J'aimerai intervenir sur ce thème de débat, parce qu'il se trouve que, confronté moi-même à la situation du marché de l'emploi, c'est une problématique qui revêt à mon égard une importance accrue.
La situation du marché de l'emploi est très mauvaise, c'est un fait inéluctable, et je pense qu'il faut l'affronter avec courage et détermination. La principale raison est d'ordre structurel et macroéconomique et est, à l'échelle de l'économie mondiale, une évidence. L'espace économique mondial n'est pas équilibré, certains pays ayant achevé leur développement, d'autres non. Il diffère donc en cela de l'espace de concurrence pure et parfaite théorisé par les pères du concept d'économie de marché. Il ne s'agit pas pour chacun de se spécialiser dans des domaines où ses avantages comparatifs structurels sont forts et de laisser les autres à d'autres nations: ce qu'on entend dire souvent des pays développés qui se spécialiseraient sur la conception et les pays en développement sur les tâches à plus faible valeur ajoutée est précisément en opposition avec ce modèle. La division internationale du travail (DIT) s'oppose à la spécialisation ricardienne, malgré les similitudes souvent exagérées par les médias.
Le principal problème qui jaillit est que, à l'échelle globale, les PID sont concurrencés dans la plupart des domaines directement par des pays dont l'avantage comparatif de coût humains très faibles est impossible à concurrencer -à noter, encore une fois, que cela ne s'inscrit pas dans l'idéal du marché. Les conséquences directes et indirectes sont que la pression ainsi excercée érode la croissance desdits PID. Cela est naturellement temporaire, et lorsque les PED concurrents auront rattrapé leur retard -ce qui, à terme, est là encore inéluctable -, on se retrouvera dans une situation stabilisée, où ces différentiels seront gommés, et l'état de l'économie s'en améliorera de facto.
Il existe une multitude de raison singulières pour expliquer ponctuellement la faible prospérité des pays occidentaux, européens en particulier, mais la principale force générale à l'œuvre est cette asymétrie des marchés mondiaux. Il ne s'agit pas de tomber dans la vindicte populaire et populiste contre "la Chine ogre d'emplois", le "vampire du milieu" et autres surnoms plus ou moins inspirés, naturellement. Cette asymétrie est non seulement globale et inéluctable . Elle n'est en tant que telle, ni bonne, ni mauvaise, c'est une étape obligatoire de l'évolution d'un système capitaliste mondialisé. Et, toujours dans cette logique globale, la faible pénétrabilité du marché de l'emploi est liée à ce faisceau de raisons structurelles issu de ce même point focal qui est l'asymétrie mondiale.
Ainsi, c'est une situation qui, malgré les discours encourageants (et populistes) des politiques, ne peut s'améliorer. Elle s'améliorera probablement légèrement pour la génération suivante, puisque notre génération est, semble-t-il dans le creux le plus marqué de cette vague (la croissance de certains des principaux PED dont nous parlions marquant actuellement de très légers signes d'essoufflement qui devraient s'intensifier). On pourra certainement faire du fine tuning en fonction de la compétence et du courage politique des responsables pour ajuster notre économie à la situation internationale afin de limiter l'érosion de cette prospérité, mais il faut d'ores et déjà admettre que, dans le meilleur des cas, cela se limitera à maintenir une croissance infimement supérieure à l'inflation (ce qui est loin d'être gagné, en France, elle est actuellement très sensiblement inférieure à l'inflation -conséquences des politiques de crédit laxistes et de l'inflation de la masse monétaire elle-même conséquence nécessaire de la crise financière de 2008-2009 ).
