Pas vraiment un film, mais une pièce de théâtre passée sur France 2 en début de semaine:
12 hommes en colère:
Huis clos dans un tribunal américain : 12 jurés tirés aux hasard sont désignés pour décider (à l’unanimité) si oui ou non un jeune homme âgé de 16 ans, de couleur noir et habitant d’une cité est coupable du crime dont on l’accuse à savoir : avoir poignardé son propre père suite à une violente dispute. Si le jury le désigne coupable, il sera condamné à mort sur la chaise électrique.
Tout semble concorder : le casier judiciaire déjà bien rempli, le milieu défavorisé et violent dont est issu l’adolescent, le mobile (attaque après s’être fait rosser une énième fois par le père), l’arme du crime trouvé sur les lieux et les dépositions et témoignages de différentes personnes vivant dans le même quartier. Pourtant, le jeune homme clame son innocence, étant selon lui absent au moment des faits qui lui sont reprochés.
Mais quand vient l’heure de délibérer, seules 11 voix sur 12 décident de voter coupable. Le douzième (Michel Leeb) « n’est pas sûr ».
Voilà une pièce profondément humaine que j’ai eu le plaisir de découvrir il y a peu sur France 2 (c’était ça ou « Super Nanny » sur la 6). Se déroulant un peu à la manière d’une enquête policière réalisée entre une poignée de personnes tirées au hasard dans la société, mais ayant lieu au moment le plus crucial de l’affaire, la situation à laquelle nous assistons fait figure de temps d’arrêt, durant lequel tout semble se figer pour permettre à chacun (spectateurs comme protagonistes) de se faire sa propre idée quand à l’affaire en cours. Chacun des personnages sera mis (souvent bien malgré lui) face à une décision d’une extrême gravité qui fera peu à peu ressurgir une multitude de facettes du comportement humain. Dans un premier temps chacune des personnes présentes semblera d’une banalité affligeante, impossible à différencier de ses voisins autrement que sur son statut social (présumé). Au fur et à mesure que les passions se déchaînent et que le ton monte, de nouveaux éléments viendront peu à peu éclairer leur personnalité propre, de manière positive aussi bien que négative. Certains se trouveront ainsi le courage de s’opposer à la majorité initiale malgré les cris, la colère qui grimpe et même les menaces, tandis que d’autre feront preuve d’une lâcheté ou d’une bêtise évidente, voire même d’un désintérêt total pourvu qu’ils puissent partir le plus rapidement possible.
Toutes les classes sociales et âges sont présents : ouvriers, cadres, publicitaires, artisans, financiers, retraités, et se révèleront avec une justesse dans les dialogues, répliques et dans la mise en scène de la pièce. Pourtant, malgré ces différences de statut (aussi bien culturelles que financières), plusieurs personnages parviennent à nous surprendre tout au long des scènes, et l’ordre dans lequel chacun se laisse peu à peu convaincre, à mesure que les différents éléments de l’enquête sont analysés bien plus en détail que ne l’a été (on le découvrira vite) l’enquête des autorités « compétentes », n’est pas forcément celui qu’on pourrait croire.
On regrettera cependant (mais peut-être n’était ce que l’adaptation voulue par le metteur en scène de ce que j’ai pu voir à l’écran) que si une multitude classes sociales soient présentes dans la salle de délibération, il n’en soit pas de même pour leur origine. Tous les jurés sont effectivement des hommes d’origine occidentale, pas d’origines africaines, asiatiques, latino-américaines et pas de femmes non plus.
La grande force du récit est de rester dans l’hypothèse, avec beaucoup de « si » qui restent en suspens même une fois le délibéré final décidé. Le but n’est finalement pas de savoir si l’accusé a réellement commis le crime reproché, mais plutôt de voir ce qui cloche dans l’enquête de police et pourquoi les éléments disponibles sont bien trop aléatoires pour qu’on puisse décider d’envoyer un être humain (un adolescent de surcroît) à la peine capitale.
Comme le dit la première réplique de la pièce, s’adressant aussi bien aux acteurs qu’au public (le nommant ainsi juré officieux dans l’affaire), « si vous avez le moindre doute, abstenez-vous de vous prononcer sur la culpabilité de l’accusé ».
Cette simple consigne résume la problématique soulevée ici : « en l’absence de certitudes et de preuves irréfutables, est-il préférable de libérer une personne qui pourrait effectivement être coupable ou faut-il prendre le risque de condamner un innocent ? ». Voici une question qui peut paraître simple dans sa formulation, mais fait porter une responsabilité terrible (souvent trop lourde pour les épaules d’une seule personne) une fois que l’on se la voit posée.