J'interviens un mois après mais bon... ^^
Pour les rares fois où je me suis laissé piéger par de la VF, je me suis fait la même réflexion : le français est à l’anime ce que la musique de salle d’attente est à la musique. Ce n’est pas seulement une question de qualité de jeu. Simplement, les doubleurs français déclament leur texte. Ils l’énoncent, comme on le ferait d’un théorème. Le français se sublime dans l’art oratoire : le discours politique, le théâtre, la poésie. Mais dès qu’il s’agit d’émotion ou d’intimité, c’est une langue à la peine. C’est vrai pour l’anime, c’est peut-être même vrai pour le cinéma.
Exemple concret : la doubleuse japonaise qui interprète Edward Elric donne à ses colères et à ses chagrins quelque chose de contenu qui vous étreint et vous balaie comme une lame de fond. Edward ne hurle pas, du moins quand les choses deviennent sérieuses. Il gronde. Comme un chien blessé. La poitrine va exploser et, pour barrer leur chemin aux larmes, la voix doit forcer, dans un murmure, dans un souffle, sur les cordes vocales. Voilà tout ce que parvient à transmettre une doubleuse japonaise.
La qualité du doublage tient aussi au statut du doubleur. Au Japon, le métier est pris au sérieux, tant par les producteurs que par les acteurs. On ne fait pas appel à des intermittents un peu honteux, qui acceptent en attendant mieux. Le Maître Miyazaki a voulu Miwa Akihiro pour le rôle de la louve dans Mononoke Hime, et aussi pour celui de la sorcière dans Le Château Ambulant. Gackt Camui (le chanteur de J-pop, icône ultra-kakoi de l’émission Hey ! Hey ! Hey !) est régulièrement sollicité. Son timbre de voix velouté, extrêmement posé, donne profondeur et gravité à ses personnages. Sauf erreur de ma part, Seishin, dans Shiki, est doublé par Gackt.
Une voix étreinte par l’émotion peut se perdre dans un murmure. Le souffle est contraint, au point, parfois, d’en être coupé. Un monologue peut finir sur un ton presque inaudible, comme une rivière qui se perd dans le sable. De l’intimité, de l’émotion. C’est ce que je ne retrouve jamais dans le doublage français. Une langue trop cartésienne.
Non ça n'est pas une question de langue, mais de temps de travail.
Quand tu double un anime (de base, pas un gros film), tu n'as pas de temps. On te pose en séance, tu dois enquiller les lignes et aller vite. Tu as le temps de t'y reprendre à deux fois, trois parfois, si tu veux vraiment fignoler... mais pas plus.
Personnellement, les moments où moi j'ai été le plus juste (je ne citerai pas de noms là, mais parce que bon, je travaille avec des gens et pour des gens) c'est les moments où j'avais pu voir, moi, par curiosité, mon rôle en amont, avant la séance. Je le connaissais, j'avais déjà choppé une partie de ses nuances. Mais je n'ai pas toujours l'opportunité.
Et quand tu te ramènes en séance, que tu as 4 heures pour doubler un personnage secondaire récurrent sur 24 épisodes, plus ce qu'on pourrait appeler "les bricoles" (les tous petits persos que tu fais parce que le budget fait qu'on n'engagera pas des gens pour un personnage qui a 4 lignes uniquement)... Ben tu n'as pas le temps de bosser ton personnage.
Au théâtre, en télé, on a du temps de répétition, on peut faire, refaire, re refaire avant d'être pile dans la bonne intention. En doublage, sauf gros moyens, on ne l'a pas.
J’ajoute un dernier point : au Japon, la place que vous occupez au sein du groupe conditionne votre grammaire et votre diction. Nous perdons à la VF tout le vocabulaire marquant le positionnement de l’individu dans la hiérarchie sociale. Sans compter que les hommes ont une diction particulière, qui diffère de celle des femmes. C’est aussi ce qui permet le jeu des ambigüités, notamment lorsqu’un jeune homme s’exprime sur un ton inhabituellement doux. Quant à Levy-Two-Hands, c’est juste un mauvais exemple.
On le perd dans la grammaire. Mais quand ils ont conscience de cela, les adaptateurs essaient de le retranscrire dans notre langage à nous, avec nos outils linguistiques. Cela peut passer par un vouvoiement, ou une politesse extrême quand en VO un collégien en appelle un autre "Senpai", etc...
C'est effectivement le plus compliqué, ainsi que les tropes culturels à transcrire et ceux qu'on ne doit pas transcrire et garder tel quel.
Ca, ce sont des choix à faire, et comme toute traduction, le traducteur ne fait pas forcément les mêmes que d'autres auraient fait.
(après jusqu'où ça descendra niveau qualité avant d'être minimum là...)
C'est une question de passion aussi. Très honnêtement, quand tu bosses là dedans et que tu as été baigné de japanim dans ta jeunesse, tu as juste envie de bien faire les choses. Et surtout, tu as des réflexes aussi (ne serait-ce que dans les réactions qui sont assez particulières en jap, très caractérisées).
Quand tu as envie de bien faire, tu fais du mieux que tu peux, même si tu n'as ni le temps, ni l'argent pour.
Ne serais-ce que part comparaison des voix des doubleurs, de leur intonations etc...on peut porter un jugement en appréciant ou pas pour moi
Mais je me permettrai de porter un bémol : en française, certaines intonations, certaines exagérations japonaises, ne passerait simplement pas. C'est normal, les langues ne sont pas les mêmes et vouloir se calquer totalement n'a pas de sens. L'important c'est de retranscrire au mieux l'intention derrière l'intonation pour rester juste, même dans l'exagération.