Ainsi, "à cheval donné on ne regarde pas les dents", la "jeunesse", doit apprendre à vivre avec ce fardeau de l'absence d'emploi, qui est probablement à son plus fort depuis des décennies. Moi-même, j'ai fait, dans mon domaine, ce que le système éducatif français (et en fait international- ce qui est démontrable statistiquement) avait de mieux (ou presque, à epsilon près, même si je paie très cher cet epsilon) à offrir. Et, pour simplement trouver un stage de première année de six mois (non rémunéré ou peu s'en faut), j'ai du envoyé plus de trente CV. Oh, attendez, je ne l'ai même pas trouvé encore. Et pourtant, il me semble que mes études ont été très sélectives et prestigieuses -en outre, je me suis endetté pour les financer (auprès de mes parents à taux d'intérêt nul, certes, mais avec une reconnaissance de dette en bonne et due forme), ce qui me met dans une situation peu confortable. Ceci est un problème global qui nous concerne tous. Le poste le plus prestigieux que la génération actuelle peut ambitionner est celui de "cadre", qui est en fait un mot pour masquer la réalité de saririman sous-payé et surexploité qui se cache derrière (salaryman).
Cependant, il me semble également qu'un corpus de solutions pourraient exister. Elles sont à la fois affaire de valeurs et d'initiatives.
La première concerne le système éducatif. La France a un système très élitiste (le plus sélectif au monde avec son système de grandes écoles - 1% sur la base du bac S général), mais qui ne fonctionne précisément que pour son élite. Il reste trop peu classant pour le reste (c'est à dire 99% de la population détentrice d'un bac S général), la faute notamment au système des facs, ouvertes à tous, sans sélection officielle possible. Or classer est très important. Pour un recruteur, il est difficile de savoir qui est le meilleur des étudiants d'une fac, quand tout le monde peut y entrer. Cela peut les pousser à multiplier les périodes d'essais pour se prémunir contre le risque, ou tout simplement à n'embaucher personne. Certaines formations sont discréditées (comme psychologie, par ex) car de nombreuses personnes sans compétence ni motivation réelle en occupent les rangs, au détriment des éléments authentiquement doués et travailleurs qui doivent faire face au regard peu bienveillant des entreprises.
L'idéal serait naturellement de se doter d'un système de sélection permettant de classer l'ensemble des élèves en s'inspirant du modèle des grandes écoles notamment. Trois modalités sont possibles -le système de prépa étant trop difficile à suivre et trop couteux à mettre en place pour être étendu à toute la population -les université choisissant sur dossier accompagné des notes du bac (les meilleures sélectionnant les meilleurs étudiants et les moins bons finissant dans les moins côtées), la sélection au terme d'une première année classante comme en médecine, ou un concours parallèle au baccalauréat conditionnant l'accès aux études supérieures les plus prestigieuses (comme au Japon).
Un tel système présente des avantages multiples et permettrait d'endiguer la crise de l'emploi. Le premier constat est qu'il y aura de toute façon 1/5 de jeune sans emploi et encore plus en emploi précaire. La seule chose que peut garantir la société, c'est qu'il vaut encore mieux que ces 20% soient les 20% les moins méritants ou les moins aptes à contribuer de façon active à la société. C'est une manière brutale de formuler les choses, mais il est tout aussi brutal de constater que des éléments prometteurs, travailleurs et doués finissent par se voir refuser l'ascension sociale à laquelle ils auraient pu légitimement prétendre à cause d'éléments moins méritants.
En outre, cela aurait un puissant effet de motivation, en réinstaurant des valeurs de travail et de motivation auprès des jeunes. Si l'on sait que finir dans les 20 derniers pourcents de la société est synonyme de mort professionnelle, on reverrait des valeurs comme le fait de travailler dur, de se sacrifier pour son avenir, et la conscience d'avoir une dette envers la société émerger à nouveau au sein d'une "jeunesse" que je trouve quelque peu outrageusement dilettante. Est-il vraiment honorable que les jeunes passent leur temps, même dans des classes aussi avancées que le lycée, à s'adonner à leurs loisirs favoris, à écumer les soirées, et à se concentrer sur leurs relations interpersonnelles plutôt que sur le travail ? Qu'à l'université, bien peu nombreux sont ceux qui savent ce que c'est que de travailler plus de 20 à 30 heures par semaine (!). Dans des périodes de grande prospérité économique, comme pour les hippies des années 60, passe encore que ce genre d'état d'esprit puisse se généraliser, mais à l'époque troublée que nous vivons actuellement, cela relève de l'inconscience. Et, il me coute de le dire, mais à penser que la société dans son ensemble doit faire de son mieux pour intégrer ces jeunes au marché de l'emploi, alors qu'ils ont été si oublieux de leurs responsabilités, je ressent comme un sentiment d'injustice. Certes, la société a ce devoir moral absolument impératif, mais il me semble que la "jeunesse" est bien peu coopérative.
