Interview : Ôran High School Host ClubNotre reporter en chef, également directeur de la publication et conseiller attitré du directeur du journal, l’honorable M. Beber, décoré récemment Chevalier des Arts et des Lettres par Carla Bruni pour sa prose journalistique acerbe, est en reportage exclusif à Copa Cabana, au Brésil, depuis début décembre. Il part interviewer les lolitas locales et prendre en photos les maillots arborés sur les plages de là-bas, afin d’élaborer une réflexion sur l’impact de la mode brésilienne sur le design des petites tenues dans les futures séries animées ecchi.
En son absence, on m’a envoyé au Japon pour un reportage sensationnel. Le fait qu’une personne comme moi, intérimaire à mi-temps embauché l’avant-veille et farouche partisan du volontariat sur le marché de l’emploi (bosser pour l’argent, c’est tellement mesquin), ait ainsi reçu la confiance de ses supérieurs, est bien la preuve de l’ouverture d’esprit et de la générosité des dirigeants de notre journal auquel je suis très attaché. Comme notre journal AK News dispose actuellement de peu de moyens financiers (il paraît que la vie est très chère au Brésil, j’en ai été le premier surpris), on n’a pas pu me payer un billet en classe économique sur Yeti Airlines et j’ai donc du voyager accroché au train d’atterrissage (arrière gauche, pour ceux que ça intéresse). Le voyage a été un peu long, mais l’escale à Katmandou m’a permis de me dégourdir les jambes et de prendre le frais sur le tarmac.
L’atterrissage à l’aéroport de Tôkyô-Narita a été un peu rude (lorsque le train auquel on est vigoureusement accroché sort brusquement, ça fait un choc, il faut bien avouer), mais le voyage s’est dans l’ensemble bien passé. Passé les formalités douanières – je veux dire que je les ai soigneusement évitées, car sans passeport (restrictions budgétaires suite à une envolée des cours du nylon, les bikinis brésiliens vous comprenez) – j’ai retrouvé sans peine notre agent permanent sur place. Celui-ci m’a indiqué où louer le luxueux costume nécessaire à l’accomplissement de ma mission (vous ne vous imaginiez quand même pas que j’allais l’acheter, vu le cours du nylon). Hé oui, j’ai bien dit un costume luxueux ! Car, je ne vais pas n’importe où pour interroger n’importe qui, moi ! Je vais au prestigieux lycée Ouran, là où la future intelligentsia nipponne se développe. Quand je vous disais que mes patrons étaient généreux !
L’heure de l’interview approche et on me dépose près de l’entrée de cette école majestueuse. J’ai fière allure avec mon costume loué, mes chaussures Hermès et ma montre Hugo Boss (on peut les louer pas cher chez des petits vendeurs dans les rues très populaires). J’ai rendez-vous avec le Club d’Hôtes du lycée discuter avec eux enseignement et politique internationale. Je me sens pousser des ailes.
Conduit cérémonieusement par une flopée de majordomes dans un dédale de corridors pavés de marbres blancs et franchi d’innombrables portes dorées à l’or fin, nous voici enfin devant la porte de la Salle de Musique n°3. Un instant de silence et d’appréhension. Les portes s’ouvrent en grand, des pétales pourpres en sortent en tourbillons tandis qu’un chœur entonne gaiement « irasshaimaseeee ».
Je n’arrive pas à y croire : je suis en train de déguster du thé et des petits gâteaux (enfin, plus exactement, un seul petit gâteau, parce que Hani a déjà mangé les autres) en bavardant le plus naturellement du monde avec les membres du Club d’Hôte ! Cependant mon professionnalisme naturel reprend rapidement le dessus, tandis que l’importance stratégique de la mission me fait revenir sur terre.
Une fois enlevé les lunettes roses dont on m’a affublé à mon entrée dans la salle, je me rends compte que Haruhi Fujiwara, la jolie lycéenne garçon manqué est absente. Dommage, elle est tellement kawaii. Où est-elle ? Voilà, je pense, un bon moyen de lancer la conversation.
Je sors donc mon stylo (Mont Blanc) et un bloc note à en-tête d’AK News :
moi : Messieurs, je vous remercie tout d’abord de m’avoir invité dans votre palace (
un silence, je ménage mon effet, héhé). Mais, je croyais que les membres étaient au nombre de sept. Ne manquerait-il pas quelqu’un ?
Hani serrant son lapin rose contre lui et ouvrant grand ses immenses yeux innocents : Tu veux parler de Haru-chan ? Elle travaille à Karuizawa dans l’auberge que tient l’ami de son père. Tu sais, nous au Japon, on était en vacances dernièrement. Nous avons passés deux semaines à Rio de Janeiro pour le carnaval, il y avait plein de bons gâteaux. Comme Haruhi n’avait pas de passeport, elle a dû rester au Japon et a été travailler à Karuizawa.
(
Pensée fugitive : tiens, le Brésil est à la mode en ce moment, on dirait)
Tamaki s’enflammant brusquement : Mais Papa a ramené plein de souveniiiiirs du Brésil à Haruhi, elle m’a tellement manquééééé ! Je lui ai ramené une parure de carnaval avec de véritables plumes de paon, ça va lui aller super bien. J’ai hâte qu’elle revienne.
Les jumeaux, comme un seul homme : Parce que tu crois vraiment qu’elle va accepter de mettre ça, Baron ? Espèce de voyeur !!!
