros pour planter des arbres à chaque fois qu'il prend l'avion, etc.
Accessoirement, on en revient au "c'était quand "auparavant" ?" Pour ne prendre qu'un seul exemple, il y a 2000 ans, les légions romaines comptaient aussi des types qui venaient de l'autre moitié du monde méditerranéen, et ce n'étaient pas les plus riches. Si "avant", se réfère à un temps où personne n'avait encore inventé la roue ou le bateau, n'avait pas encore domestiqué le cheval (donc aucun autre moyen de déplacement que ses deux pieds), ça nous emmène tellement loin que personne aujourd'hui ne peut décemment prétendre savoir comment ces gens vivaient, s'ils étaient en moyenne plus heureux (pour autant qu'on partageât avec eux ne serait-ce qu'un seul critère de bonheur commun) que nous ou s'ils vivaient davantage en communion avec la nature.