Un certain nombre de responsables politiques et éducatif n'ont également pas à être épargnés. La pensée curieusement partagée chez un certain nombre d'enseignants que, dès le primaire, des idées de sélection soient "mauvaises" pour les jeunes enfants, et qu'il faut que "chacun s'épanouisse à son rythme", que "toutes les voies doivent être ouvertes à tout le monde, car, après tout, on peut se révéler très tard", que "il ne faut pas avoir des classes ségmentées par niveau, il faut des classes homogènes", que "les loisirs, c'est très important pour les jeunes", que "l'école, c'est AVANT TOUT pour se sociabiliser et se faire des copains, pas pour être sélectionnés, voyons", cette pensée n'est pas innocente... Et tous ces arguments du même acabit qui font leur chemin et conditionnent les individus dès leur enfance en prétendant que le "bien-être de l'enfant/élève" passe avant tout...
Le "bonheur" et la "joie sur ces petites frimousses", jusqu'au résigné "il faut bien que jeunesse se passe" n'ont jamais donné d'emploi à quiconque.
En outre, une telle démarche contribuerait chacun à se poser clairement la question de son avenir et de ses capacités avant d'entreprendre des études supérieures. De clarifier ces points forts et faibles. Cela éviterait ainsi que certaines filières (cf mes exemples) ne soient discréditées à cause de l'afflux de membres "parasites". Seuls ceux qui sont vraiment motivé et raisonnablement convaincu de réussir s'engageraient dans ces voies, les autres s'autocensurant.
Ainsi, en ré-insufflant l'impératif de responsabilité à la jeunesse, une telle méthode pourrait même avoir pour effet global d'accroître le niveau global de tout le système éducatif. Les entreprises seraient alors plus productives, et sauraient qu'embaucher un jeune diplômé c'est un investissement fructueux: c'est recruter un membre dynamique et déterminé qui a fait preuve de sa maturité et de son mérite. Cela accroitrait la valeur ajoutée apportée par les jeunes diplômés et en contre partie, simplifierait leur accès au marché de l'emploi -que des entreprises étrangères considéreraient même comme un vivier. Il s'agirait d'une contribution honorable à la prospérité de la société de la part d'une jeunesse qui, jusque-là, n'a fait que vivre grâce à la générosité de la société.
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En attendant, la mise en place d'un système méritocratique généralisé reste illusoire. C'est surtout cette réticence à accepter la réalité d'une nécessité de la sélection qui provoquera la dégénérescence accélérée du marché de l'emploi. La "jeunesse" n'y est d'ailleurs pas étrangère, son désir de loisirs effréné et illimité la condamnant de facto à un emploi difficile. Mais condamnant aussi injustement les gens méritants et honorables.
A titre personnel, j'ai surmonté des obstacles très difficiles; j'ai fait face à ce que le système scolaire français avait à offrir de pire (discrimination etc...) et j'ai réussi à faire mes preuves malgré des handicaps physiques et des maladies mentales, sans recevoir véritablement d'aide de la société, et aux prix de lourds sacrifices personnels. Pourtant je ne me crois pas animé d'une volonté particulière. J'ai simplement tenté d'obéir à certains principes moraux de base, qui relèvent de la fierté de ne pas être un poids pour ma famille et pour la société. Dans mes études encore, malgré mes succès personnels, l'incompétence d'autrui est la cause de beaucoup de désillusion. L'incurie et le manque de dignité de l'administration de mon école me choque chaque jours. La nature du problème de l'emploi actuellement est pour beaucoup lié à l'absence de valeurs et de dignité chez un certain nombre de personnes ("jeunesses" et responsables), qui ont oublié des choses aussi basiques que le sacrifice, l'honneur, et la juste rétribution.
C'est donc autant une question économique que morale.