Alors pour répondre à ta première ligne, c'est simplement parce que je distingue plusieurs plans, comme je le suggère dans ma réponse. Il y a un plan politique sur lequel le militantisme doit évidemment avoir une influence (mais dans le cas de la France, je précise que ce ne doit être que sur le plan politique) et un plan culturel qui doit se détacher du militantisme pour aller vers l'évidence de la relation. :3
L'évidence de la relation ne peut passer que par l'effacement des sujets LGBT. Certains humoristes commencent à le faire un peu ; par exemple Vincent Dedienne (que l'on aime ou pas) met en scène au travers d'anecdotes ses (més)aventures sexuelles et désirs érotiques sans jamais mettre au premier plan l'homosexualité qui est conçue comme une évidence.
De plus, je sépare normalisation et banalisation. Il ne s'agit pas de construire une nouvelle norme dans un premier temps, mais davantage d'effacer la composante LGBT dans la représentation LGBT : faire ressortir quelque chose de plus profondément universel et humain.
La France a connu plusieurs victoires pour la communauté LGBT. D'abord une victoire "médicale" (lorsque les LGBT ont cessés d'être considérés comme des malades), sociale et culturelle (arrivée dans l'espace public de représentations LGBT) et finalement politique (mariage homosexuel). Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, et ce chemin est l'affaire de trois leviers.
Tout d'abord un militantisme qui saura se réunir avec d'autres militantismes (notamment féministes et anti-racistes) pour exercer un rôle politique (GPA, PMA, protection des minorités, droits de la femme, genre neutre, possibilité de changer de sexe civil sans chirurgie, etc.) et un rôle pédagogique. Le militantisme doit s'arracher à la revendication pure (et uniquement centrée sur la cause LGBT) qui a actuellement un effet profondément négatif, l'augmentation du nombre d'incidents homophobes et transphobes en milieu scolaire est un très bon signal d'alerte à ce propos.
Ensuite, il faut dans un même temps briser les communautarismes militants et envisager, comme conséquence également à l'évolution de l'image militante LGBT, une nouvelle manière d'avancer. Nous avons connu en France (et un peu généralement dans les PDEM) plusieurs victoires qui permettent un changement de stratégie. Il y a eu la revendication forte, mais cette revendication doit se muer en assimilation sociale, en évidence. Le meilleur levier pour cela actuellement se situe dans l'appareil culturel et artistique, qui doit mettre en avant et fabriquer l'évidence, en occultant la problématique discriminatoire pour à terme banaliser les LGBT. L'éducation sera un levier également à l'avenir, mais il est encore trop tôt pour laisser à une institution officielle la primeur de cette banalisation vers l'évidence. C'est davantage donc au milieu artistique, fort de son image indépendante et libre, de se faire l'avant-garde d'une société différente, non pas dans un regard critique sur le présent ou le passé (revendication) mais comme une image à venir, utopique d'un idéal (évidence ostentatoire).
Enfin, le dernier levier est celui qui manque un peu ces dernières décennies, c'est un levier philosophique et théorique qui permette d'agréger les causes contre les discriminations et poser la question : qu'est-ce que l'être humain ? Nous sommes à une époque où la notion d'humain est profondément mise en crise, par l'évolution technologique et sociale mais également par la perte d'autorité de la figure de l'intellectuel. La peur de la pensée et de la théorie qui caractérise notre époque a encouragé le gouffre identitaire et la crise humaniste qui secoue l'occident depuis la vague romantique. Les théories existentialistes se sont conclues par un échec ; les thèses structuralistes n'ont pas survécu au pragmatisme libéral. Pourtant, en dépit des erreurs et des impasses de ces mouvements intellectuels (on se souviendra de l'obsession stérile de Jean-Paul Sartre pour le communisme), la seconde guerre mondiale avait su mettre sur le devant de la scène sinon soulever de vraies questions sur ce qu'est l'homme. Il ne faut pas oublier que les études de genre sont nées dans ce contexte intellectuel. Le problème n'était pas la qualité des questions soulevées, qui étaient des questions essentielles, mais la réponse incomplète qui leur était données et le vif rejet en partie réactionnaire dont ont souffert ces mouvements de pensée et les mouvements artistiques assimilés. Trouver une issue favorable et durable aux problèmes de discrimination, c'est avant tout avoir le courage de se ressaisir des bonnes questions qui se cristallisaient principalement autour de deux thèmes : la nature de l'homme et le rapport de l'homme au réel.