Rien à faire, sur la question de la VF, je suis buté-borné-obtus (les vieux, hein, quand ça se braque…
). Vilain traumatisme de l’époque où Tatie Dorothée embauchait l’électricien venu changer l’ampoule, pour doubler à la louche la moitié des personnages masculins d’un anime.
Pour les rares fois où je me suis laissé piéger par de la VF, je me suis fait la même réflexion : le français est à l’anime ce que la musique de salle d’attente est à la musique. Ce n’est pas seulement une question de qualité de jeu. Simplement, les doubleurs français déclament leur texte. Ils l’énoncent, comme on le ferait d’un théorème. Le français se sublime dans l’art oratoire : le discours politique, le théâtre, la poésie. Mais dès qu’il s’agit d’émotion ou d’intimité, c’est une langue à la peine. C’est vrai pour l’anime, c’est peut-être même vrai pour le cinéma.
Exemple concret : la doubleuse japonaise qui interprète Edward Elric donne à ses colères et à ses chagrins quelque chose de contenu qui vous étreint et vous balaie comme une lame de fond. Edward ne hurle pas, du moins quand les choses deviennent sérieuses. Il gronde. Comme un chien blessé. La poitrine va exploser et, pour barrer leur chemin aux larmes, la voix doit forcer, dans un murmure, dans un souffle, sur les cordes vocales. Voilà tout ce que parvient à transmettre une doubleuse japonaise.
La qualité du doublage tient aussi au statut du doubleur. Au Japon, le métier est pris au sérieux, tant par les producteurs que par les acteurs. On ne fait pas appel à des intermittents un peu honteux, qui acceptent en attendant mieux. Le Maître Miyazaki a voulu Miwa Akihiro pour le rôle de la louve dans Mononoke Hime, et aussi pour celui de la sorcière dans Le Château Ambulant. Gackt Camui (le chanteur de J-pop, icône ultra-kakoi de l’émission Hey ! Hey ! Hey !) est régulièrement sollicité. Son timbre de voix velouté, extrêmement posé, donne profondeur et gravité à ses personnages. Sauf erreur de ma part, Seishin, dans Shiki, est doublé par Gackt.
Une voix étreinte par l’émotion peut se perdre dans un murmure. Le souffle est contraint, au point, parfois, d’en être coupé. Un monologue peut finir sur un ton presque inaudible, comme une rivière qui se perd dans le sable. De l’intimité, de l’émotion. C’est ce que je ne retrouve jamais dans le doublage français. Une langue trop cartésienne.
J’ajoute un dernier point : au Japon, la place que vous occupez au sein du groupe conditionne votre grammaire et votre diction. Nous perdons à la VF tout le vocabulaire marquant le positionnement de l’individu dans la hiérarchie sociale. Sans compter que les hommes ont une diction particulière, qui diffère de celle des femmes. C’est aussi ce qui permet le jeu des ambigüités, notamment lorsqu’un jeune homme s’exprime sur un ton inhabituellement doux. Quant à Levy-Two-Hands, c’est juste un mauvais exemple.
Bien, bien, bien, bien, bien. A me relire, j’ai comme l’impression d’avoir été un poil extrémiste O-°' (Appelez-moi Torquemada). Promis, en vrai, je suis plus mesuré donc merci, merci, ne me jetez pas trop d’épluchures de cacahuètes, j’ai juste forcé le trait pour la démonstration (je cautionne notamment ce qui a été dit sur les doublages de Miyazaki). Et je m’engage à désormais répondre aux posts à jeun.