(
Voyons, voyons, je devais parler éducation et politique internationale là ; les bikinis et autres tenues légères pour fille, c’est la prérogative du patron, …)
Kyôya, arrêtant de griffonner dans son cahier et remontant ses lunettes : Tamaki, je ne crois pas que notre invité soit venu pour t’entendre parler de tes penchants déplorables. Nous ne somme pas dans une favela bruyante, avec tous ces gens qui font la fête parce qu’une fois dans leur vie ils peuvent troquer leurs guenilles habituelles contre un vêtement soi-disant chic, car clinquant, et que de toute façon ils ont dû louer, car une vie entière ne leur aurait pas suffi à l’acheter.
(Kyôya se tourne alors vers moi avec un petit sourire.)
D’ailleurs, en parlant de costume loué …
Moi, surpris : Oui ?
Kyôya, toujours son petit sourire aux lèvres : Le votre ne vous va pas du tout. On dirait que vous être accoutrés pour un carnaval.
Moi : …
Kyôya : Croyais-tu nous abuser avec ta fausse montre Hugo Boss fabriquée au Viêtnam, tes espadrilles faussement chic et cet air émerveillé d’une personne du peuple qui découvre le revers doré de la médaille ?
Moi : …………….
Les deux jumeaux surgissant derrière moi en me faisant sursauter : Oui, oui, tu as dû acheter ton costume dans un de ces supermarchés dont les gens du peuple sont si friands. Qu’est-ce que tu fais ici d’abord ? Voler le café instantané acheté par Haruhi ?
Tamaki me saute presque dessus en pleurant (
Tamaki, mon sauveuuuur) : Ne vous inquiêtez pas, je serai là…
(
merci Tamaki)
Tamaki : … pour vous apprendre à vous habiller correctement, je vous choisirai des tenues fantaisies toutes roses avec des paillettes
Les jumeaux secouant la tête : Oh non, Tamaki se croit devant Haruhi …
(
Qui va me sauver ?)
Les jumeaux : … alors que ce long-nez est aux antipodes de son charme naturel. C’est peine perdue avec lui. Il ne lui reste plus qu’à aller dans un de ces salons de beauté où les gens du peuple s’offrent des plaisirs de riches, enfin soi-disant.
(
Pas eux, en tout cas …)
(Paris me paraît très loin tout à coup, mon travail d’intérimaire à mi-temps embauché l’avant-veille, la machine à café, la photocopieuse, mes outils de travail, le mince sourire de Beber quand je lui tends sa tasse de café matinal en m’inclinant, son clin d’œil quand je vais lui acheter le dernier numéro de Playboy, …)
(Mori pose sa main sur ma tête – je suppose qu’il essaie de me réconforter – tandis que Hani offre de me prêter son lapinou voie de me donner des fraises qui décorent le gâteau qu’il est en train de manger.)
Moi : Mais que … quand … ?
Kyôya : Voyons, c’est enfantin. La famille des jumeaux Hitachiin détient le monopole de vente des uniformes d’Ouran ainsi que de toutes les frippes populaires qui y ressemblent un tant soit peu. De mon côté, ma famille, est actionnaire majoritaire de Yeti Airlines et possède la moitié de l’aéroport de Narita. Le simple fait que vous ne soyez pas venus en jet privé ne trompe pas.
Les jumeaux : Et puis même, regarde son dos voûté et ses épaules affaissées, Kyôya-senpai, on voit bien qu’il a été obligé de travailler au lieu de se divertir entre personnes élégantes et spirituelles, comme le veut notre Club ! Il a commencé comme Haruhi, mais il n’a même pas eu des résultats suffisants pour obtenir une bourse de notre école !
Kyôya : En effet, sa seule manière d’entrer ici était de se déguiser. CQFD. (ouvrant son cahier) Je note de dire au personnel de l’accueil de ne plus laiser entrer que les personnes avec un uniforme authentique. De toute façon, pour votre information, ma famille détient également 80 % du capital d’AK News. J’ai vu votre CV et votre parcours. C’est donc ça un diplôme dévalorisé. Alors que avez sûrement dû bosser d’arrache-pied pour le décrocher. Ne trouvez-vous pas ça amusant … ou pathétique ?
Tamaki : Il faut travailler pour avoir un diplôme ?
Kyôya, condescendant : Voyons, Tamaki, ressaisis-toi, je parle de ces écoles pour pauvres où la naissance et les qualités intrinsèques de l’individu et de sa famille ne suffisent pas pour aspirer aux plus hautes ambitions. Alors ils passent leur temps à trimer du matin au soir, au lieu de s’épanouir dans un palace. Tous ces gens qui n’ont même plus assez de temps à eux pour choisir l’oisiveté et venir fréquenter notre club.
(Je serre plus fort le lapin rose de Hani – oui, j’ai craqué – et je ne réponds rien.)
Les jumeaux : On parie que votre maison fait moins de 500 m² avec un jardin de moins de 10 hectares ! Vous avez peut-être même pas de personnel chez vous. Vous faites la cuisine tous les jours chez vous, si ça se trouve. Tsss, même pas capable de se payer un restaurant. (riant aux éclats) Je parie que votre appartement est plus petit que notre frigidaire !
Hani, soudain intéressé : vous savez faire des gâteaux à la crème avec des fraises ?
(
Un reportage … sur quoi déjà ?)